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Claudia Andujar à la Fondation Cartier : une grande photographe au service d'un peuple menacé, les Yanomamis

Il y a 50 ans, Claudia Andujar a rencontré les Yanomamis du Brésil. Elle s'est sentie chez elle auprès d'eux. Depuis, inlassablement, elle défend la cause d'un peuple de nouveau menacé. Ses photos sont exposées à la Fondation Cartier à Paris.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
A gauche, portrait de Claudia Andujar, 2019 - A droite, Claudia Andujar : "Susi Korihana thëri au bain", pellicule infrarouge, Catrimani, Roraima, 1972-1974. (A gauche © Victor Moriyama - A droite © Claudia Andujar)

Il y a cinquante ans, la photographe Claudia Andujar, brésilienne d'adoption, est tombée amoureuse des Indiens yanomamis d'Amazonie qui l'ont acceptée et l'ont laissée photographier leurs chasses, leurs habitations, leurs enfants, leurs cérémonies. Ses images sont devenues une arme de la lutte pour faire reconnaître leurs droits. A l'heure où ceux-ci sont de nouveau sérieusement menacés, la magnifique exposition que la Fondation Cartier à Paris consacre à celle que les Yanomamis appellent leur "mère" prend une tonalité particulièrement grave et urgente (jusqu'au 10 mai 2020).

Il y a cinq ans, quand l'idée est née, "cette exposition devait être un hommage à une femme extraordinaire, une photojournaliste et une artiste qui est aussi devenue une militante", explique Thyago Nogueira, le commissaire de l'exposition. Mais le projet a été rattrapé par l'Histoire, quand Jair Bolsonaro a été élu président du Brésil en 2018. Et c'est aujourd'hui l'aspect politique du travail de Claudia Andujar qui prend le dessus.

Claudia Andujar : son combat pour les Indiens d'Amazonie
Claudia Andujar : son combat pour les Indiens d'Amazonie Claudia Andujar : son combat pour les Indiens d'Amazonie (FRANCE 3)

Les Yanomamis avaient trouvé une certaine paix après les assauts de la dictature dans les années 1970. Ils sont de nouveau menacés par la déforestation et les chercheurs d'or. Et l'exposition de la Fondation Cartier s'est imposée comme un outil pour populariser leur cause en Europe. Jair Bolsonaro a promis de revenir sur l'interdiction des activités minières et les autorités ferment les yeux sur le retour des garimpeiros (orpailleurs), pourtant encore illégaux. Selon les observations satellite, le déboisement a augmenté de 85% en Amazonie en 2019.

"Unahi Opiki thëri", Roraima, 1974. (© Claudia Andujar)

Une première visite en 1971

Le chaman et grand leader yanomami Davi Kopenawa, à Paris pour présenter l'exposition, lance un appel pressant aux journalistes européens : "Je voudrais que vous nous aidiez et que vous nous défendiez, pour que notre territoire soit toujours protégé. Je vous demande de mettre de la pression politique sur le président Bolsonaro pour faire expulser immédiatement les orpailleurs clandestins qui sont sur nos terres", déclare-t-il.

C'est toute l'histoire des cinquante dernières années d'un peuple que racontent les photographies de Claudia Andujar. Née en Transylvanie en 1931 d'une mère suisse et d'un père juif hongrois mort en déportation, elle a émigré aux Etats-Unis puis au Brésil où elle a travaillé comme photojournaliste pour des magazines. C'est ainsi qu'elle a rendu visite pour la première fois aux Yanomamis en 1971. C'était encore un peuple qui vivait de façon assez isolée, au nord-est de l'Amazonie brésilienne.

Cette première fois, elle n'y reste que quatre jours et elle rapporte peu d'images, car les Yanomamis voient d'un mauvais œil la photographie : à leur mort, il ne doit rien rester d'eux, sinon la peine des vivants est trop grande et leur âme ne peut pas partir. Claudia Andujar est séduite. Même si elle ne comprend pas encore leur langue, elle communique par des gestes, des mimiques, des regards, des sourires. "Là-bas, j'étais chez moi. Je me sentais bien, comme si j'avais toujours fait partie de cet endroit, intégrée", dira-t-elle plus tard.

"Jeune homme dans un hamac en fibre d’écorce d’arbre", Catrimani, Roraima, 1974. (© Claudia Andujar)

Comme la mère des Yanomamis

Dans les années qui suivent, Claudia Andujar revient souvent, pour des séjours de plus en plus longs. Petit à petit, elle est acceptée, comme personne et comme photographe, et les Yanomamis réaliseront que ses images peuvent servir leur cause. "Elle est comme la mère des Yanomamis, cette femme qui est venue de très loin pour nous sauver la vie", dit Davi Kopenawa.

Les premières années, elle a partagé la vie des Yanomamis dans la forêt, la racontant avec ses photographies. On est saisis par une longue série de magnifiques portraits d'enfants, d'hommes, de femmes, exposés au sous-sol de la Fondation Cartier, pris en lumière naturelle, dans l'obscurité des maisons collectives. En plan serré, les images laissent une partie du visage dans l'ombre.

