Les artistes et la figure noire au musée d'Orsay : six modèles et leurs peintres
Souvent, les titres de tableaux ne mentionnaient pas leur nom. Ce sont des recherches récentes qui ont permis d'identifier Laure, la domestique noire de l'Olympia de Monet, ou Madeleine, dans un portrait présenté par Marie-Guillemine Benoist au Salon de 1800 sous le titre de "Portrait d'une Négresse".
C'est dans le contexte de l'abolition de l'esclavage, la première en 1794 et la seconde en 1848 alors que Napoléon l'avait rétabli, que les premières œuvres de l'exposition se situent. Ensuite reviendront souvent des figures de domestiques ou de nounous, puis des artistes du spectacle qui deviendront de véritables figures du monde artistique.
Nous avons choisi six modèles emblématiques, pour certains de grands oubliés de l'Histoire, peints par un ou plusieurs artistes, et auxquels l'exposition du musée d'Orsay a voulu redonner un nom ou au moins un prénom.
On apprend au passage que de nombreux artistes soutenaient la cause de l'abolition au début du XIXe siècle, comme François-Auguste Biard, qui peint une grande toile figurant des esclaves libérés de leurs chaînes après la deuxième abolition en 1848. Marcel Verdier, pour interpeller le public, peint les supplices que subissent les esclaves, dans son "Châtiment aux quatre piquets", refusé au salon de 1843.
Théodore Chassériau, originaire lui aussi de Saint-Domingue (sa mère est une femme de couleur), peint Joseph pour Ingres : il s'agit de représenter "le Seigneur chassant le démon du haut de la montagne", une "simple figure de nègre dans cette attitude", dira le maître. Mais Chassériau ignore le fond du projet. Il nous livre un corps puissant et rebelle, suspendu dans le ciel, pas satanique du tout.
Vers 1860 elle est partiellement paralysée et gardée en maison de repos aux frais de Baudelaire. Peu de temps après, en 1862, Manet peint Jeanne Duval (1862) en figure maladive perdue dans une grande robe blanche. Mais le poète Théodore de Banville a décrit sa "démarche de reine, pleine de grâce farouche".
Le Choix du 20h par V. Gaget, F. Bazille, P. Auger, K. Annette
Du modèle noir, on connaît aujourd'hui le prénom. Manet en parle dans ses carnets, évoquant "Laure, une très belle négresse, rue Vintimille, 11, au 3e (près de la place de Clichy). L'immeuble, qui existe toujours, hébergeait quatre boutiques et 48 petits appartements ainsi que des écuries et des remises. On sait maintenant qu'elle habitait au 4e étage dans un logement divisé en plusieurs locations.
Manet la fait travailler régulièrement pendant plusieurs années. Elle pourrait être aussi la nourrice du tableau "Enfants aux Tuileries".
L'"Olympia" de Manet sera reprise et réinterprétée par de nombreux artistes. Plusieurs de ses avatars successifs parsèment l'exposition : la servante noire est toujours là à l'arrière mais Cézanne introduit le client dans le tableau ("La Moderne Olympia", 1874).
Plus près de nous, des artistes ont inversé le noir et le blanc, comme le montrent quelques œuvres venues de l'étranger, qui complètent l'exposition. Dans une sculpture en plaques de bois détournant le principe des panneaux publicitaires, Larry Rivers, précurseur du pop art et proche des musiciens de Harlem, présente deux duos où la femme nue et la servante sont une fois blanche, une fois noire, même le chat noir du tableau de Manet devient blanc ("I Like Olympia in Black Face", 1970) : l'artiste témoigne ainsi de la visibilité nouvelle de la servante noire dans le tableau de Manet depuis les années 1960.
Des artistes afro-américains comme Romare Bearden ou William Henry Johnson créent des nus allongés noirs, et, en 2013, l'artiste congolais Aimé Mpane inverse lui aussi les deux figures de Manet dans une géniale mosaïque ("Olympia II", 2013).
Il y a aussi Maria Martinez, chanteuse et guitariste venue de La Havane à Paris et surnommée l'Antillaise. Théophile Gautier a écrit une pièce pour elle et elle se produit en 1860 à l'Alcazar. C'est sans doute elle qui a posé pour Nadar, pour de magnifiques portraits à l'air perdu et mélancolique dans les années 1860.
Matisse voyage à New York en 1930 et découvre les clubs de jazz de Harlem. De retour en France, il rencontre Elvire Van Hyfte, une belgo-congolaise mariée à un avocat belge installée à Nice. Elle pose pour lui dans sa villa Le Rêve à Vence. Ce n'est plus une domestique mais une bourgeoise cultivée qu'il nous montre dans "La Dame à la robe blanche" (1946).
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