50 ans d'images de Boris Mikhaïlov à la MEP, de la dissidence dans l'Ukraine soviétique à la critique de la société post-communiste
La photographie au service de la subversion, c'est ce que pratique depuis plus d'un demi-siècle l'Ukrainien Boris Mikhaïlov. La MEP à Paris lui consacre une grande rétrospective (jusqu'au 15 janvier 2023).
Une vingtaine de séries, plus de 800 images, c'est une énorme rétrospective du photographe iconoclaste ukrainien Boris Mikhaïlov que propose la Maison européenne de la photographie (MEP) à Paris qui présente plus de 50 ans de son travail, commencé à l'époque de l'Union soviétique.
Depuis la fin des années 1960, Boris Mikhaïlov, né en 1938 à Kharkiv (Ukraine), s'est attaché à montrer l'absurdité la société soviétique, la contradiction entre le discours officiel et la réalité de la vie, tout en se gardant de la critique ouverte, qui aurait pu le conduire en prison. Pour cela, il détourne des images officielles, saisit la rue à la sauvette, associant travail documentaire et photo conceptuelle. Il a poursuivi ce travail pour montrer que la vie dans l'Ukraine post-soviétique n'était pas rose non plus.
Il varie constamment la forme et les techniques, petits formats collés sur des feuilles, noir et blanc, noir et blanc colorisé, colorisation monochrome, grands formats, panoramique, diaporamas. Il a parfois recours à la performance, comme quand il se met en scène, nu, en nouveau héros un peu grotesque.
Du nu censuré à la subversion
Boris Mikhaïlov n'a aucune formation artistique, il est fils d'ingénieurs et ingénieur lui-même à l'époque de l'Union Soviétique. Il s'ennuie et prend goût à la photographie quand on lui confie un appareil pour documenter l'usine où il travaille. Il en profite pour faire des nus de sa femme qu'il développe dans le laboratoire de l'usine. Le KGB tombe dessus ce qui lui vaut quelques ennuis : la morale soviétique associe les photos de nu à de la pornographie. Il est renvoyé de son travail.
Cet incident lui fait penser que les images peuvent être éminemment subversives et il décide de devenir photographe. Il s'agit de naviguer à la frontière entre le permis et l'interdit, une limite "en évolution constante, comme la vie même", écrit-il. Il n'est évidemment pas question de critiquer ouvertement le régime. Il s'amuse à coloriser des images trouvées ou ses propres tirages, portraits de soldats, défilés, événements officiels ou privés (séries Luriki, 1971-1985 et Sots Art, 1975-1986). La pratique est alors courante mais lui, en utilisant des couleurs outrées, en mettant du rouge à lèvres à des personnalités, en le faisant de façon imparfaite, comme une enfant, produit des images kitsch qui ridiculisent le discours officiel ou la figure du héros soviétique.
Il participe à ce moment-là à des expositions clandestines, où les artistes se montrent leur travail dans leur cuisine.
Allusions et sous-entendus
A la même époque, il fait aussi des photos de la vie quotidienne dans les rues de Kharkiv, en noir et blanc, prenant le risque d'être soupçonné d'espionnage (Black Archive). "Les rues sont le miroir de l'ordre social", écrit-il. Plus tard, en 1991, à la veille de la chute de l'URSS, il fera une autre série dans la rue, en panoramique et vers le bas (By the Ground), pour montrer la misère qui gagne, les premiers sans-abri qu'il voit.
Le travail de Boris Mikhaïlov navigue constamment entre documentaire et photographie conceptuelle ou, le plus souvent, allie les deux. Un jour, deux de ses diapositives collées par hasard produisent une troisième image, ça lui plait, et il se met à en superposer d'autres. Il en tire un diaporama (Yesterday's Sandwich), sur The Dark Side of the Moon des Pink Floyd : des corps nus s'impriment sur un paysage, une grande main sort de l'eau. Une série, la plus poétique sans doute, qui "regorgeait d'allusions et de sous-entendus", écrit l'artiste.
"Red" : le rouge dans tous les aspects de la vie
Sa série la plus emblématique, Red (1965-1978), mélange, là encore, des vues de manifestations officielles et d'autres de la vie quotidienne. Elles ont en commun d'avoir toutes au moins une touche de rouge, la couleur qu'on associe au communisme. Sur les premières, ce sont les drapeaux, les affiches. Sur les seconds, un pull, un rouge à lèvres, des boutons d'acné en gros plan. "Une façon de montrer que l'idéologie était vraiment partout et de dire qu'elle infiltrait tous les aspects de la vie", remarque de directeur de la MEP, Simon Baker.
Après la chute du mur, Mikhaïlov n'épargne pas la société postcommuniste, où tout s'achète et se vend, où les mêmes vieilles femmes proposent dans la rue "thé, café, cappuccino". La seule nouveauté, c'était le cappuccino. Choqué par le nombre de SDF qu'il voit à un retour de Berlin où il vit désormais, il fait une série qui met mal à l'aise, où il leur fait exhiber leurs corps meurtris. On ne verra pas la guerre actuelle dans l'exposition, mais Mikhaïlov était dans la rue en 2013 au moment de l'occupation de la place Maïdan
Le photographe associe souvent le texte à l'image, collant des images en noir et blanc au dos des pages d'une thèse inachevée trouvée dans une poubelle, notant ses pensées à côté de ses photos (Viscidity, 1982). Et, pour finir l'exposition, il a imaginé un grand journal intime (Diary) qui réunit des textes et des images tirées de 50 ans de travail, des tirages en noir et blanc de médiocre qualité, parfois colorisées.
Boris Mikhaïlov, Journal ukrainien
Maison européenne de la photographie
5/7 rue de Fourcy, 75004 Paris
tous les jours sauf lundi et mardi, mercredi et vendredi 11h-20h, jeudi 11h-22h, samedi et dimanche 10h-20h
10 € / 6 €
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