Claudia Andujar suit les Yanomamis dans leurs chasses collectives. Les longues marches l'épuisent mais lui font dire qu'elle se sent "en harmonie", qu'elle a "trouvé l'essentiel". Elle photographie les campements provisoires, les femmes et les enfants nus dans la forêt, des garçons qui se baignent, la grâce des corps posés dans les hamacs : ces images semblent refléter la sérénité et un grand bonheur sensuel.

"Antônio Korihana thëri, jeune homme sous l’effet de la poudre hallucinogène yãkoana", Catrimani, Roraima, 1972-1976. (© Claudia Andujar)

La photographie au service d'une autre réalité

A l'époque, Claudia Andujar s'éloigne de la pratique documentaire, pour une approche plus artistique. La photographie lui sert à traduire toute la richesse de la culture des Yanomamis, ou du moins ce qu'elle en perçoit. Elle utilise des effets pour créer des images qui ne sont pas un simple rapport de la réalité mais intègrent la dimension spirituelle et surnaturelle de cette société dont elle se sent proche. Pour saisir, peut-être, une autre réalité.

Elle met de la vaseline sur ses objectifs pour créer du flou, capte la lumière zénithale qui traverse le toit de l'habitation collective en fins rayons, elle emploie des filtres. Son travail sur les "reahu", rites funéraires et cérémonies d'alliance avec d'autres communautés, qui peuvent durer des jours, est fascinant.

Avec des vitesses d'obturation lentes, des flashes, des lampes, des surimpositions d'images, elle fait sentir l'intensité des danses, des transes provoquées par l'inhalation rituelle de la "yãkohana", une plante hallucinogène qui permet d'entrer en communication avec les esprits, les "xapiris".

Elle utilise aussi des pellicules infrarouge, qui produisent des effets de couleur tout à fait irréels, en rose, en jaune, en bleu.

"MARCADOS", 1981-1984, Aracá, Amazonas/Surucucus, Roraima, 1983. (© Claudia Andujar)

L'artiste devient militante

Sa vie bascule en 1977, quand elle est expulsée du territoire yanomami. Pendant un an, les autorités lui interdisent d'y retourner. Bloquée à São Paulo, elle prend des contacts et devient une militante de la cause indigène. Son travail photographique va alors s'inscrire dans cette démarche politique. Elle crée avec le missionnaire catholique Carlo Zacquini et l'anthropologue Bruce Albert une association, la Commission pro-yanomami (CCPY) qui défend un projet de territoire préservé.

Car la fin des années 1970 et les années 1980 sont une période de bouleversement pour les Yanomamis, de plus en plus en contact avec les blancs : la dictature qui gouverne le Brésil veut exploiter l'Amazonie, un chantier de route traverse leurs terres, 40 000 chercheurs d'or les envahissent, apportant maladies, prostitution. Les communautés sont désagrégées. Une image raconte bien le choc des cultures : derrières des barbelés, des Indiens nus, de dos, observent les hélicoptères d'une base militaire.

C'est un véritable génocide que Claudia Andujar veut alors dénoncer à travers ses images (environ 15% de la population est décimée). Elle organise des campagnes de vaccination de Yanomamis qui ont adopté les vêtements des blancs. Enfants malades, visages qui expriment une tristesse nouvelle : on sent que l'atmosphère a changé.

"Jeune Wakatha u thëri, victime de la rougeole, soigné par des chamans et des aides-soignants de la mission catholique", Catrimani, Roraima, 1976. (© Claudia Andujar)

Un Yanomami nous parle

Grâce aux années de combat, le gouvernement brésilien avait fini par délimiter, en 1992, un territoire protégé de 9,5 hectares pour les Yanomamis. Après quelques années d'accalmie, ils sont de nouveau menacés.

L'avenir de leur lutte repose désormais entre les mains d'une nouvelle génération, celle de Dario Kopenawa, le fils de Davi, qui a accompagné son père à Paris. "J'ai appris votre langue (le portugais, ndlr) pour savoir nous défendre", proclame le vice-président de l'association Hutukara Yanomami et porte-parole de son peuple, en lutte depuis 15 ans, engagé notamment dans des actions éducatives et de santé.


"Nos arrière-grand-pères ne savaient pas se défendre. Bruce Albert, Claudia Andujar, Carlo Zacquini nous ont aidés. Mais aujourd'hui, ce ne sont pas Bruce ou Claudia qui vous parlent, c'est un Yanomami. Il est important que vous reconnaissiez notre identité", dit-il, souhaitant que "ces photos (nous) fassent réflechir".

Bassin du Catrimani, État de Roraima, photographie de Carlo Zacquini, 1974 (© Carlo Zacquini / Claudia Andujar)

Claudia Andujar, la lutte Yanomami
Fondation Cartier
261, boulevard Raspail, 75014 Paris
Tarifs : 10,50 € (11 € en ligne) et 7 € (7,50 € en ligne)
Tous les jours sauf le lundi, 11h-20h, nocturne le mardi jusqu'à 22h
Du 30 janvier au 10 mai 2020

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