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Tintamarre : les peintres et la musique au musée des Impressionnismes de Giverny

Grand tintamarre à Giverny : pianos, guitares, fanfares, bals et concerts, le musée des Impressionnismes s'est intéressé à la représentation de la musique et des instruments dans la peinture, entre 1860 et 1910, une époque où le divertissement est partout, de la rue aux salons. Une belle exposition qui révèle aussi les liens entre les univers de l'art et de la musique (jusqu'au 2 juillet 2017).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
A gauche, Auguste Renoir, "Jeune femme espagnole à la guitare" (1898), Washington, National Gallery of Art, Ailsa Mellon Bruce Collection, 1970 - A droite, Berthe Morisot, "La Mandoline" (1889), Collection particulière
 (A gauche © Washington, National Gallery of Art - A droite © Tous droits réservés / Photo : André Morin)

Dans un grand panier, une guitare est posée à plat, un chapeau jeté dessus : ce tableau d'Edouard Manet ouvre l'exposition du Musée des impressionnismes de Giverny. "C'était le dessus de porte de son atelier rue Guyot à Paris : Manet place d'emblée sa peinture sous les auspices de la musique", souligne Frédéric Frank, le directeur général du musée et commissaire de l'exposition.
 
Car la fin du XIXe est une période de diffusion de la musique, où le divertissement est partout. La fabrication des instruments de musique a évolué, c'est à ce moment qu'ils vont se fixer dans leur forme actuelle : le volume de la guitare grandit, les instruments à vent ont de nouvelles touches, on utilise l'ébène, plus stable que le buis. Les instruments sont produits en plus grande quantité et se diffusent plus largement.

Jean Béraud, "Valmy et Léa", vers 1885-1895, Cleveland, The Cleveland Museum of Art, Bequest of
	Muriel Butkin
 (Cleveland, The Cleveland Museum of Art)


La musique est partout

Cafés-concerts, bals populaires et bals mondains, fanfares, la musique est dehors et dans l'intimité des salons. C'est la fin d'une époque où la performance est nécessaire pour qu'on écoute de la musique : la musique enregistrée est balbutiante, avec le phonographe d'Edison en 1877 et les premiers gramophones à la fin des années 1880. Ces inventions seront vraiment diffusées dans les années 1910-1920, au moment où la TSF commence à remplacer le piano dans le salon. Les peintres témoignent de cette effervescence, avec d'autant plus de sympathie qu'ils sont eux-mêmes musiciens ou ont des musiciens parmi leurs proches.
 
L'exposition s'appelle "Tintamarre, instruments de musique dans l'art". Elle propose une centaine d'oeuvres, tableaux, gravures, partitions, de grands artistes comme Gauguin, Degas ou Bonnard et d'autres moins connus. "Tintamarre, c'était le signal de la fin du labeur aux champs : on faisait tinter une marre, qui était une pelle, avec une pierre. C'est devenu péjoratif mais au départ, il y a une notion festive", explique Frédéric Frank.
 
Il y avait déjà des instruments de musique dans les natures mortes de Chardin, qui ont toujours évoqué la fuite du temps. Mais la musique dans l'art, avant, était vue sous un prisme religieux ou allégorique, rappelle Frédéric Frank. Alors que, au XIXe siècle, "on a toute une série de peintres qui, au-delà des styles, s'intéressent à la vie musicale autour d'eux et nous donnent un témoignage sur la vie de leurs contemporains." Chez Manet, on a un nouveau sujet, la guitare et l'Espagne, en vogue au XIXe : "On a eu ce qu'on a appelé la guitaromanie, une fascination pour la guitare, suivie par la folie du piano."
Albert Bartholomé, "Les Musiciens", dit aussi "Musiciens dans une cour", 1883, Paris, Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de
	Paris
 (Petit Palais / Roger-Viollet)

Fanfares et musiciens de cours d'immeubles

Dehors, on a les fanfares : "A partir des années 1830, mais surtout après la guerre franco-prussienne elles sont un véritable phénomène de cohésion sociale et, pour les enfants, un moyen d'apprentissage de la musique."
 
"L'enfant de troupe" (1870) d'Eva Gonzalez, avec son clairon, hommage au "Fifre" de Manet qui était son professeur, est un témoignage de cet apprentissage. "La musique de la Garde républicaine au Luxembourg" (1887) de Gabriel Boutet témoigne, lui, du rôle des musiciens de ce corps de la gendarmerie, qui réorchestre la Marseillaise, redevenue hymne national en 1879.
 
