Les impressionnistes et le plein-air en Normandie, au musée Jacquemart-André
"Je ne comprends pas qu'on s'enferme dans une chambre. Pour dessiner, oui ; pour peindre, non," disait Claude Monet au journaliste Emile Taboureux en 1880. "Voilà mon atelier, à moi !" s'exclamait-il en désignant le paysage devant lui.
Traditionnellement, on avait tendance à dater l'impressionnisme de 1863. Depuis quelques années, on l'appréhende dans une perspective plus longue et, dans cette optique,
l'exposition du musée Jacquemart-André s'intéresse aux origines du mouvement, qui remontent aux années 1820 et à la naissance d'une école française du paysage dans le sillage des peintres anglais. Des débuts qui se situent largement en Normandie.
Après les guerres napoléoniennes, les peintres de paysage anglais traversent la Manche, puis les Français vont se rendre à Londres, où Géricault, par exemple, est subjugué par les tableaux de Constable. Le voyage à Londres devient indispensable, au même titre que le traditionnel voyage en Italie.
Reportage : P.Chalumeau, M.Benito, J.Raynal
La Normandie, destination favorite des peintres d'avant-garde
"De ces échanges franco-anglais est née en France une école de la nature dont Corot et Paul Huet prennent la tête", souligne Camille Durand-Ruel Snollaerts, historienne de l'art et co-commissaire de l'exposition. Vont suivre Delacroix, Millet, Jongkind, Isabey… "Pendant un siècle, la Normandie a été la destination préférée des peintres d'avant-garde et a joué un rôle très important dans l'émergence du mouvement impressionniste", ajoute-t-elle.Ce sont donc trois petites aquarelles de Turner peintes en Normandie qui ouvrent l'exposition, à côté d'une vue de plage de Richard Bonington.
En Normandie, les peintres vont ensemble pour passer des semaines, des mois. Près d'Honfleur, ils se retrouvent à la ferme de Saint-Siméon où on mange sous les arbres, avec vue sur la mer, comme nous le montrent des toiles de Felix Cals et Alexandre Dubourg, et un petit tableau d'Eugène Boudin. En 1959, Gustave Courbet peint l'estuaire de la Seine, dans un tableau à quatre mains, puisque le ciel est de Boudin.
Séries sous des lumières changeantes
Des deux bâtiments de la ferme, Monet, en 1865 (il a 24 ans), nous offre une des rares représentations, sous la neige et une lumière déjà incroyable. Car un des attraits de la Normandie, pour les peintres, ce sont les lumières changeantes qui font varier les couleurs et vont leur inspirer des séries. A Etretat, Courbet est un des premiers à peindre en série la falaise : on peut en voir un exemplaire daté de 1869, dépouillé de tout personnage. "Il refuse l'anecdote et le pittoresque, c'est la roche qui l'intéresse, et l'effet de la lumière sur le paysage", commente Camille Durand-Ruel Snollaerts.Monet, qui admire beaucoup Courbet, peint la même vue en 1885, plus légère, avec des voiles qui flottent sur la mer turquoise. En face, deux autres toiles de Monet, une "Eglise de Varengeville à contre-jour" dans le vent, de 1882, littéralement fantastique et, quinze ans plus tard, les "Falaises à Varengeville" ne sont plus qu'un tourbillon mousseux au-dessus de la mer lumineuse.
Les "petites dames des plages" de Boudin
Un "Port de Dieppe" (vers 1885) nous révèle un Gauguin en pleine mutation, "encore sous l'influence de son maître, Camille Pissarro", remarque la commissaire, mais dont la touche commence à s'éloigner de l'impressionnisme.Les Anglais ont apporté la peinture de paysage en Normandie, ils y ont aussi exporté les bains de mer, abondamment représentés par les peintres, à Dieppe d'abord, puis sur la côte d'Albâtre, puis à Deauville.
Et à Trouville, où des petites toiles d'Eugène Boudin montrent d'un côté les dames élégantes sous des ombrelles et des parasols, de l'autre le petit peuple avec les pêcheurs de crevettes. "On aime beaucoup mes petites dames sur les plages", dit alors le peintre, qui va pouvoir gagner sa vie grâce aux vacanciers fortunés qui se pressent en bord de mer.
Trouville où Monet, toujours lui, croque les élégantes d'une touche blanche qui ressemble à celle des nuages parsemant un ciel bleu éblouissant ("Sur les planches de Trouville, hôtel des Roches noires", 1870).
Monet toujours surprenant
"L'idée de cette exposition, c'est de vous surprendre, c'est que vous entriez en vous disant 'je connais tout sur les impressionnistes en Normandie' et que vous sortiez en vous disant 'j'ai découvert plein de choses'", nous dit Camille Durand-Ruel SnollaertsEt, effectivement, on pourrait se dire "une exposition de plus sur les impressionnistes". Mais d'abord on ne s'en lasse pas. Et puis, Monet arrive à toujours nous surprendre, ici avec deux peintures très étonnantes de 1866, qu'on a du mal à lui attribuer : il s'agit de deux études du port de Honfleur qui ont servi pour une grande composition destinée au Salon, disparue depuis. Ces "barques de pêches" en aplats de couleurs cernées de noir semblent l'oeuvre d'un fauve.
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