Cet article date de plus d'onze ans.

Nuits, dormeurs et rêves de la Renaissance au musée du Luxembourg

La Renaissance a accordé au rêve une importance nouvelle, comme en attestent la peinture et la gravure. Le Musée du Luxembourg s’est intéressé à la représentation des songes par les artistes de cette période, des belles Vénus endormies italiennes aux monstres peuplant les cauchemars des peintres du Nord.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Francesco d'Antonio, Le Songe de saint Jérôme, vers 1430, Avignon, musée du Petit Palais, dépôt du musée du Louvre
 (RMN - Grand Palais / René-Gabriel Ojéda)

Les artistes de la Renaissance ont abondamment abordé le thème, essentiellement en peinture. Car il est plus difficile de représenter un monde parallèle en sculpture. C’est pourtant sur une sculpture que s’ouvre l’exposition : un plâtre représentant une figure endormie, d’après "La Nuit" de Michel Ange, qui a inspiré des nombreuses sculptures et peintures.
 
La conception du rêve est alors toute autre que celle qui nous est familière. Aujourd’hui, il est vu comme un phénomène rationnel, analysé par les neurosciences ou la psychologie moderne. Au moment de la Renaissance, les rêves mettent en relation avec les puissances de l’au-delà, font entrer en contact avec le divin ou avec les démons.
 

Battista Dossi, Allégorie de la Nuit, vers 1543-1544, Dresde, Staatliche Kunstsammlungen, Gemäldegalerie
 (BPK, Berlin, Dist RMN-Grand Palais / Elke Estel / Hans-Peter Kluth)

 
Le sommeil, source d’inspiration
Battista Dossi figure "La Nuit" sous les traits d’une femme majestueuse, endormie et entourée de monstres, menacée par un homme, avec un château en flammes au fond.
 
Le sommeil, dans une vision positive, est vu comme une "vacance de l’âme", permet à celle-ci de se détacher du corps et accéder à l’inspiration. Pendant qu’Apollon dort comme un bienheureux, un instrument de musique à la main, les neuf muses qui ont abandonné leurs tuniques à ses pieds dansent un peu plus loin (Lorenzo Lotto, "Apollon endormi", vers 1530). Le rêve en devient même une métaphore de l'art.
 
Le sommeil renvoie aussi à la mort, comme dans ces deux représentations de la "Sainte Famille", l’une par Agnolo di Cosimo, l’autre par Lavinia Fontana, où Saint Jean Baptiste veille sur celui de l’Enfant Jésus.
 
Généralement, les artistes ne représentent pas leurs propres rêves et s’inspirent largement de la mythologie et de l’histoire sainte.
 

Paolo Caliari, dit Veronese, La Vision de sainte Hélève, vers 1570-1575, Londres, The National Gallery
 (The National Gallery, Londres, dist RMN-Grand Palais / National Gallery Photographic Department)

 
Comment inscrire l’espace du rêve dans le tableau ?
"Comment peindre le rêve", se demande Yves Hersant, co-commissaire de l’exposition, dans le catalogue ? "L’expérience onirique (…) n’est pas directement communicable", fait-il remarquer, ajoutant que "le songe échappe à la saisie".
 
Les artistes trouvent diverses façons d’inscrire dans l’espace l’univers onirique, de mêler le songe aux "réalités visibles". Dans une somptueuse "Vision de Sainte Hélène", Veronese peint la sainte endormie, appuyée à une fenêtre dans le cadre duquel, image dans l’image, passe une grande croix portée par des anges.
 
Chez Garofalo, le bas des corps de Saint Pierre et Saint Paul qui apparaissent à l’empereur Constantin s’effacent, pour signifier qu’il s’agit d’une vision. Au XVe siècle, on a souvent un personnage endormi sur un lit, abrité, l’extérieur relevant du songe.
 

Dominikos Theotokopulos, dit Le Greco, Le rêve de Philippe II, vers 1579, Madrid, Patrimonio Nacional et Real Monasterio de El Escorial
 (2013, Photo Scala, Florence)

 
Les cauchemars de Bosch
Chez le Greco, "Le rêve de Philippe II" est grandiose, démesuré. Le roi Philippe II est l’intermédiaire entre le monde des cieux, représenté au-dessus des nuages, et le monde terrestre, en bas, où on voit aussi la gueule immense de Léviathan, crachant les âmes des damnés.
 
L’exposition fait une part au cauchemar véritable, les artistes du Nord étant en bonne place dans ce domaine : déchaînant leur imagination, ils inventent des créatures grotesques. Ici, le dormeur n’est pas systématiquement représenté et le sens n’est pas toujours clair, certaines oeuvres restant énigmatiques y compris pour les spécialistes.
 
Un anonyme allemand représente ainsi un dormeur rustre au milieu de créatures hybrides.
 

Ecole de Heronymus Bosch, La Vision de Tondal, 1520-1530, Madrid, Fundaciòn Làzaro Galdiano
 (Museo Làzaro Galdiano, Madrid)

 
A voir en particulier, "La Vision de Tondal" par l’école de Bosch. Tondal, un chevalier imaginé par le moine irlandais Marcus de Cashel au XIIe siècle, est assoupi dans un coin du tableau. Il va gagner son salut en rêvant des châtiments réservés aux perfides et de la béatitude accordée aux bienheureux. Au centre, une tête infernale représente le péché, dans les oreilles poussent des arbres, au bord des yeux courent des rats et des narines un souffle maléfique se déverse dans une cuve où sont plongés les damnés. Plus loin, un malheureux est embroché par un monstre et un buveur gît, décapité.
 
Plus loin, les quatre "Visions de l’au-delà" de Bosch, offrent une vision hallucinée de la montée au ciel et de la descente aux enfers, au milieu des anges et des démons, dans le rougeoiement du feu ou la lumière.

La nuit se termine sur l'aurore et le réveil, où le jour naissant éclaire le monde de douces couleurs et promet des espoirs de résurrection.

La Renaissance et le rêve, Bosch, Véronèse, Le Greco, Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard, 75006 Paris
tous les jours 10h-19h30 (nocturne les lundis et vendredis jusqu'à 22h), fermé le 25 décembre
tarifs : 11€ / 7,5€
du 9 octobre au 26 janvier


 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.