Dehors toujours, on a les musiciens de rue ou de cours d'immeubles dont on peut voir deux perceptions : l'une, joyeuse, d'Albert André où un guitariste esquisse en pas de danse devant trois enfants subjugués ("Le musicien des rues", 1893). L'autre, plus pathétique, d'Albert Bartholomé, où on devine la misère de ses trois "Musiciens dans une cour" (1883).
Edouard Manet, "La Leçon de musique", 1870, Boston, Museum of Fine Arts, Anonymous Centennial gift in memory of Charles Deering
 (Boston, Museum of Fine Arts)


Les bals mondains de James Tissot et les contrebasses de Degas

A l'intérieur, les grands bals populaires comme le Moulin de la Galette et l'Elysée Montmartre se développent, les spectacles de musique se multiplient : le Palais Garnier ouvre en 1875, le Châtelet et le Théâtre de la Ville en 1861 et 1862. Le Cirque d'hiver et le Cirque d'été accueillent le week-end des orchestres qui veulent populariser les nouveaux compositeurs français et proposent des transcriptions pour piano et orchestre des grandes œuvres lyriques.
 
James Tissot peint des scènes de bal mondain pleines de détails humoristiques, Jean Béraud croque le cancan avec vue sur l'orchestre au café des Ambassadeurs ou représente les musiciens dans la fosse d'un théâtre.
 
Dans une petite huile, "un des chefs-d'œuvre de l'exposition" pour Frédéric Frank, Degas, mélomane averti, imagine une danseuse entre les volutes de deux crosses de contrebasse : "Ca rythme la composition, ça lui donne une dimension très musicale, les volutes reprennent l'idée de mouvement, qui est dans la nature de la contrebasse parce que, à l'époque, c'est l'instrument qui donne le tempo", souligne le commissaire.
Edgar Degas, "Danseuse", 1891, Hambourg, Hamburger Kunsthalle, legs Erdwin et Antonie Amsinck, 1921
 (BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / Elke Walford)

L'Espagne à la mode avec ses guitares, de Manet à James Ensor
La guitare a connu un engouement énorme en France au début du XIXe siècle. Les plus grands compositeurs pour la guitare de l'époque sont à Paris, les Italiens Ferdinando Carulli et Matteo Carcassi, et surtout l'Espagnol Fernando Sor, sans oublier son élève français Napoléon Coste. A la fin du siècle la mode a passé, et la guitare aura même toutes les peines du monde à s'imposer dans les conservatoires au XXe siècle (la classe de guitare du Conservatoire de Paris n'est créée qu'en 1969).

Paradoxalement la figure du guitariste subsiste dans la peinture grâce à la vogue de l'Espagne dans la création artistique en général, de "Carmen" de Bizet (1875) à "Ruy Blas" de Victor Hugo. En peinture, on a un "changement de référence, même si l'Italie reste encore très présente, il y a beaucoup d'artistes qui vont faire leur tour d'Espagne" comme on faisait son tour d'Italie, raconte Frédéric Frank.
 
"Le Guitarrero" d'Edouard Manet, dont on peut voir la version gravée à Giverny, est exposé au Salon en 1860. Il est vu par beaucoup d'artistes et recueille les éloges de la critique, bien que sa guitare, sans doute de facture française et tenue à l'envers, montre le peu de connaissance que le peintre avait de son sujet.
 
Darío de Regoyos, un peintre espagnol également guitariste, qui a rejoint l'avant-garde artistique belge dans les années 1880, incarne cette nouvelle figure pour ses amis Théo van Rysselberghe, Constantin Meunier et James Ensor : il pose avec sa guitare en tenue d'étudiant madrilène.
James McNeill Whistler, "Au piano", 1858-1859, Cincinnati, Taft Museum of Art, Bequest of Louise Taft Semple
 (Cincinnati, Taft Museum of Art / Photo : Tony Walsh, Cincinnati, Ohio)

Le piano, obligatoire pour les filles de bonne famille

Le piano, devenu l'instrument roi, s'impose dans les salons bourgeois où toute bonne maîtresse de maison doit savoir jouer pour divertir ses invités. Certaines femmes renoncent à de belles carrières en se mariant, comme Misia Sert, dont ses amis louaient le jeu. Proche d'Edouard Vuillard qui en fait le portrait au piano, elle a aussi été peinte par Bonnard, Vallotton, Toulouse-Lautrec.
 
