Le peintre Omar Ba, étoile montante de l'art contemporain africain, fait sensation à la Biennale de Dakar
À 45 ans, Omar Ba, artiste très prisé des collectionneurs, expose pour la première fois à la Biennale de Dakar, après avoir présenté ses œuvres au Centre Pompidou et dans de grands musées et galeries à travers le monde.
"Il réinvente la peinture !" C'est en ces termes enthousiastes que Malick Ndiaye, directeur artistique de la Biennale de l'art africain contemporain de Dakar, évoque Omar Ba, auteur d'une œuvre aussi poétique que mystérieuse.
Alors que certaines de ses œuvres sont exposées à la Biennale, c'est dans la sérénité de son atelier sénégalais habité de chants d'oiseaux que le peintre entame une toile à même le sol en appliquant un fond noir profond. Un parti pris à la genèse de son œuvre engagée, qui questionne l'état du monde et la place de l'Afrique. Ce fond noir, "c'est comme la nuit : la perspective peut se perdre... mais pour moi, tout objet et toute chose retrouvent leur place", confie-t-il à l'AFP dans l'intimité de son atelier, au bout d'une piste de sable jonchée de coquillages provenant du Lac Rose voisin.
Le fond noir "comme la nuit", une couleur "noble et magnifique"
Tournant de longues minutes autour d'une toile de plus de cinq mètres, sa longue et imposante silhouette aux pieds nus s'arrête. Il s'accroupit et se lance dans l'esquisse d'un groupe de jeunes gens. Il est en "parfaite union" avec ce noir. Il dit "être" la couleur noire, "noble et magnifique". "Je sens que toute autre couleur que je vais poser dessus va me donner exactement ce que je veux", explique-t-il.
Bientôt, après des centaines de coups de pinceau, sa toile sera peuplée de créatures hybrides, de visions oniriques aux couleurs chatoyantes et aux détails vertigineux, où il fait interagir les règnes végétal, animal et humain. À 45 ans, Omar Ba est l'une des étoiles montantes de l'art contemporain africain et l'un des artistes les plus prisés des collectionneurs.
Il est ainsi l'une des sensations de la 14e Biennale de Dakar, ouverte jeudi 19 mai. Le peintre dit sa joie d'y exposer pour la première fois, et dans son pays où il est né dans une famille de sept frères et sœurs. C'est à Dakar qu'après avoir abandonné une formation de mécanicien il a commencé ses études d'art, poursuivies à Genève à partir de 2003. L'artiste a connu la galère, exposant dans des salons de coiffure et des cafés, avant que son talent ne soit révélé en 2009 par la curatrice Federica Martini.
Depuis sa première exposition en Suisse en 2010, l'artiste qui vit entre le Sénégal, Bruxelles et Genève a été exposé au Centre Pompidou à Paris et dans nombre des plus grandes galeries et musées à travers le monde. Il a construit un atelier dans un havre de paix où il se ressource au milieu d'une plantation de manguiers, à une heure de route de Dakar. Le terrain est occupé par des vaches, canards, fleurs exubérantes et oiseaux qui viennent voler au-dessus de ses toiles.
Des créatures mi-hommes mi-animaux
Dans l'atelier s'accumule un bric-à-brac de matériel comme ces stylos correcteurs "Typex" avec lesquels il repasse singulièrement son dessin, et des objets chinés pour se documenter, comme ces revues de la Seconde Guerre mondiale. Elles l'ont aidé à comprendre la propagande quand ce petit-fils de tirailleur sénégalais a voulu dénoncer les ravages de la guerre.
Énigmatique, voire hallucinatoire, et intensément poétique, son œuvre est habitée de créatures à tête de bouc, de bélier ou d'Horus, la divinité égyptienne à tête de faucon. "Ces personnages mi-hommes mi-animaux, c'est un clin d'œil à la nature de l'être humain qui, je pense, se comporte comme un animal dans la jungle", relève-t-il auprès de l'AFP. Ses personnages incarnent les traumatismes hérités du colonialisme, la tyrannie, la violence, les inégalités Nord-Sud, mais aussi l'espoir.
Dans une exposition en 2021 à Bruxelles, il a représenté plusieurs chefs d'État imaginaires assis devant une table, les mains posées sur un livre symbolisant cette constitution que maints dirigeants réels ont manipulée pour se maintenir indéfiniment au pouvoir. "On voit que l'Afrique veut partir ailleurs, veut déménager... Il y a des guerres, des chefs d'État renversés, des dictatures ; ça m'interpelle", lance-t-il.
Un travail à la fois "esthétique" et "politique"
"Omar Ba ? Mais il réinvente la peinture !", s'exclame le directeur artistique de la Biennale, Malick Ndiaye, "c'est un travail puissant et innovant" et un processus de recherche incessant. Omar Ba est représenté par Templon, galerie française de renom. Il expose actuellement une vingtaine de toiles aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, une autre exposition est prévue en septembre à New York et, en novembre, une rétrospective au musée de Baltimore. "Son travail est beaucoup plus complexe que la plupart des choses qu'on peut voir : le traitement du sujet, son usage du bestiaire et des couleurs sont d'une force et d'une beauté frappantes", estime son galeriste Mathieu Templon. "C'est un des artistes africains qui a aujourd'hui le travail le plus esthétique et le plus politique."
Un "artiste africain ne doit pas rester indifférent à ce qui se passe dans ce continent", estime Omar Ba. "On doit essayer de voir ce qu'on peut apporter pour construire, pacifier et donner de l'espoir, finalement", dit-il dans un doux sourire.
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