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Agnès Varda fait danser ses images de Cuba au Centre Pompidou

Agnès Varda voyage à Cuba en 1962-63, un moment où la révolution attire la sympathie de nombreux artistes et intellectuels. Elle y fait des photos dont elle veut tirer un film qui rende compte de l'effervescence dans l'île, mélange de révolution et cha-cha-cha. Ses images, où elle a su insuffler le rythme qui fait vibrer le pays, sont exposées au Centre Pompidou (jusqu'au 1er février 2016).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Agnès Varda, Cuba, six photos de la série "Benny Moré", 1963, Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI / Georges Meguerditchian / Dist RMN-GP © Agnès Varda)

L'an dernier, le Centre Pompidou a acquis 145 photographies d'Agnès Varda, de son voyage à Cuba, raconte Clément Chéroux, le directeur du département de photographie et co-commissaire de l'exposition. C'est une sélection de ces photos et du moyen-métrage qu'elle en a tiré, qui sont exposés à la galerie de photographies du Centre. "Salut les Cubains" est un film d'une demi-heure, sur un texte dit par Michel Piccoli et par elle-même.
 
"Quand on a découvert le travail d'Agnès, tout le monde savait qu'elle avait une œuvre de cinéaste. Mais elle a aussi une œuvre de photographe, et ça on le savait moins. Elle a commencé la photographie à la fin des années 1940 et elle a une formation de photographe", dit Clément Chéroux.
 
Agnès Varda se rend à Cuba en décembre 1962 et janvier 1963, un moment où l'effervescence révolutionnaire est à son comble, quatre ans après le renversement du régime de Fulgencio Batista par Fidel Castro et ses compagnons.

Agnès Varda, Cuba, Fête à Cubanacan, 1963, Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI / Georges Meguerditchian / Dist RMN-GP © Agnès Varda)


Agnès Varda s'étonne qu'on expose ses "vintages"

A ce moment-là on parle beaucoup de Cuba, où la situation est particulièrement tendue après la tentative de débarquement américaine dans la baie des Cochons et juste après l'affaire des missiles. De nombreux intellectuels et artistes français sont invités à La Havane.
 
"Chris Marker y était allé l'année d'avant. Il m'a dit 'faut que tu y ailles', c'est comme ça que ça s'est fait ", raconte Agnès Varda, qui se définit comme une documentariste, pas comme une "intellectuelle". Si elle va à Cuba, c'est pour faire un film, à partir de photos. Elle s'étonne d'ailleurs qu'on ait eu envie d'accrocher ses "vintages", des tirages 18x24 effectués par ses soins pour les besoins du film. Ces "petits trucs que j'ai faits dans mon labo" n'ont jamais été destinés à être exposées, fait-elle remarquer.
 
"Je n'ai pas lu les textes sur Cuba, j'ai essayé d'y aller comme quelqu'un qui veut découvrir." Et elle est séduite par ce qu'elle voit, par l'aspect culturel et joyeux de la révolution : "Il manquait de nourriture, il n'y avait pas de camions pour la transporter, mais on faisait des films, on faisait des expositions et on dansait beaucoup."
Agnès Varda, Cuba, Arrivée de l'órgano de Manzanillo, banlieue de Bayamo, 1963, Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle
 
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI / Georges Meguerditchian / Dist RMN-GP © Agnès Varda)


Socialisme plus cha-cha-cha

"J'ai aimé aller à la campagne, j'ai aimé les surprises", ajoute-t-elle. Elle a aimé l'enthousiasme des étudiants qui partaient alphabétiser les paysans.
 
"Le regard qu'Agnès porte sur Cuba, c'est un regard sur une situation politique et c'est aussi un regard sur le lieu, sur les gens qui y vivent et sur leur vie quotidienne", remarque Karolina Ziebinska-Lewandowska, l'autre commissaire de l'exposition.
 
Dans les photos et le film d'Agnès Varda, il y a plein de gens, des intellectuels et des artistes (Wifredo Lam, Alejo Carpenter, Roberto Retamar…), les Cubains de la rue, qui sourient et dansent beaucoup, les enfants. Les tirages sont exposés parfois de façon isolée, et souvent en séquences, telles qu'elles ont été utilisées pour le film. L'artiste voulait que ce soit "didactique et divertissant", rendre compte de quelque chose qu'elle appelle "socialisme plus cha-cha-cha".
Agnès Varda, Cuba, Cha-cha-cha dansé par des membres de l'ICAIC, dont Sarita Gómez en tenue de militaire, 1963 - Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI / Georges Meguerditchian / Dist RMN-GP © Agnès Varda)

Un film fait avec des photos

Un jour, Agnès Varda rencontre dans un self-service le grand chanteur Benny Moré, surnommé le "barbare du rythme", qui mourra à peine quelques semaines plus tard. Elle lui demande de danser devant son objectif. Une trentaine de tirages de cette série sont exposés : on le voit de près, de loin, jouant avec son chapeau et avec sa canne. On dirait que les images ont été extraites d'un film et, pourtant, c'est l'inverse : le film est fait à partir d'elles.
 
