A la Fondation Cartier-Bresson, Mathieu Pernot voyage sur les ruines de l'histoire récente du Liban à l'Irak
Des Gitans d'Arles avec la famille Gorgan aux grands ensembles de banlieue, Mathieu Pernot travaille habituellement pas très loin de chez lui. Cette fois, le photographe est parti en voyage, du Liban à l'Irak, sur les ruines du Moyen-Orient.
Pour son dernier travail photographique, Mathieu Pernot a eu envie de se lancer sur les traces de son grand-père au Moyen-Orient, un projet qui lui a valu le prix Henri Cartier-Bresson en 2019. Il est rentré de voyage avec un formidable ensemble d'images qui croise l'histoire de sa famille et l'histoire tragique de la région, les ruines antiques et les destructions récentes. Il est exposé à Paris, à la Fondation Henri Cartier-Bresson.
"Ce projet a pour origine un album photographique réalisé par mon grand-père en 1926, un an après son installation au Liban, pays où il a vécu 35 ans, dans lequel mon père est né et a grandi et dont j'ai très longtemps entendu parler", raconte Mathieu Pernot. Son grand-père, professeur au Liban et photographe amateur, s'est promené au Liban et en Syrie, de Beyrouth et Tripoli à Baalbek, de Homs et Lattaquié à Palmyre. Ses photos ont donné envie à Mathieu Pernot de refaire le voyage, "notamment à partir de 2011, lorsque la guerre de Syrie éclate". Il se demande alors ce que sont devenues ces villes.
Le projet remporte en 2019 le prix Henri Cartier-Bresson, ce qui lui permet d'entreprendre son périple. La réalisation est compliquée, entre le Covid et les conditions difficiles du voyage.
Les gens dans les ruines
Tout commence à Beyrouth en 2019 : Mathieu Pernot a retrouvé l'immeuble où son père a grandi et a même pu y séjourner. "J'ai eu beaucoup de chance, l'immeuble était encore présent, ce qui est le cas de peu d'immeubles des années 1920 au centre-ville de Beyrouth. Et j'ai pu dormir dans l'appartement, qui était en location sur Airbnb. Il n'avait quasiment pas changé, et j'ai dormi dans la chambre de mon père." On reconnait le même carrelage sur des photos de famille datant des années 1920-1930.
Quand Mathieu Pernot retourne à Beyrouth en 2020, après la dramatique explosion du port, l'immeuble, endommagé, est inaccessible et des garde-corps de l'appartement sont tombés dans la rue. Il photographie les navires et les voitures compressés par l'explosion. Par la fenêtre d'un immeuble ravagé, on aperçoit le port meurtri dans la douce lumière du Levant.
A Tripoli (nord du Liban), où son père est né, les murs portent les traces des combats qui ont opposé alaouites et sunnites sur fond de guerre en Syrie. Dans la rue, un homme est allongé au sol, un trou semblant celui d'un impact de balle sur le mur derrière. Il paraît simplement endormi, mais l'image est troublante.
"C'est une image particulière, qui a son importance dans ce projet", souligne Mathieu Pernot. "Je pensais ne photographier que le bâti et les ruines, et ne pas faire de portraits. Mais en me promenant à Tripoli j'ai vu cet homme, et très vite je me suis rendu compte qu'il était important de photographier la présence des gens dans les ruines. Alep ou Mossoul sont des villes totalement détruites dans lesquelles les gens continuent d'habiter. De voir les gens dans les ruines, ça m'a vraiment bouleversé", confie-t-il.
Ironie tragique
Pour un Français, aller au Liban est facile. "Mais aller en Syrie, c'est quasiment impossible. Et quand vous y êtes, vous ne pouvez pas aller partout et vous ne faites pas ce que vous voulez", raconte Mathieu Pernot. A Damas, il est interdit de sortir du centre, relativement épargné par la guerre, pour aller dans la périphérie, très durement touchée. Pour l'exposition, il n'a presque rien gardé de la capitale. Mais dans le livre qui accompagne l'exposition (La Ruine de sa demeure, co-édition Fondation HCB / Atelier EXB), il s'est intéressé à la propagande et aux portraits du président syrien Bachar al-Assad, omniprésents à Damas en affiches sur des poteaux, sur une guérite de police, sur la vitre arrière d'une voiture, au pochoir sur le rideau d'un commerce. "Il y a une espèce de folie de la démultiplication de son visage. On ne retrouve quasiment jamais deux fois la même photo", remarque Mathieu Pernot.
A Alep son image est même placardée sur des immeubles abîmés. Et puis il y a cette image, ironie tragique, d'une boucherie qui s'est réinstallée dans le vieux souk, plus grand marché couvert au monde, classé patrimoine de l'Unesco et presque entièrement détruit. Suspendu à un crochet, celui qu'on a surnommé "le boucher de Damas" nous regarde.
Travailler vite
Les images des destructions, des immeubles soufflés devenus comme des dentelles de béton, sont particulièrement saisissantes à Homs, berceau de la révolution.
Ce projet représente pour Mathieu Pernot un changement radical dans sa façon de travailler. "En général, je travaille avec une réalité qui m'est assez proche géographiquement, j'ai le temps de faire les photos, d'y retourner." Là, il savait qu'il fallait aller vite, il a photographié "presque comme un touriste", dit-il, en prise de vue toute automatique. En Syrie, surtout, dès qu'il sentait qu'il pouvait faire une image, il fallait la faire, vite.
Mathieu Pernot a prolongé son voyage vers le nord de l'Irak, où l'Etat islamique a détruit de nombreux vestiges antiques. Dans le livre, on peut voir des tunnels creusés par Daech dans une colline au-dessus de la plaine de Ninive et au pied de laquelle Alexandre le Grand aurait affronté Darius III au 4e siècle avant JC.
On finit à Mossoul, deuxième ville d'Irak, qui a été la capitale du "califat" de l'Etat islamique de 2014 à 2017 et dont le centre historique est en ruines. La vie reprend forme de façon insolite dans une ferme installée sur le chantier d'un centre commercial bombardé. Guidé par un jeune photographe et vidéaste amateur, il a pu entrer dans les décombres des vieux immeubles qui n'avaient pas toujours été déblayés des cadavres de leurs habitants. Dans ces maisons abandonnées, il a recueilli des photos trouvées sur place. Des images riantes de la vie d'avant, qu'il expose dans une vitrine, "pour ne pas oublier" que des familles ont habité là et y ont mené une vie normale.
Mathieu Pernot, La Ruine de sa demeure : l'exposition
Fondation Henri Cartier-Bresson
79 rue des Archives, 75003 Paris
Du mardi au dimanche, 11h-19h
Tarifs : 9 € / 5 €
Du 8 mars au 19 juin 2022
Mathieu Pernot, La Ruine de sa demeure : le livre
Co-édition Fondation HCB / Atelier EXB
216 pages, 210 photographies couleur, 45 €
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