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Les jardins de Caillebotte au Musée des impressionnismes de Giverny

Gustave Caillebotte, peintre d’un Paris haussmannien minéral, était aussi un amoureux des jardins, jardinier même. C’est sur cet aspect que se concentre une belle exposition du Musée des impressionnismes de Giverny. Elle s'intéresse en particulier aux années où l'artiste crée son propre jardin à Gennevilliers et peint une végétation exubérante. Visite avec Marina Ferretti, la commissaire.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Gustave Caillebotte : à gauche, "Le Jardin potager, Petit Gennevilliers", 1881-1882, Collection particulière - A droite, "Autoportrait", 1891-1892, Paris, musée d'Orsay
 (A gauche © Paris, comité Caillebotte - A droite © RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Photo : Martine Beck-Coppola)

"C’est la période la moins étudiée de l’œuvre de Caillebotte, elle était même très négligée jusqu’à présent : c’est celle où il s’installe, où il élabore un grand jardin, fait construire un grand atelier en face d’Argenteuil où Monet est passé avant lui. C’est la période aussi où il est très proche de Monet", explique Marina Ferretti, directeur scientifique du Musée des impressionnismes de Giverny et commissaire de l’exposition.
 
Pourtant, c’est quand il vivait au Petit Gennevilliers que Gustave Caillebotte (1848-1894) a peint les trois quarts de ses près de 500 tableaux.
 
"Caillebotte a élaboré complètement son jardin", précise Marina Ferretti. Il met lui-même les mains dans la terre, "comme Monet d’ailleurs. Ils sont très fiers de leurs jardins, ils se considèrent comme des jardiniers, ils s’écrivent beaucoup à cette époque-là et dans leurs lettres ils parlent essentiellement de serres, d’arrosage automatique, de bulbes, d’expositions horticoles."

Gustave Caillebotte, "Le boulevard vu d'en haut", 1880, Collection particulière
 (Paris, Comité Caillebotte)


Une formation artistique classique

Si sa peinture est différente de celle des impressionnistes à bien des égards, après une formation classique, Caillebotte adopte pour un temps leur touche libre et vibrante, avant d’évoluer vers un style plus personnel. Proche de Claude Monet, il a surtout été un de leurs plus grands soutiens.
 
Gustave Caillebotte naît à Paris en 1848 dans une famille très aisée et, depuis les fenêtres du bel hôtel particulier que son père a acheté à l’angle de la rue de Miromesnil et du boulevard Haussmann, il assiste à la naissance du nouveau Paris. Il veut devenir peintre et sa famille accepte sa vocation, à condition qu’il fasse d’abord des études de droit, qu’il réussit brillamment.
 
Il reçoit une formation artistique classique dans l’atelier de Léon Bonnat, ami de Degas, où il se prépare aux Beaux-Arts, dont il réussit le concours et où il poursuit ses études.
Gustave Caillebotte, "Un balcon, boulevard Haussmann", 1880, Collection particulière 
 (Paris, Comité Caillebotte)


Refusé au Salon, Caillebotte rejoint les impressionnistes

L’exposition s’ouvre sur les œuvres parisiennes de Gustave Caillebotte, pour souligner l’approche classique de ses premiers tableaux qui montrent un Paris minéral peuplé d’ouvriers et de bourgeois en haut-de-forme. Comme ces "Peintres en bâtiment" de 1877 qui travaillent sur la façade d’un marchand de vin. Dans les blanc, gris et beige, la toile est accompagnée d’une petite esquisse peinte et de cinq dessins préparatoires qui étudient les gestes, les attitudes des personnages. "Ces dessins et les différentes étapes dans l’élaboration du tableau nous rappellent que Caillebotte n’est pas quelqu’un qui peint d’emblée sur le motif", remarque Marina Ferretti, soulignant qu’il a "une formation très poussée, un très bon niveau de dessin".
 
Il y a aussi une esquisse peinte et quelques études dessinées pour ses fameux "Raboteurs de parquet" : Caillebotte a présenté le tableau au Salon, qui l’a refusé. Un refus qui l’affecte durement et qui "le jette dans les bras des impressionnistes", raconte la commissaire. À partir de ce moment-là, il devient un de leurs plus ardents soutiens : il achète leurs tableaux, s’occupe dans les moindres détails de leurs expositions (auxquelles il participe aussi). Il va jusqu’à payer le loyer de Monet quand il est dans le besoin et offre le restaurant quand les artistes se réunissent.
Gustave Caillebotte, "Les Champs, plaine de Gennevilliers, étude en jaune et rose", 1884, Collection particulière
 (Paris, Comité Caillebotte)


Paris vu du balcon et vacances à Yerres

Dans ses peintures urbaines, Caillebotte adopte des points de vue novateurs, en plongée : on regarde Paris du balcon. "On a souvent dit que c’était un point de vue photographique. Mais ce n’est pas vrai, parce qu’à l’époque on ne photographiait pas comme ça. On le fera plus tard", précise la commissaire. Au-dessus du trottoir du boulevard où flânent quelques passants, les feuilles légères d’un arbre au printemps, vu presque à la verticale, remplissent le cadre ("Le boulevard vu d’en haut", 1880).
 
