Le "Judith et Holopherne" trouvé à Toulouse, attribué au Caravage, vendu sans être mis aux enchères
Le "Judith et Holopherne" attribué au Caravage trouvé dans un grenier de Toulouse, a été cédé de grè à gré à un acheteur étranger, sans être mis enchères, a annoncé mardi 25 juin la maison de ventes Labarbe.
L’huile sur toile datée de 1607, Judith et Holopherne, trouvée en 2014 dans un grenier toulousain, qui devait être mis aux enchères le jeudi 27 juin, à finalement été vendu à un acheteur étranger.
Le tableau, "estimé 100 à 150 millions d'euros", va "donc quitter le sol français. Cet accord est couvert par un engagement de confidentialité pour ce qui concerne le prix et l'identité de l'acheteur", a précisé dans un communiqué la maison toulousaine Labarbe, à l'origine de la découverte de la toile.
"Nous avons reçu une offre qu'il était impossible de ne pas transmettre aux propriétaires du tableau. Le fait que cette offre provienne d'un collectionneur proche d'un grand musée a convaincu le vendeur de l'accepter", souligne dans le communiqué l'expert en tableaux français, Eric Turquin, à qui l'oeuvre avait été soumise quelques jours après sa découverte.
Oubliée pendant plus de cent ans
Cinq ans après sa découverte en bon état de conservation mais grise de crasse sous de vieux matelas, la peinture avait apparemment été oubliée dans un grenier pendant plus de cent ans. A-t-elle été apportée par un officier d'une expédition napoléonienne ou est-elle arrivée par d'autres voies, le mystère reste total.
La scène biblique en clair-obscur dans laquelle Judith incarne la résistance du peuple hébreu est une explosion de violence, bien dans le style du Caravage. Le général assyrien lève les yeux vers la jeune femme juive en train de lui trancher le cou, en présence d'une servante ridée et affectée d'un goitre.
La découverte avait été qualifiée de "très importante" par le ministère français de la Culture. L'existence d'une telle toile est par ailleurs parfaitement documentée dans une série d'échanges épistolaires impliquant des princes et collectionneurs d'art il y a quatre siècles. Mais la toile ne pouvait pas rejoindre les collections françaises. Après l'avoir classée trésor national, empêchant sa vente à l'étranger jusqu'en novembre 2018, l'Etat français a laissé s'écouler le délai au cours duquel il pouvait l'acquérir.
Les propriétaires ont fait une nouvelle demande d'obtention d'un certificat d'exportation, qui a été automatiquement accordé. Le manque de certitude sur son authenticité ou sa valeur, alors que le budget des musées nationaux est réduit, peut avoir joué dans la décision de l'Etat de ne pas se porter acquéreur. Pour une oeuvre considérée par une majorité d'experts comme un authentique Caravage, cette valeur a été soupesée à plus de 120 millions d'euros, voire 150 millions d'euros.
Caravage ou pas ?
Michelangelo Merisi, dit le Caravage (1571-1610), a produit parfois deux toiles sur un même thème. Une autre "Judith et Holopherne" de 1598, très différente de la peinture toulousaine, existe au Palais Barberini à Rome. Elle montre Judith sous les traits d'une très belle femme, déterminée, vêtue de vêtements clairs.
La toile de 1607 a une inspiration plus sombre, moins classique : Judith est en deuil et détourne le regard en portant l'épée sur Holopherne. Cela est cohérent avec l'inspiration du Caravage, à un moment où lui-même était en fuite, recherché pour meurtre. L'attribution de toiles au grand maître du clair-obscur est toujours ardue du fait qu'il ne signait pas ses œuvres et qu'il a souvent été copié.
Un expert mondialement reconnu du maître italien, Nicola Spinosa, avait affirmé en 2016 y voir "un Caravage authentique". D'autres connaisseurs attribuent le tableau à Louis Finson, peintre flamand (1580-1617), contemporain du Caravage et qui l'a souvent copié. Finson aurait pu la copier en même temps que le Caravage exécutait sa toile.
Louis Finson, peintre flamand qui a beaucoup copié Caravage
Le type de préparation, les incisions, les ombres sont caractéristiques du maître lombard. Mais il est possible que la toile ait été corrigée par Finson après le départ précipité de Caravage de Naples pour Malte. Car certains détails comme les rides resserrées sur le front de la servante ne correspondant pas au style du maître lombard.
Une toile de Finson est d'ailleurs bien connue qui reproduit exactement le tableau, mais avec bien moins de finesse et moins de profondeur. "On peut se demander si le Caravage et Finson avaient conclu un accord selon lequel, en échange de la mise à disposition de son atelier de Naples, Finson avait obtenu l'autorisation de copier les précieux originaux du Caravage", estime l'historienne de l'art Rossella Vodret.
Alors qu'on assiste depuis une dizaine d'années à une véritable "Caravagomania", la toile a été montrée à Londres et New York, et l' a été récemment à Drouot à Paris. Plusieurs musées s'intéressaient au tableau aux Etats-Unis, ainsi que des collectionneurs privés en Europe, selon l'expert Eric Turquin.
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