Théodore Rousseau, le peintre qui entendait la voix des arbres, à redécouvrir au Petit Palais
Théodore Rousseau a participé à la révolution de l'art du paysage au début du XIXe siècle, peignant la nature pour elle-même, en particulier à Fontainebleau, à partir de Barbizon où il s'était installé. Dans une très belle exposition, le Petit Palais nous révèle un grand peintre, qui n'avait pas été mis en lumière en France depuis longtemps.
La dernière monographie de Théodore Rousseau (1812-1867), un artiste qui disait entendre "les voix des arbres" et parlait d'un "langage des forêts", remonte à 1967 au Louvre. "C'est un de nos plus grands paysagistes", estime pourtant Servane Dargnies-de Vitry, conservatrice peintures au musée d'Orsay et commissaire de l'exposition. Elle rêvait "de faire redécouvrir cet artiste" un peu oublié : "Je pense que c'est resté un artiste fondamental : tout musée français, européen, américain a des Rousseau et montre des Rousseau mais ce n'est pas l'artiste qui est mis au premier plan."
L'Auvergne plutôt que l'Italie
Si, avec les peintres de Barbizon, il a eu beaucoup de succès, il a par la suite été un peu "ringardisé". D'abord "parce que ses tableaux n'ont pas toujours bien vieilli et mériteraient d'être restaurés". Et puis surtout parce que les impressionnistes ont, "petit à petit remplacé dans le goût ces artistes qui étaient pourtant les premiers dans la transformation de l'art du paysage".
Formé dans l'atelier de Jean-Charles-Joseph Rémond, maître du "paysage historique", Théodore Roussot affirme très tôt sa liberté. Il renonce en 1929 à concourir pour le prix de Rome et refuse de faire le traditionnel voyage en Italie, passage obligé pour les peintres de l'époque. Il prend en 1830 le chemin de l'Auvergne, avant de séjourner dans diverses régions de France les années suivantes.
Le paysage, à l'époque, était conçu comme un décor de scènes mythologique, religieuses ou historiques. Théodore Rousseau, lui, est un des premiers à vouloir peindre la nature comme sujet à part entière. "Ça, c'est très moderne parce que les artistes n'avaient pas l'habitude de peindre le paysage tel qu'il était, et le paysage français", souligne Servane Dargnies-de Vitry : "À l’époque ils faisaient des paysages recomposés, idéalisés." Chez Rousseau "les tableaux ne racontent pas une histoire humaine, il s'intéresse vraiment au végétal ou à la nature pour elle-même".
Le "grand refusé"
Dans de petites huiles sur papier, il capte la lumière à la sortie d'une vallée à Grenoble, le ciel gris sur un lac dans le Doubs. Déjà, au début des années 1830, il réalise des études de branches tombées, de troncs au sol.
Théodore Rousseau est refusé au Salon plusieurs années de suite, de 1836 à 1841, et renonce à s'y présenter, jusqu'en 1849. On l'a même surnommé le "grand refusé". "On lui reproche notamment de ne pas terminer ses toiles. L'esthétique du non-fini, c'est quelque chose de très moderne, à l'époque on peint de manière lisse, avec des formes assez claires", explique la commissaire. Or Rousseau peut utiliser de grosses touches qu'il laisse apparentes, comme dans son Paysage avec ciel orageux peint sur le motif vers 1842 où les coups de pinceau traduisent la violence de la tempête dans les nuages.
Et puis il mélange les techniques. "Il est très expérimental dans ses dessins, il fait des dessins sur toile. Il fait des tableaux où on ne sait pas quelles techniques il a utilisées tellement il les mélange. Il ajoute beaucoup de matière, il en enlève, il gratte", explique Servane Dargnies-de Vitry. Dans un Paysage d'Auvergne de 1830 déjà, il mêle l'aquarelle, la gouache et le pastel pour rendre la fluidité de la brume sur une terre sombre et pesante.
