"Exils" de Josef Koudelka au Centre Pompidou : images de la liberté
"Je n'ai pas eu d'exposition à Paris pendant presque trente ans et quand cette proposition est arrivée, et j'ai dit non, ça ne m'intéressait vraiment pas, je voulais quelque chose de beaucoup plus grand", raconte Josef Koudelka. Pour le Centre Pompidou, qui préparait alors une grande rétrospective d'Henri Cartier-Bresson, avant la grande exposition Walker Evans d'avril prochain, c'était difficile d'accéder à sa demande, explique Clément Chéroux, le commissaire de l'exposition "Josef Koudelka, La fabrique d'Exils".
Josef Koudelka (né en 1938 en Tchécoslovaquie) venait d'accepter de faire une donation au Centre Pompidou : "Comme je pense que la France m'a donné beaucoup, j'ai pensé que je devais donner quelque chose en retour, donc j'ai accepté cette donation." Un cadeau constitué des 75 tirages de sa série "Exils". Il n'était pas chaud pour une exposition dans la (petite) galerie de photographies du Centre, mais l'idée de faire un catalogue l'intéressait, d'autant qu'il devait être publié par Xavier Barral, avec un texte de Michel Frizot, "que j'estime beaucoup". Et il a été facilement séduit par le projet de Clément Chéroux. C'est ainsi que, finalement, il a accepté.
Aux origines, une grande vue d'une place de Prague, vide, un bras tendu en travers avec une montre, qui ouvre l'exposition. Le 22 août 1968, les chars soviétiques viennent d'entrer dans la capitale tchécoslovaque et une manifestation de protestation est prévue. Mais la rumeur a couru qu'il s'agissait d'une provocation pour mater la contestation. Et à l'heure du rendez-vous, la place Wenceslas est totalement vide. Cette image de la série "Invasion" faite par Koudelka à Prague est aussi le point de départ d'"Exils", comme le début d'un compte à rebours : deux ans plus tard, en 1970, à l'occasion d'un voyage à l'étranger, Josef Koudelka décide de ne pas rentrer et commence alors ce long "exil".
Un grand livre de l'histoire de la photographie
"Exils", c'est un ouvrage publié en 1988 par Delpire et réédité deux fois depuis. Il est constitué d'images prises lors des vingt ans d'errance de Josef Koudelka à travers l'Europe, après son départ de Prague. Les images sont présentées une par une, pleine page à droite, en face d'une page blanche à gauche, de façon séparée, donc.Pour l'exposition, "il ne s'agissait évidemment pas de prendre les 75 photographies d''Exils' et de les mettre au mur les unes après les autres", explique Clément Chéroux. "On voulait essayer de montrer comment s'était fabriqué 'Exils', ce livre mythique. Un très grand livre de l'histoire de la photographie, très recherché par les collectionneurs." Clément Chéroux voulait montrer qu'il y avait des cohérences entre les images.
Pour Koudelka, il ne s'agissait pas de raconter une histoire avec des images, il dit qu'il ne croit pas à ce genre de récit, pour lui une bonne photo doit "dire différentes histoires aux différentes personnes qui les regardent". Mais il y a des correspondances entre les images.
Quand Clément Chéroux est allé chez le photographe, il lui a ouvert ses boites à trésors, dont des planches sur lesquelles il avait collé des petites reproductions de ses images, associées par formes, par thèmes ou par matières. Un document regroupe des personnages coupés, un autre des étoffes, un autre des formes qui se répètent.
Des associations par formes, par thèmes, par matières
C'est sur la base de ces associations que les photographies ont été accrochées au mur de l'exposition (et assemblées dans le catalogue). Une route sous les flocons de neige la nuit en Suisse répond au sillage d'un bateau. Un coq suspendu à un fil en Irlande à des mouettes sur la mer.Les Gitans ont fait l'objet d'un ouvrage, publié en 1975. Mais ils sont aussi souvent présents dans les images d'"Exils". Josef Koudelka avait travaillé avec eux en Tchécoslovaquie et, au cours de ses pérégrinations, il se rendait fréquemment à des rassemblements de Gitans. Son existence nomade, pendant vingt ans, l'a encore rapproché des gens du voyage.
Pendant toutes ces années, à la belle saison Josef Koudelka a été sur les routes d'Europe, sans domicile fixe, avec pour seuls bagages son sac de couchage et ses appareils photo en bandoulière. Il ne possède rien et ne paie pas de loyer. Il dort dehors et photographie les chemins, la nature, les villes. L'hiver, il s'arrête à Londres ou à Paris, il est hébergé chez des amis ou à l'agence Magnum. Il en profite pour tirer et éditer ses photos.
