Percez le mystère Antoine Watteau, rockstar de la peinture
Quelques dizaines de tableaux ont réussi à imposer le virtuose du début du XVIIIe. Une superbe expo, à Bruxelles, lui rend hommage.
Une carrière d'étoile filante, des coups de griffes donnés à l'art officiel, une passion pour la musique... Antoine Watteau est un peu l'icône rock de son temps. Ce fils d'un marchand de tuiles, né à Valenciennes en 1684, s'est éteint en 1721, avant d'avoir 37 ans. Il laisse peu de tableaux derrière lui, moins de 80 selon les spécialistes, mais suffisamment pour imposer un univers profondément singulier. Ce virtuose est totalement à contre-courant. Alors que l'époque privilégie les dorures, les scènes de foules, les peintures historiques et religieuses spectaculaires (voyez à quoi ressemble la chapelle royale de Versailles, achevée en 1710), il signe des œuvres mystérieuses, élégantes, dépouillées, qui ne cherchent à célébrer ni le roi ni l'Eglise.
Une exposition au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Belgique) jusqu'au 12 mai nous invite à une "leçon de musique" en compagnie de ce soliste exceptionnel qui s'est pris de passion pour les guitaristes, chanteurs et flûtistes de son temps. Au programme : une trentaine de ses dessins et surtout une quinzaine de toiles, qui permettent de cerner un peu mieux ce personnage secret.
Une musique silencieuse
Watteau a laissé peu de peintures. En revanche, il dessinait continuellement. Selon l'amateur d'art Antoine-Joseph Dezallier d'Argenville, qui fut aussi son biographe, "ses heures même de promenade et de récréations étaient employées à cet exercice". Résultat, ce crayonneur forcené aurait produit entre 2 000 et 3 000 dessins ! Parmi eux, beaucoup se rapportent à la musique, comme cette étude de flûtiste.
La particularité de l'œuvre ci-dessus ? Réalisée en mêlant sanguine (un crayon de couleur rouge), pierre noire et craie blanche (pour réhausser les zones claires), elle est extrêmement précise. Watteau était un observateur attentif et un exécutant rapide : il réussit ici à capter un moment fugace du jeu des musiciens. Ce dessin n'est pas seulement la représentation d'un vague instrumentiste, mais le portrait d'un individu jouant une note précise.
Autre particularité, les œuvres "musicales" de Watteau sont étonnamment silencieuses. Voyez comme ici les chanteurs, la bouche à peine entrouverte, paraissent muets. Le temps semble suspendu, les mélodies, en sourdine. Peut-être parce que le dessin de Watteau, à la fois sensible et fidèle à la réalité, n'exagère pas les attitudes, l'expressivité des visages. C'est l'âme même de ces chanteurs, qui ont l'air d'être en pleine méditation, que le peintre paraît vouloir décrire.
Un mystère savamment entretenu
Antoine Watteau puise dans ses nombreux dessins pour composer des peintures plus complexes, à l'image de cette Partie quarrée, où l'on retrouve une guitare.
Regardez bien ce tableau. Rien ne vous choque ? Avec leurs costumes de la commedia dell'arte (on reconnaît Pierrot à droite et Scaramouche, à gauche) les personnages pourraient être des comédiens. Mais alors pourquoi ne sont-ils pas sur une scène, au centre d'un décor ? Le spectacle est peut-être fini, les acteurs font une pause, à moins qu'il ne s'agisse de nobles déguisés pour une fête... Rien de certain. Watteau entretient volontairement le mystère. Le titre de l'œuvre ne peut même pas nous venir en aide : il lui a été attribué après la mort de l'artiste (comme pour la plupart de ses autres tableaux). Et l'identité des personnages est d'autant plus floue que Pierrot est représenté de dos.
L'image est forte. Suffisamment pour qu'un de ses contemporains, l'artiste François Boucher, copie ce "Pierrot guitariste".
Watteau est d'ailleurs l'un des premiers peintres à représenter régulièrement des sujets détournant le regard. Cette bizarrerie est un peu sa signature.
Dans cet autre tableau, c'est une demoiselle qui nous offre sa nuque. Et ce personnage détourné occupe même une position centrale. Indifférente à tout, elle ne prête aucune attention au spectateur et ne paraît guère émoustillée par la scène amoureuse à sa droite. Grâce à ces anonymes aux expressions naturellement indéchiffrables, Watteau brouille les pistes sur le sens à donner à sa peinture.
Le théâtre de la vie
En fait, les tableaux de l'artiste sont de petits théâtres, un peu comme ceux du Vénitien Canaletto (lire l'article que francetv info lui a déjà consacré). Même si nous n'avons aucun indice pour les décrypter, ils sont un support parfait pour laisser dériver son imagination. Metteur en scène rigoureux et malin, grand amateur de la commedia dell'arte, Watteau convoque régulièrement les personnages emblématiques de la comédie italienne dans sa peinture. Son tableau le plus connu, le Gilles, représente d'ailleurs un Pierrot : vous en trouverez une description sur le site du Louvre, où il est conservé. Pourtant, Watteau ne s'est jamais rendu en Italie, et n'a même vraisemblablement jamais pu assister à un spectacle de commedia dell'arte : les comédiens italiens ont été chassés hors de France en 1697 pour insolence envers la cour !
Dans la mise en scène de ce tableau, rien n'est laissé au hasard. L'œil se pose d'abord spontanément sur le musicien en pleine lumière, suit son regard vers la jeune femme qu'il courtise, qui tourne son visage vers nous : une astuce pour ajouter au dynamisme de la scène. Scaramouche, qui épie aussi la demoiselle, caché dans l'obscurité à droite, ajoute au mystère de la composition.
Là encore, Watteau ne laisse aucun indice sur l'identité de ses personnages dont les traits restent flous. Et le lieu représenté ne donne pas plus de repères. Mais c'est là toute l'intelligence du peintre, qui laisse le spectateur faire la moitié du travail : à partir d'un canevas énigmatique, tisser lui-même sa propre histoire.
Informations pratiques :
Antoine Watteau, la leçon de musique
Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (BOZAR), 23 rue Ravenstein
du 8 février au 12 mai 2013
10h-18h (tous les jours sauf lundi.), 10h-21h le jeudi
10 euros
Tél. : +00 32 (0)2 507 82 00
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