Immergé dans la forêt
Bien qu’intitulé Esquisse, un dessin au fusain et à la craie blanche sur une grande toile paraît bien abouti. La frontière entre l'achevé et l'inachevé est souvent floue chez Rousseau. D'ailleurs il a du mal à terminer ses œuvres.
En 1847, il installe son atelier à Barbizon, dans la forêt de Fontainebleau qui attire les artistes depuis le début du siècle. Un cercle va se former autour de lui, de peintres comme Jean-François Millet, ou Narcisse Diaz de la Peña, et aussi de photographes. Du matin au soir, il arpente la forêt où il travaille sur le motif avant de poursuivre son œuvre dans l'atelier, parfois pendant plusieurs années. Dans une profusion de végétation sans horizon éclairée par quelques trouées de lumière, il immerge le spectateur dans la forêt, l'invitant à faire corps avec la nature comme lui. Il saisit le mouvement des nuages, des branches, la lumière d'un coucher de soleil ou l'ombre d'un orage.
Chaque lieu qu'il peint est nommé précisément, d'Apremont aux roches de Franchard. Mais s'il veut peindre la nature telle qu'elle est, l'art de Théodore Rousseau n'exclut pas l'émotion. "On ne copie pas ce qu'on voit avec la précision mathématique mais on sent et on traduit un monde réel, dont toutes les fatalités vous enlacent", dit-il. Certaines de ses œuvres peuvent confiner au fantastique comme sa Mare aux fées. Forêt de Fontainebleau (1848) aux couleurs et aux lumières irréelles.
Portraits d'arbres
La plus belle salle de l'exposition, peut-être, est celle consacrée aux arbres. Car Théodore Rousseau les individualise, il réalise de véritables portraits d'arbres. Il dit entendre leur voix, être surpris par leurs mouvements, ils lui ont, dit-il, "révélé le langage des forêts". Isolés, en gros plan, ils deviennent les personnages principaux de ses tableaux. Si on distingue une toute petite silhouette assise sous L'arbre penché au carrefour de l'Epine, c'est comme pour montrer le caractère grandiose et protecteur de ce grand chêne. Les figures humaines sont toujours secondaires chez Rousseau.
Les arbres qu'il peint, ce sont des chênes, des hêtres, jamais des pins sylvestres, "intrus" dans la forêt dont l'exploitation se développe. Les peintres de Barbizon s'élèvent contre les coupes massives et même le développement du tourisme, favorisé par l'arrivée du train à Melun. Une réalité que Rousseau dénonce dans son tableau Le Massacre des Innocents. Au nom de tous ces artistes, il écrit au ministre de l'Intérieur pour demander la préservation de la forêt. Un combat fructueux puisque dès 1853, une "réserve artistique" est créée.
S'il est incendié par les tenants de l'académisme au début de sa carrière, Théodore Rousseau va vite attirer l'attention de nombreux critiques et l'intérêt d'un nombre croissant de collectionneurs. Et, en 1848, "il est consacré comme le plus grand paysagiste d'Europe", rappelle Servane Dargnies-de Vitry.
Précurseur de l'impressionnisme
À l'Exposition universelle de 1855, il expose deux tableaux du même site à deux moments de la journée, annonçant les séries de Claude Monet. Celui-ci, tout jeune peintre, ira d'ailleurs le rencontrer en forêt. Dans une lettre à son frère Théo, Vincent Van Gogh écrit à quel point les tableaux de Rousseau l'aident à comprendre en quoi une œuvre d'art est "un coin de la création vu à travers un tempérament".
"Son esthétique de l'inachevé, on va la trouver dans l'impressionnisme. Toutes ces petites touches qui forment un tableau quand on recule, on les a déjà chez Théodore Rousseau", fait remarquer la commissaire : "Il a vraiment une postérité dans le sens où son art a transformé à jamais l'art du paysage."
Théodore Rousseau, La Voix de la forêt
Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris
Tous les jours sauf lundi, 10h-18h, nocturne vendredi et samedi jusqu'à 20h pour les expositions temporaires.
Tarifs : 12 € / 10 €
Du 5 mars au 7 juillet 2024
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