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Elliott Erwitt au Musée Maillol : 5 bonnes raisons d'aller voir la réjouissante rétrospective de cet immense photographe

Il a su saisir comme peu d'autres le petit théâtre de la vie, les instants cocasses et les moments intimes, avec un regard plein d'humour et d'humanité : le photographe Elliott Erwitt fait l'objet d'une riche rétrospective au Musée Maillol à Paris jusqu'au 15 août. Ce parcours en 220 photos est une fête.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
USA. Las Vegas, Nevada. 1957. Tropicana Hotel. Eliott Erwitt dans le reflet du miroir. Il réalisait alors un reportage sur les "showgirls" des spectacles de Las Vegas. (ELLIOTT ERWITT / MAGNUM PHOTOS)

Elliott Erwitt, 94 ans, est ce qu’on appelle un photographe total. Il a tout fait : de la photographie intime, du grand reportage, de la mode, de la publicité. Son regard singulier, à la fois moqueur et plein d’humanité, illumine tout son travail, dont le Musée Maillol (Paris 7e) présente une réjouissante rétrospective jusqu’au 15 août 2023.

Pilier de la prestigieuse agence Magnum où il est entré en 1954 sous la houlette de Robert Capa, Elliott Erwitt est à cheval sur les deux rives de l'Atlantique : né en France de parents immigrés russes en 1928, il a ensuite grandi en Italie avant de faire carrière aux Etats-Unis et de parcourir le monde en tant que reporter. Riche de 220 photos, l'exposition est divisée en une dizaine de thématiques définies par l’artiste lui-même (couples, enfants, chiens, villes etc.). Quel que soit l’angle abordé, on retrouve son regard amusé, ironique mais affectueux. Un régal.

Au Musée Maillol, un visiteur devant une photo d'Elliott Erwitt prise lors d'un concours de "Monsieur nudiste" en Californie en 1983, alors qu'un candidat tente d'influencer le jury... (GINIES MICHEL / SIPA / SIPA)

1 Pour son humour

Si vous aviez le blues en entrant, soyez certain de sortir de cette exposition avec le sourire. Car l’humour est sans aucun doute le trait le plus saillant du travail d’Elliott Erwitt. "Si mes photos permettent aux gens de voir le monde d’une certaine façon, c’est certainement d’y voir les choses sérieuses de manière non sérieuse", reconnaît-il.

Qu’il observe les vacanciers à la plage ou des nudistes sous toutes les latitudes, qu’il immortalise des scènes de rue, des animaux, ou qu’il traite des immeubles comme des personnes, son regard amusé, doucement ironique, sur ses semblables et sur le monde, est sa marque de fabrique. Il parvient même à conserver ce sourire pour des travaux de commande austères – une entreprise de chimie – ou dans ce qu’il appelle ses "abstractions", des clichés dénués de personnages.

Modeste, il assure que ce n’est pas lui qui est drôle, mais les situations et la réalité qui sont drôles. "Il suffit de savoir les saisir", dit-il. Mais s’il a l’œil pour repérer le comique de situation, il sait également provoquer la drôlerie. L’exposition est ainsi jalonnée de ses autoportraits, tous plus désopilants les uns que les autres – avec perruques ou dans des situations loufoques -, confirmant que l’homme à aussi le goût de l’auto-dérision chevillée au corps.

L'un des autoportraits pleins d'humour du photographe Elliott Erwitt qui ponctuent le parcours de la rétrospective au Musée Maillol. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

2 Pour ses clichés de chiens

De toutes les thématiques, celle qui titille le plus les zygomatiques est celle consacrée aux chiens. Le meilleur ami de l’homme y est saisi avec un naturel et une drôlerie inégalées. Le musée Maillol a d’ailleurs choisi une de ses célébrissimes photos de chien pour illustrer cette rétrospective : un petit toutou coiffé d’un bonnet de mémère, oreilles dressées, tenu en laisse par une femme dont on ne voit que le bas du manteau et les élégantes bottes hautes, moins hautes que la paire de pattes incongrues de ce qu’on devine comme étant celles d’un grand Danois, qui pose à ses côtés.

Elliott Erwitt aime nos amis à poils et il leur a consacré plusieurs ouvrages. Pourtant, il n’avait pas pensé particulièrement à photographier des chiens. Ce n’est qu’en regardant ses négatifs après des années d’activité qu’il s’est rendu compte qu’il en avait photographié énormément, comme il le raconte dans Dog Dogs. Il s’est alors mis à les remarquer et les photographier avec plus d’attention. Soit il fait des chiens l’égal des humains – un chien dressé sur ses pattes arrières, comme accoudé au bar avec ses maîtres – soit il cadre à hauteur de canidé, au ras du sol, offrant un point de vue décalé sur l’humanité.

Pour photographier ces charmantes créatures, Elliott Erwitt a une botte secrète : il aboie, créant un effet de surprise. Souvent, l’animal sursaute et cela lui vaut une bonne photo. Autre ruse : les klaxons, dont il possède plusieurs exemplaires, qui fonctionnent aussi pour attirer l’attention des humains et détendre l’atmosphère, sont imparables pour faire dresser les oreilles des cabots. Ces derniers sont à ses yeux des modèles remarquables. "Les chiens sont des personnes incroyables. Ils sont charmants et surtout ils ne réclament pas de tirages", dit il dans une vidéo à l’expo.