À la même époque, Caillebotte peint déjà des jardins : ceux de la propriété d’Yerres, au sud de Paris, où la famille passe les vacances d’été. Elle comprend une belle demeure, un très grand parc à l’anglaise, des prairies, des bois, un potager important où le peintre s’est sans doute intéressé, très jeune, au jardinage. À Yerres, il peint ses premières études sur le motif, de petits tableaux où il étudie les effets de lumière, les ciels.
 
Il compose des scènes de canotage et de baignade originales. Car dans la nature aussi, il adopte une vision très particulière comme dans ce grand pastel dans les verts et bleu où un baigneur s’apprête à plonger : la surface de l’eau remonte complètement, occupant une grande partie du tableau d’où le ciel est absent ("Baigneurs, bord de l’Yerres", 1877).
Gustave Caillebotte, "Linge séchant, Petit Gennevilliers", 1888, Collection particulière
 (Paris, Comité Caillebotte)


Vers un style radicalement moderne

Le domaine d’Yerres est vendu à la mort de la mère de Gustave Caillebotte, en 1879. Deux ans plus tard, le peintre achète avec son frère Martial un terrain beaucoup plus modeste au Petit Gennevilliers, un quartier de Gennevilliers situé en face d’Argenteuil, de l’autre côté de la Seine, juste à côté du Cercle de la voile de Paris. Car les deux frères partagent plusieurs passions : outre la philatélie, ils sont fous de voile. Ils gagnent des régates et font ensemble une collection de timbres tellement conséquente qu'elle sera vendue à Londres et deviendra propriété du British Museum.
 
C’est une époque où Caillebotte se cherche. Il voit souvent Monet, dont il a des tableaux chez lui, et son style se rapproche beaucoup de l’impressionnisme. Autour de chez lui, il s’essaie avec grand succès à la touche brève et vibrante de ses amis, et sur des thèmes qui leur sont familiers, la végétation de la plaine de Gennevilliers ou l’eau de la Seine, par exemple, même s’il garde ses points de vue originaux.
 
Mais très rapidement, au cours des années 1880, il va abandonner cet impressionnisme passager, comme le montrent trois tableaux peints en l’espace de deux ans entre Colombes et Gennevilliers, exposés côte à côte : ils représentent le même type de paysage mais sont radicalement différents dans la structure et la touche. "On le voit ici évoluer d’un paysage impressionniste type à quelque chose de plus structuré et puis à quelque chose de radicalement moderne", souligne Marina Ferretti.

Sur un motif archi-vu comme le pont d’Argenteuil, il fait une grande composition puissante d’une grande liberté. Ailleurs, il introduit de nouveaux thèmes, du linge qui sèche comme des voiles au vent, tendu horizontalement au-dessus de la ligne de la Seine.
Gustave Caillebotte, "Les Dahlias, jardin du Petit Gennevilliers", 1893, Collection particulière par l’intermédiaire
	de Brame & Lorenceau
 (Paris, Brame & Lorenceau)


Un magnifique jardin disparu 

C’est à l’intérieur de la propriété du Petit-Gennevilliers que Caillebotte va pleinement développer son style à lui. Quand Martial se marie, en 1887, il lui rachète sa part, acquiert d’autres parcelles autour, ajoute à la maison qu’ils ont fait construire ensemble un atelier et une serre. Il imagine lui-même un jardin magnifique -avec un potager, des massifs de fleurs, des arbres-, qui couvre désormais plus d’un hectare, et il fait venir de la terre fertile par péniches. Sur les photos de son frère Martial, on le voit sabots aux pieds, penché sur une platebande, ou dans sa serre, à regarder des plants.

La propriété n’existe plus aujourd’hui : vendue à la mort de Martial en 1910 à l’industriel Louis Seguin, elle disparaît petit à petit. La maison et l’atelier subsistent un temps mais sont rasés par les bombardements de 1944.

