Après New York et avant Tours, les couleurs de Robert Capa exposées à Budapest
Les plages de Biarritz, les courses de Deauville, des stars comme Humphrey Bogart, Pablo Picasso ou Ingrid Bergman : ces instantanés sereins et colorés tranchent avec le tragique des clichés de la guerre civile espagnole ou du débarquement de Normandie qui ont fait le "mythe" Capa.
Pourtant le photographe, né Endre Ernö Friedmann à Budapest en 1913 avant de construire sa légende sous le nom plus américain de Robert Capa, se battit toute sa carrière pour la couleur, qu'il employa très tôt sans toutefois parvenir à convaincre les salles de rédaction.
Ses photos couleurs, dévoilées en 2014 à l'International Center of Photography (ICP) de New York, sont montrées pour la première fois en Europe au Centre Robert Capa de Budapest ("Capa en couleur", jusqu'au 20 septembre).
Un adepte de la première heure de la couleur
"Les éditeurs refusaient les photos en couleur car ils ne les jugeaient pas assez nobles. Ils ne prenaient que celles en noir et blanc", rappelle Istvan Viragvölgyi du Centre Robert Capa.Contrairement aux idées reçues, Capa fut un "adepte de la première heure" de la couleur. Il étrenne dès 1938, pour un reportage sur la guerre sino-japonaise, le tout nouveau film Kodachrome, mis sur le marché moins de deux ans auparavant.
"Il a très tôt voulu l'utiliser sur le terrain. Le miracle de Capa, c'est cette capacité à toujours se réinventer, y compris en utilisant la couleur", note Istvan Viragvölgyi.
L'expérience est un échec : outre les réticences de la profession et son coût élevé, la Kodachrome est peu adaptée aux couvertures d'actualités. La pellicule doit en effet être envoyée aux Etats-Unis pour y être développée, ce qui rallonge considérablement les délais.
Une véritable intelligence de la couleur
Capa ne se décourage pas et développe une véritable intelligence de la couleur, parallèlement à son art du noir et blanc. "Il sentait réellement quand la couleur pouvait apporter quelque chose à une image", selon Istvan Viragvölgyi. En témoigne une photo de 1943 montrant des méharistes (unité montée à dos de chameaux) dans le désert tunisien, mis en valeur par un ciel d'un bleu intense."En noir et blanc, cette photo aurait été assez fade. Mais ici la couleur renforce l'effet. Elle ne distrait pas l'oeil du spectateur, un reproche qui lui a souvent valu d'être jugée inférieure au noir et blanc", souligne Istvan Viragvölgyi.
A partir de 1947, ayant adopté la nouvelle pellicule Ektachrome, plus commode à développer, Capa travaille systématiquement avec deux boîtiers, l'un pour le noir et blanc et l'autre pour la couleur.
Mais s'il arrive ponctuellement à vendre à Life ou à d'autres grands magazines des reportages en couleur sur des célébrités - un genre considéré comme mineur -, le noir et blanc garde la préférence de la majorité des éditeurs et beaucoup d'images en quadrichromie restent non publiées, dont une série sur Hemingway en vacances de chasse en famille.
Les Ektachrome restaurés
Ce conservatisme agace considérablement le photographe, qui adresse de nombreux courriers aux rédactions en chef pour les conjurer de "vivre avec leur temps". En vain.Robert Capa meurt à 40 ans, en 1954, lors d'un reportage en Indochine, sans avoir pu mener jusqu'au bout son combat pour la couleur. Y compris face à ses confrères de l'agence coopérative Magnum, qu'il cofonda avec Henri Cartier-Bresson en 1947, et qui resta longtemps dominée par le noir et blanc.
Ce retard s'explique pour partie par le fait que la majorité des diapositives en Ektachrome avaient viré, un point faible notoire de cette pellicule. Elles ont pu être restaurées grâce à de nouvelles techniques numériques.
Au total, l'institut new-yorkais compte dans ses archives quelque 4.200 photos en couleurs de Robert Capa, dont 136 sont montrées à Budapest.
L'exposition sera ensuite à l'antenne du Jeu de Paume à Tours (France) à partir de fin novembre.
"Capa in Color", Robert Capa Contemporary Photography Center, jusqu'au 20 septembre 2015
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