Autre série dans qui révèle le rythme de ces séquences, celle des coupeurs de canne à sucre : sur les photos accrochées au mur le nombre de cannes diminue, avant un portrait de groupe des volontaires partis à la campagne pour augmenter la production. Ou bien celle où elle a invité les employés de l'ICAIC (Institut cubain du cinéma) de danser pour elle dans la rue.
 
Rentrée à Paris avec des milliers de photos, Agnès Varda prépare précisément le déroulement du film, rythmiquement, en calant le temps attribué à chaque photo qui sera filmée en fonction de la bande son et de la musique. En fait, le film "n'a pas été monté par petits morceaux mais il a été filmé monté", dit-elle.
Agnès Varda, Cuba, Au port de La Havane, 1963
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI / Georges Meguerditchian / Dist RMN-GP © Agnès Varda)

Des photos qui dansent sur les murs

La musique et la danse étaient omniprésentes dans le voyage d'Agnès Varda, elles le sont dans son film, bien qu'il parte d'images fixes. Et les deux commissaires de l'exposition "ont réussi à faire danser les photographies sur les murs", se réjouit-elle. Tous les tirages utilisés pour le film (le nom de la série et un numéro étaient inscrits dessus) n'ont pas été retrouvés mais les séquences ont pu être reconstituées avec des doubles d'époque.
 
Cette oeuvre "permettait d'aborder une question qui est très présente dans le travail d'Agnès Varda, le rapport entre le fixe et l'animé", explique Clément Chéroux. "Je suis en effet toujours fascinée par cette frontière que j'essaie de traverser dans tous les sens entre immobilité et mouvement, entre photographie et cinéma, entre noir et blanc et couleur", appuie-t-elle.
 
Les commissaires soulignent aussi la qualité des images d'Agnès Varda. D'abord, "c'est l'occasion de découvrir un regard très original", "des photos surprenantes", dit Karolina Ziebinska-Lewandowska, tandis que Clément Chéroux met le doigt sur la "qualité d'instantanéité" de ses images, ainsi que sur le jeu sur la profondeur de champ et sur les différents plans de l'image.
Agnès Varda, Cuba, 1963 - Collection Centre Pompidou, Paris, Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle
 
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI / Georges Meguerditchian / Dist RMN-GP © Agnès Varda)


Fidel Castro avec des ailes de pierre

Sur une même image, des tas de personnages, femmes, hommes, enfants, habitent différents plans, dans tous les sens, flous, nets, à moitié coupés : un homme en chapeau allume une cigarette, d'autres arrivent par une rue en perspective sur la droite. Au mur, une affiche annonce "Santiago avec Fidel", comme tant d'autres inscriptions et dessins qui partout célèbrent le lider maximo, de façon officielle ou plus artisanale.
 
Le dirigeant cubain, Agnès Varda l'a rencontré pour le photographier ("il était beau, calme et sympathique, on a parlé des heures") et l'a placé de façon à lui faire deux ailes de pierre.
 
Sur une autre photo, des enfants en patins à roulettes foncent vers nous. Ou deux petits courent le long d'un grand mur blanc peint aux couleurs de Cuba. De longues bandes blanches de tickets de loterie flottent dans le vent, cachant des scènes de rue.

Pour Agnès Varda, "chaque photographie est le mystère d'un instant. Il y a eu des choses avant, il y a eu des choses après, il y a eu un contexte historique, un contexte personnel. Et il reste une image fixe".
Agnès Varda devant une affiche de son exposition au Centre Pompidou (10 novembre 2015)
 (Ginies / SIPA)
 
Varda / Cuba, Centre Pompidou, Galerie de photographies (niveau –1), Paris 4e
Tous les jours sauf mardi, 11h-21h
Entrée libre
Du 11 novembre 2015 au 1er février 2016

Dix projections et rencontres sont organisées au Centre Pompidou. Pour évoquer son rapport à la photographie à travers plusieurs de ses films et des films cubains qu'elle présentera elle-même. Parmi eux, "De cierta manera", un film inédit de Sara Gómez, "Fraise et chocolat" de Tomas Gutiérrez Alea et "El otro Cristobal" d'Armand Gatti. Et aussi la série "Une minute pour une image", les "albums imaginaires" d'Agnès Varda. Chaque jour, elle présentait une photo à la télévision. Il y a eu 170 numéros qui seront projetés dans leur intégralité.

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