Frédéric Frank fait remarquer le portrait "Au piano" de Déborah Haden par James McNeill Whistler, "un des chefs-d'œuvre de l'exposition", une œuvre réalisée tôt par rapport à la chronologie de l'exposition puisqu'elle est présentée au Salon à Paris en 1867. Mais "elle est fondatrice parce qu'elle est vue par Manet, Fantin-Latour, Renoir, Bazille, qui à leur tour vont prendre des femmes au piano comme sujet de peinture". La pianiste, concentrée sur son jeu, est dans une grande robe noire, une petite fille tout en blanc l'écoute avec intensité, appuyée sur le piano : "Le tableau relève le défi de donner l'idée de musique en peinture."
 
Deborah Haden est la demi-sœur de Whistler : les peintres représentent souvent leurs proches en train de jouer de la musique. D'abord les enfants, car dans les bonnes familles, on apprend la musique. Les enfants musiciens, c'est un sujet facile pour les peintres qui les ont autour d'eux, et ça tombe bien car le thème est aussi apprécié des collectionneurs. On a les "Jeunes filles au piano" de Renoir, Berthe Morisot peint sa fille Julie Manet (fille d'Eugène Manet, frère d'Edouard) à la mandoline et au violon.

Pierre Bonnard, "Jeune femme au piano", 1891, Collection particulière
 (Tous droits réservés © ADAGP, Paris, 2017)

Les peintres musiciens, époux de musicienne, mère de musicienne
Les portraits de musiciens sont aussi le signe de la proximité entre les peintres et les milieux musicaux, quand les artistes ne sont pas musiciens eux-mêmes : John Singer Sargent a un piano dans son atelier où il aime jouer entre deux séances de peinture. Il représente un jeune modèle tout en blanc, appuyée sur son piano ("Catherine Vlasto", 1897). Eva Gonzalez, peintre aussi, est représentée au piano par Alfred Stevens, dans une grande robe blanche, une main suspendue pleine de grâce au-dessus du clavier.
 
Nina de Callias tient un salon musical où se retrouvent Manet, Mallarmé, Whistler… Manet a épousé son professeur de piano. Les amis du peintre appréciaient les talents musicaux de Mme Manet et Baudelaire lui a même demandé de jouer pour lui sur son lit de mort.
 
Pierre Bonnard est introduit à la musique par sa sœur Andrée, pianiste. Par l'intermédiaire de leur frère aîné Charles, ils rencontrent Claude Terrasse, professeur de piano et compositeur qui devient le mari d'Andrée et le meilleur ami de Pierre Bonnard. Le peintre fait un portrait japonisant de sa sœur au piano, de son beau-frère devant un piano avec une partition à la main
John Singer Sargent, "Catherine Vlasto", 1897, Washington, D.C., Hirshhorn Museum and Sculpture
	Garden, Smithsonian Institution, Gift of Joseph H.
	Hirshhorn, 1972
 (Washington, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution / Photo : Cathy Carver)


1914, la fin d'une époque

Bonnard illustre aussi les compositions de Claude Terrasse et son "Petit solfège illustré". Car c'est l'âge d'or de la gravure : les partitions sont décorées, comme les affiches, et les artistes participent pleinement à ce phénomène.
 
"Il y a une forme de vie très chaleureuse et c'est toujours autour de la musique et de la peinture que ça se passe", résume Frédéric Frank. Mais, en 1914, Walter Richard Sickert peint une pianiste dans une composition originale en plongée. La toile s'appelle "Tipperary", référence à "It's a Long Way to Tipperary", la chanson des soldats britanniques pendant la Grande Guerre. C'est la fin de cette époque de divertissement généralisé, qui ne reprendra jamais comme avant.

La musique accompagne l'exposition

L'audioguide de l'exposition propose de nombreux extraits musicaux en correspondance avec les tableaux. Le musée des Impressionnismes programme par ailleurs des sessions sur l'histoire des instruments, avec le concours du conservatoire de Vernon, ainsi que des concerts


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