"Aujourd’hui, le jardin de Monet est un des plus célèbres au monde, tandis que celui de Caillebotte, on ne sait même plus qu’il existe", remarque Marina Ferretti. Pour que le visiteur ait une idée de ce qu’il était, il a été reconstitué en images de synthèses pour l’exposition, à partir des photos, des actes de vente successifs, des tableaux du peintre.
Gustave Caillebotte, "Orchidée", 1893, Collection particulière
 (Paris, Comité Caillebotte)


Un projet décoratif inachevé pour Gennevilliers

Dans le fond des tableaux, on voit la maison, l’atelier, la serre qui semblent enfouis derrière un premier plan foisonnant et extrêmement coloré de fleurs, dans un style plus du tout impressionniste. Dans le potager, il peint ses choux en gros plan, un jardinier au travail. Avec cette "folie végétale", on a "quelque chose de tout à fait libre et nouveau", souligne la commissaire.

Caillebotte isole complètement des motifs floraux, comme les dahlias ou les chrysanthèmes au jardin en plan très rapproché. Jusqu’à ce que les fleurs deviennent un motif décoratif, comme ces capucines sur un fond indéterminé (1892). "On n’est plus dans la nature morte, c’est un portrait de fleurs, on ne sait plus dans quoi on est. La végétation flotte sur un fond indéterminé, de couleur un peu terre. On n‘est pas très loin de ce que vont devenir les ‘Nymphéas’ de Monet qui flottent sur l’eau, beaucoup plus tard", souligne Marina Ferretti.

C’est justement à un projet décoratif qu’est consacrée la fin de l’exposition, le projet pour la salle à manger du Petit Gennevilliers, jamais achevé, mais dont on peut voir quatre beaux panneaux de portes ornés d’orchidées, une espèce de trompe-l’œil qui donne l’impression qu’on entre dans la serre du jardin.
Gustave Caillebotte, "Allée de jardin et massifs de dahlias, Petit Gennevilliers", vers 1890-1891, collection particulière
 (Paris, Comité Caillebotte)


Il y a encore beaucoup à découvrir

Après sa mort en 1894, le Caillebotte peintre a été oublié au profit du Caillebotte collectionneur : quand il lègue sa collection à l’État, comme pour imposer la reconnaissance de ses amis impressionnistes, une partie seulement des œuvres sont acceptées, ce qui provoque un scandale énorme. Toujours modeste, il n’inclut aucune de ses propres œuvres dans cet héritage.

Caillebotte n’avait pas besoin d’argent, il a donc vendu peu d’œuvres. Après les expositions impressionnistes, il a même quasiment arrêté de les montrer. Et à sa mort, l’ensemble de ses œuvres est estimé à 500 francs. On l’a un peu oublié pendant des années et c’est seulement au moment du centenaire de sa mort, en 1994, qu’on a commencé à s’y intéresser. "C’est du coup un peintre passionnant à étudier parce qu’il y a encore beaucoup à découvrir, beaucoup à préciser, beaucoup à revoir dans toutes les idées que nous avons sur lui", se réjouit Marina Ferretti.

Claude Monet disait de Caillebotte : "S’il avait vécu, au lieu de mourir prématurément, à quarante-cinq ans des suites d’un refroidissement, il aurait bénéficié du même retour de fortune que nous autres, car il était plein de talent (…) Il avait autant de dons naturels que de conscience, et il n’était encore quand nous l’avons perdu qu’au début de sa carrière." 
 
 

Appel aux dons pour les "marguerites"

Gustave Caillebotte, "Parterre de marguerites", 1992-1993
 (Paris, Brame & Lorenceau)


Le Musée des Impressionnismes de Giverny a lancé un appel aux dons pour racheter le 'Parterre de marguerites' de Caillebotte, une grande toile, inachevée, destinée elle aussi à décorer la salle à manger du Petit Gennevilliers. Roulée dans un coin à la mort de Caillebotte, elle a été retrouvée par ses héritiers, en mauvais état. Ceux-ci ont décidé de sauver la partie intacte en y découpant quatre panneaux, qui sont présentés dans l’exposition.

"Une décision assez radicale mais ça permet de sauver l’œuvre", estime Marina Ferretti. "Et l’idée de découper ces panneaux conserve son caractère décoratif. Nous voulons les racheter parce que ça garantit le fait qu’elles restent ensemble. C’est particulièrement intéressant car c’est le premier décor peint qu’on connaisse où le fond et la forme ne se distinguent plus très bien, avec une répétition de modules. Et nous pouvons voir la manière dont Caillebotte travaillait : sur la partie inachevée on voit qu’il a laissé en réserve l’espace des marguerites."

 

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