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Germaine Krull, le "chien fou" de la photographie, au Jeu de Paume

Germaine Krull, née et morte en Allemagne, a vécu entre-temps dans des tas de pays et vécu une vie de roman. C'est à Paris que son art s'est épanoui, dans les années 1920-1930, et c'est sur cette période que le Jeu de Paume se concentre pour montrer une photographe qui se voulait reporter avant tout, même si des points de vue très personnels caractérisent ses images (jusqu'au 27 septembre)
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Germaine Krull, à gauche, Autoportrait, 1927, Stiftung Ann und Jürgen Wilde, Pinakothek der Moderne, München - A droite, "Rue Auber à Paris", vers 1928, The Museum of Modern Art, New York. Thomas Walther Collection, Gift of David H. McAlpin by exchange
 (Estate Germaine Krull, Museum Folkwang, Essen )

Après la grande rétrospective de 1999, montée à partir des archives déposées par la sœur de Germaine Krull au Folkwang Museum d'Essen et exposée au Centre Pompidou en 2000, Michel Frizot voulait "essayer de faire une exposition qui soit nouvelle" et "montrer de nouvelles images", notamment grâce à de nouveaux fonds accessibles aujourd'hui, qui n'ont pas encore été beaucoup exploités, comme le fonds du Centre Georges Pompidou acquis grâce à la donation Bouqueret, ou la collection du MoMA.
 
Le commissaire de l'exposition a voulu aussi "se départir de la vision d'une artiste d'avant-garde typique de la Nouvelle vision germanique, d'une femme artiste qui produit des images avec une certaine esthétique", pour se rapprocher du point de vue de Germaine Krull, celui de la primauté du reportage. "Le vrai photographe, c'est le témoin de tous les jours, c'est le reporter", écrivait-elle, paradoxalement en introduction d'un portfolio de nus.

Germaine Krull, Publicité Gibbs, L'Illustration, n° 4533, 18 janvier 1930, Collection particulière
 (Estate Germaine Krull, Museum Folkwang, Essen)


La photographie pour les magazines et les livres

L'exposition est axée sur le fait que Germaine Krull expose très peu ses photos et photographie avant tout pour pour publier, dans des magazines et dans des livres. "Elle est le photographe de l'entre-deux-guerres qui a fait le plus de livres", souligne Michel Frizot. Il a cherché de nombreuses images dans les revues, notamment la belge Variété, ou le magazine Vu. Celui-ci, où elle a travaillé avec Elie Lotar et André Kertesz, "a joué un grand rôle dans la carrière de Germaine Krull".
 
Au Jeu de Paume donc, à côté de plus de 130 tirages, dont des inédits, sont présentées les publications auxquelles elle a collaboré. Les pages des livres sont reproduites et accrochées aux murs, ce qui permet de voir plus d'images que dans une vitrine et rend leur lecture plus agréable.
 
Germaine Krull a eu une vie libre et mouvementée, qu'elle a raconté elle-même dans plusieurs biographies. Née allemande en 1897 dans un territoire devenu polonais en 1919, elle vit une enfance et une adolescence assez désordonnées, elle est ballottée de ville en ville et marquée par une éducation atypique, son père refusant de lui faire perdre son temps à l'école. 
Germaine Krull, "Au bon coin, Paris", 1929, collection Bouqueret-Rémy
 (Collection Bouqueret-Rémy)


Une préoccupation sociale

Elle apprend la photographie dans une école à Munich où on la surnomme "chien fou" et s'engage au côté des spartakistes, avant d'être emprisonnée à Moscou en 1921. Après un passage à Amsterdam, elle s'installe à Paris en 1926 et c'est sur ses années parisiennes, les plus fécondes, que l'exposition se concentre.
 
Après des séries de nus, Germaine Krull photographie des installations industrielles, ponts, grues ou silos qu'elle appelle ses "fers" et qu'elle prend en contre-plongée, parfois dans l'ombre, les présentant sous un point de vue singulier.
 
Cohérentes avec ses engagements politiques, ses préoccupations sociales la mènent à faire des reportages sur les clochards de Paris, les ouvrières, les Gitans de la zone, les dimanches à Nogent ou les rues populaires de Marseille, sur lesquels elle ne porte aucun regard misérabiliste. Elle recherche le contact avec ses sujets et ce sont des clochards rigolards ou une fière "manouche" portant son enfant qu'elle nous montre.
Germaine Krull, "Usine électrique, Issy les Moulineaux", 1928, Amsab-Institut d'Histoire sociale, Gand
 (Estate Germaine Krull, Museum Folkwang, Essen)


Vive la voiture

Elle va aux puces, aux Halles, aux fêtes foraines et si les sujets ne sont pas inédits, elle insuffle dans ses images une vie et une énergie qui les distinguent. Elle aime la vitesse, les voitures et la route, livrant des gros plans de pare-chocs ou d'aile de Bugatti, des paysages vus de la route, une borne avec un coin de pare-brise, un plan serré sur un embouteillage.
 
Quand Germaine Krull fait un livre de 100 photos de Paris pour un éditeur berlinois, ce ne sont pas des vues classiques qu'elle propose, qu'il s'agisse des sujets ou des angles.
 
Les effets esthétiques, produisant parfois une atmosphère irréelle, ne sont pas absents de son travail, même lorsqu'il s'agit de reportage : un tas de choux-fleurs aux Halles la nuit peut prendre un aspect tout à fait fantastique, tout comme les énormes tuyaux de l'usine électrique d'Issy-les-Moulineaux dans la pénombre.
Germaine Krull, "Les Halles de nuit (en toute amitié à Van Ecke)", vers 1920 - Amsab-Institut d'Histoire Sociale, Gand
 (Estate Germaine Krull, Museum Folkwang, Essen)


Du Brésil à l'Asie

La vie de Germaine Krull est un roman. En 1940 elle est au Brésil pour servir la France libre, puis en 1942 à Brazzaville pour la propagande photographique, puis à Alger, où elle photographie de Gaulle, avant de participer à la bataille d'Alsace.
 
Après la guerre elle se rend en Asie, s'installe à Bangkok où elle gère un hôtel pendant 20 ans. A la fin des années 1960, adepte du bouddhisme, elle vit en Inde pour soutenir les Tibétains en exil. Si l'exposition ne s'intéresse pas aux dernières années, elle continue à photographier jusqu'au bout. Elle rentre en Allemagne chez sa sœur à 86 ans, en 1983, deux ans avant sa mort.
 
Pour Michel Frizot, toute sa vie Geneviève Krull a été un "chien fou de la photographie".
 
Germaine Krull (1897-1985), Un destin de photographe, Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, Paris 8e
Le mardi : 11h-21h
Du mercredi au dimanche : 11h-19h (fermé le lundi)
Tarifs : 10€ / 7,50€
Du 2 juin au 27 septembre 2015
 

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