Spoliations nazies : la ville de Marseille restitue un tableau et appelle les maires à un travail d'inventaire
Une toile du peintre Derain a été remise aux héritiers d'un grand collectionneur d'art, René Gimpel, mort en déportation en 1945.
"C'est le sens de l'Histoire" : le maire de Marseille a appelé mercredi 27 janvier ses homologues à un travail d'inventaire et de restitution des œuvres saisies par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale après avoir rendu un tableau du peintre fauviste Derain aux héritiers du collectionneur d'art qui le possédait.
"Aujourd'hui, j'appelle solennellement tous les maires de France à s'engager résolument dans ce travail d'inventaire et de restitution, car c'est notre devoir", a lancé le socialiste Benoît Payan à l'hôtel de ville, indiquant avoir déjà donné des ordres en ce sens pour les musées de Marseille. Au cours d'une cérémonie organisée à la date symbolique de la Journée internationale de la mémoire des victimes de la Shoah, il a restitué au nom de la ville un tableau d'André Derain, Pinède, Cassis, aux héritiers de son ancien propriétaire, le collectionneur juif René Gimpel.
Absents à la cérémonie, les descendants du marchand d'art ont, dans un courrier, remercié la ville, "qui ne connaissait pas le passé douloureux" de l'œuvre, d'avoir "redonné à René Gimpel une part de sa dignité perdue".
"Icône des collections de Marseille"
"Bien sûr que c'est difficile de voir partir ce tableau. Mais justice est dite, la ville doit restituer l'œuvre à ses héritiers. Parce que c'est le sens de l'Histoire", a déclaré Benoît Payan. Le maire de Marseille a annoncé qu'une salle du musée Cantini porterait le nom de René Gimpel en formant le vœu que la toile, "icône des collections de Marseille", admirée en un peu plus de 30 ans par "près d'1 million et demi de visiteurs", puisse "rester un bien partagé" et "reste accessible au public".
Cette restitution fait suite à une décision de la cour d'appel de Paris qui a ordonné fin septembre la remise à la famille du marchand d'art de trois toiles de Derain, peintes entre 1907 et 1910 et conservées au musée d'art moderne de Troyes et au musée Cantini de Marseille. Les deux toiles du musée de Troyes ont déjà été restituées à la famille Gimpel en novembre 2020, a indiqué à l'AFP leur avocate Me Corinne Hershkovitch.
La cour d'appel avait infirmé un jugement de première instance qui refusait la restitution des trois toiles, en expliquant qu'il existait "des indices précis, graves et concordants" que ces tableaux étaient ceux dont avait été spolié le marchand d'art.
Le tableau vendu pour survivre et financer un réseau de résistance
L'histoire tortueuse du tableau Pinède, Cassis, acheté par René Gimpel en 1921 au marchand d'art Daniek-Henry Kahnweiler, débute à Paris en 1940, a raconté à l'AFP l'avocate de la famille. Chassé de la capitale par les lois anti-juives, son appartement réquisitionné par un membre de l'ambassade d'Allemagne, le collectionneur René Gimpel se réfugie dans le sud de la France, notamment à Marseille, où il fonde avec ses fils un réseau de résistance, selon Me Hershkovitch.
Si la plupart de ses œuvres stockées dans 80 caisses sont saisies par les nazis chez son transporteur, il réussit à récupérer par sa secrétaire les trois toiles de Derain qu'il vend pour survivre et financer son réseau. La toile Pinède, Cassis est ainsi vendue en 1941 à un armateur marseillais qui la revend à la ville de Marseille en 1987, selon son récit. "Vendre un tableau quand on a pas le choix parce qu'on est persécuté par une législation antisémite correspond à la définition d'une vente forcée prévue dans l'ordonnance d'avril 1945 sur la nullité des actes des spoliation", explique l'avocate.
René Gimpel a été arrêté en 1944 puis déporté au camp de concentration de Neuengamme, en Allemagne, où il est mort d'épuisement en janvier 1945. Quelque 100 000 œuvres d'art auraient été saisies en France durant la Seconde Guerre mondiale, selon le ministère de la Culture. 60 000 ont été retrouvées en Allemagne à la Libération et renvoyées en France. Parmi elles, 45 000 ont été restituées à leurs propriétaires entre 1945 et 1950.
Mercredi 27 janvier, le Luxembourg a signé un accord avec la communauté juive, prévoyant une série de gestes symboliques et des compensations financières visant à réparer les spoliations liées à la Shoah.
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