Birmingham, Angleterre, 1991. (ELLIOTT ERWITT / MAGNUM PHOTOS)

3 Pour la formidable diversité de son travail

Elliott Erwitt a tout fait. Photographe de l’instantané et de l’intime, photojournaliste accompli, photographe de publicité renommé, photographe d’architecture, photographe de mode, il est aussi réalisateur indépendant. Le parcours de l’exposition est divisé en une dizaine de thématiques définies par Erwitt lui-même, qui vont des couples aux enfants, et des plages aux villes, ce qui permet d’embrasser l’ensemble de son œuvre et ses différents angles d’approche.

S’il a beaucoup d’humour, Elliott Erwitt sait aussi aborder l’intimité avec grâce. La photo comme il dit de "mon premier chat, ma première femme et mon premier enfant", prise sur un lit chez lui à New York en 1953, dans un clair obscur magnifique, porte un regard doux et tendre sur cette trinité. Ce cliché, repéré très tôt par Edward Steichen, directeur du département photo du MOMA, a lancé sa carrière. On remarque également un cliché de Robert Frank et Mary Frank dansant enlacés dans un pas de deux vibrant d’une infinie douceur, saisis dans leur petite cuisine en 1952.

Au dernier étage, dans l’espace consacré aux femmes, le cliché poignant de Jackie Kennedy, très digne alors que quelques larmes s’écrasent discrètement sur sa voilette, aux obsèques de son mari John F. Kennedy, ou bien la mère de Robert Capa effondrée sur la tombe de son fils en 1954, témoignent encore de sa capacité à saisir les sujets graves avec sensibilité. Il sait aussi jeter le trouble et interroger, comme sur cette photo d’un petit garçon noir de Pittsburg qui retourne un revolver jouet sur sa propre tempe. Enfin, il est un portraitiste célébré pour ses clichés de personnalités, de Nixon et Khrouchtchev au Che, sans oublier Marilyn ou Obama.

De l'humour toujours, dans les photos de mode d'Elliott Erwitt exposées dans l'espace couleur de la rétrospective au Musée Maillol. (LAURE NARLIAN / FRANCEINFO)

4 Pour en prendre plein les yeux en noir et blanc et en couleur

Pour son travail personnel, Elliott Erwitt favorise depuis toujours le noir et blanc, n’utilisant la couleur que pour les travaux de commande, si elle est requise. "Il considère que le noir et blanc est l’essence véritable de la photo, qui est la composition, la lumière et le cadrage", nous a confié son assistant Mio Nakamura. "Le noir et blanc fait la synthèse de ce qu’il voit. La couleur est plus descriptive, elle ajoute de la distraction."

Pourtant, ses images en couleur, un aspect de son travail moins connu, sont aussi puissantes et malicieuses, admirablement cadrées et composées, que celles en noir et blanc. Erwitt a d’ailleurs toujours sur lui deux appareils photographiques, un Leica pour l’aspect professionnel, et un Rolleiflex pour l’artiste à l'affût. Sur les 220 photos présentées au Musée Maillol, un tiers sont en couleur. Elles sont rassemblées au rez-de-chaussée, en fin de parcours.

Berkeley, Californie, États-Unis, 1956. (ELLIOTT ERWITT / MAGNUM PHOTOS)

5 Pour son esprit farceur

Elliott Erwitt a une autre particularité : il refuse d’expliquer son travail. Il regrette que les visiteurs d'expositions s'intéressent plus aux cartels explicatifs qu'aux oeuvres, ce qui explique que les cartels  soient si peu bavards au musée Maillol. "Je veux que les gens réagissent émotionnellement à mes photos, pas avec le cerveau", dit-il. Certes, ses photos parlent d'elles-mêmes. Cependant, dans l'album de ce farceur, le flou règne souvent entre instantanés et mises en scène.

Ainsi, l’une de ses photos les plus iconiques, celle du baiser romantique dans le rétroviseur en Californie (ci-dessus), semble extrêmement travaillée. Pourtant c’est une photo saisie au vol d’un couple de sa connaissance qui s’embrassait dans une voiture. A l’inverse, cette image d’un père et son fils, coiffés de bérets, saisis à vélo sur une route de Provence, avec deux baguettes de pain attachées à l'horizontale à l’arrière, qu’on jurerait sortie d’une pellicule de Cartier-Bresson ou Willy Ronis, est en réalité le fruit d’une mise en scène soignée censée attirer les touristes américains en France.

Pour lui, la fabrication gagne à conserver ses mystères : "Les planches contact doivent rester aussi confidentielles que les paroles échangées chez le psychanalyste ou au confessional", dit-il. Quoi qu’il en soit, en sortant de l’exposition, le regard à la fois tendre et moqueur d’Elliott Erwitt, son exceptionnelle attention aux détails, nous accompagnent un moment. On rêverait pouvoir retenir bien plus longtemps encore cette vision singulière, fraîche et neuve, sur nos semblables et sur tout ce qui nous entoure.

Rétrospective Elliott Erwitt au Musée Maillol jusqu'au 15 août 2023
61, rue de Grenelle 75007 Paris
Tel : 33 (0) 1 42 22 25 44
Tous les jours de 10h30 à 18h30, nocturne tous les mercredis jusqu'à 22h
Tarifs : 16,50 euros (consultez le site pour les tarifs réduits)

L'affiche de la rétrospective Elliott Erwitt au Musée Maillol en 2023. (TEMPORA)

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