Ce qui a intéressé Clément Chéroux, c'est le côté autobiographique d'"Exils". "Avec 'Invasion', Josef a photographié un événement historique important, avec 'Gitans', il a abordé une communauté humaine. Avec 'Exils' il parle beaucoup plus de lui", dit le commissaire. Une des premières associations montrées dans l'exposition, c'est une main du photographe, ses pieds appuyés sur un tronc d'arbre et un tapis, posé dans l'herbe, qui lui sert pour dormir, "quelque chose de tout à fait nouveau qui montre bien l'investissement physique du photographe dans ses images".
Une dimension autobiographique
C'est de l'exil du photographe qu'il s'agit, "un exil politique et aussi un exil personnel. C'est une période de grande solitude et les images montrent ça", estime-t-il. Josef Koudelka confirme : "Quand je suis parti de Tchécoslovaquie, je voulais découvrir le monde", et en même temps, dans une note de 1978 inscrite dans ses carnets, il disait : "Regarde autour de toi mais n'oublie pas de photographier aussi ta vie."35 images d'"Exils" sur 75 sont présentées dans l'exposition. Certaines sont devenues très célèbres, comme celle du chien, espèce de fantôme noir qui se détache sur la neige, au parc de Sceaux. D'autres montrent les talents de Josef Koudelka en matière de composition, comme celle d'une petite fille avec deux personnes en noir, au Portugal, où Clément Chéroux fait remarquer l'imbrication des différentes zones de l'image, "le jeu de construction entre les zones sombres et les zones claires", les éléments qui se répètent.
Une douzaine de photographies trouvées dans les archives de Josef Koudelka y ont été ajoutées : elles n'ont pas été publiées dans l'ouvrage mais auraient pu en faire partie, une Sévillane en amazone sur un cheval, un personnage coupé par un poteau, une image extraordinaire d'un crocodile à moitié dans l'eau avec un reflet mystérieux, une femme en noir sur un mur blanc immaculé au Portugal, un homme dans le blizzard en Albanie…
Des autoportraits au réveil
Mais la trouvaille, c'est une série d'autoportraits que Koudelka a faits le long de son parcours pour montrer tous les endroits où il a dormi. Au réveil il posait son appareil photo au sol à côté de lui, déclenchait le retardateur et se remettait dans son sac de couchage, allongé dans les cailloux, sous un buisson, contre une maison à côté d'une flaque. Et si l'ensemble d'"Exils" est assez sombre, il se dégage de ces petits tirages une impression de liberté absolue très exaltante.Au cours de leur travail, le photographe les avait sortis d'une boîte pour les montrer à Clément Chéroux mais il ne voulait pas les exposer. Le commissaire les a trouvées extraordinaires et a réussi, pour notre plus grand bonheur, à le convaincre. "Il n'y a absolument rien de narcissique dans ces images. C'est quelqu'un qui photographie sa vie ou qui vit sa photographie, un mélange entre ce qu'il est en train de vivre et ce qu'il est en train de photographier. Je pense que c'est ce qui fait le cœur de cette série 'Exils' et qu'elles avaient tout à fait leur place dans cette exposition."
"Dans les années 1980 et au début des années 1990, quand j'entendais parler de ça, je pensais que c'était de la pure mythologie. Je disais : on construit une espèce de figure rimbaldienne du photographe aux semelles de vent. En fait c'est la vérité, ces images en sont la preuve", s'amuse-t-il.
Des tapis de sol qui annoncent les panoramiques
Et le photographe ne semble finalement pas mécontent d'avoir exposé ces images, puisqu'il dit aujourd'hui que, dans une prochaine exposition, il les montrera de nouveau mais en plus grand.Dans le même esprit, Koudelka photographiait les tapis sur lequel il dormait dans différents environnements. Neuf petits tirages sont réunis en carré, dans une composition graphique presque abstraite de formes qui annoncent, pour Clément Chéroux, les panoramiques que le photographe fera par la suite et qui sont sa forme d'expression aujourd'hui.
Cette exposition, "c'est un petit morceau de mon travail que les gens, aujourd'hui, considèrent comme le plus important. Mais, dans trente ans peut-être, on considérera mon travail des trente dernières années sur le paysage (les fameux panoramiques) comme quelque chose de beaucoup plus important", dit Josef Koudelka.
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