Gregory Halpern à la Fondation Cartier-Bresson : le regard subtil d'un Américain sur la Guadeloupe
Imprégné de la poésie d'Aimé Césaire, le photographe Gregory Halpern est parti à la découverte de la Guadeloupe. Il en a rapporté des images pleines de mystère et marquées par l'histoire, qui sont exposées à la Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris.
Couleurs, lumière, puissance de la nature, hommes et femmes de tous âges, animaux, c'est ce qu'on trouve dans les images, belles et parfois surprenantes, rapportées par Gregory Halpern de Guadeloupe, une île qu'il ne connaissait pas et où le photographe américain, qui dit se situer quelque part entre documentaire et fiction, a fait de belles rencontres au gré du hasard. Où il a senti la magie et le poids de l'Histoire. Sa série est exposée à la Fondation Henri Cartier-Bresson jusqu'au 1er novembre.
Une femme au beau corps imposant, nue, de dos, les pieds dans l'herbe, se tient appuyée à une béquille, seule devant l'eau verte. Un mélange de force et de vulnérabilité, dans un lieu paisible qui peut paraître mystérieux. Parmi beaucoup d'autres, c'est une des images particulièrement frappantes de la série réalisée par Gregory Halpern en Guadeloupe. Ce n'est pas une image volée : comme à toutes les personnes qu'il a photographiées pendant les trois mois passés dans l'île, le photographe américain a demandé à cette nudiste si elle voulait bien être prise en photo.
Tous les ans, la fondation d'entreprise Hermès finance un projet photographique réalisé alternativement en France par un artiste basé aux Etats-Unis, et aux Etats-Unis par un artiste basé en France. Quand Gregory Halpern a été sélectionné en 2019, il a choisi, plutôt que de travailler en métropole, de se rendre en Guadeloupe. Il a pensé que c'était "une manière subversive d'envisager la commande" et "une façon d'appréhender la France autrement pour les Américains".
Au hasard de promenades
L'artiste n'a pas pu venir des Etats-Unis pour inaugurer son exposition mais il est présent en visioconférence. Il se décrit comme plutôt timide et parlant très mal le français. Il a pourtant fait de nombreuses rencontres en Guadeloupe, au hasard de promenades à pied vers une destination choisie à l'avance dont il peut être facilement détourné. "Sur le chemin, je vois un bâtiment dans une belle lumière alors je m'arrête pour le saisir. Un superbe chat errant passe par là alors je le photographie, et puis quelqu'un me demande pourquoi je le fais. On se met à parler et ça peut se terminer par un portrait qui se révèle plus important que ma destination initiale."
Parfois avec quelques mots de français basique préparés à l'avance, parfois en anglais, parfois avec une traductrice qui parle aussi créole, il explique aux gens de façon claire et directe son projet et s'étonne toujours qu'ils acceptent d'être photographiés. Souvent, alors, "il y a un échange qui ne se produirait jamais sans l'appareil photo, entre deux personnes qui ne se seraient jamais rencontrées, et ça peut être magnifique".
Dans ses images, Gregory Halpern est sensible à la puissance des corps, à la force des éléments et de la nature où de petites silhouettes semblent dérisoires au sommet d'un piton rocher au-dessus de la mer. On est presque enivré par le rose des fleurs ou de leurs pétales tombés dans la rue, on imagine l'arôme des fruits posés dans une lumière de fin de jour.
Les signes de l'histoire
Ce n'est pas la Guadeloupe des touristes qu'il a souhaité voir et montrer mais un lieu avec sa propre histoire, marquée par la violence coloniale et la douleur, où des gens naissent et vivent. "Ca me gênait d'être un homme blanc, un Américain, un étranger à plein d'égards, et il me semblait que pour aborder le projet sérieusement, il fallait que j'étudie la littérature, l'histoire, en particulier celle de l'esclavage", explique-t-il. Cette histoire, il en a trouvé des signes partout sur place. Ça peut être une statue de Christophe Colomb vandalisée, couverte de peinture noire et laissée en l'état. Ou, plus étonnant, le décret d'abolition de l'esclavage qu'il découvre tatoué sur le dos d'un homme rencontré sur une plage.
De sa série, une des images que Gregory Halpern préfère est celle d'un arbre dans les ruines d'une ancienne prison d'esclaves, dans le Bourg de Petit-Canal, au nord-ouest de Grande-Terre. Les fascinantes racines de ce Ficus Citrifolia ont la force de tout détruire où elles poussent : elles semblent se venger de l'Histoire. Le photographe décrit le jour de la prise de vue comme un moment "envoûtant", tant la scène vue à la fin du jour était forte.
Clément Chéroux, conservateur en chef de la photographie au MoMA de New York, qui a parrainé le projet, salue la forte valeur documentaire de son travail mais souligne aussi son "incroyable qualité métaphorique", qu'il rapproche du surréalisme. Gregory Halpern dit qu'il est entre les deux. "La photographie n'est ni de la pure fiction ni de la non-fiction, elle est dans un entre-deux troublant où j'aime que mes photos se situent : je trouve cet espace à la fois très stimulant et déroutant."
L'empreinte d'Aimé Césaire
Le photographe s'est immergé dans l'oeuvre d'Aimé Césaire avant de partir. "La poésie d'Aimé Césaire est très visuelle et très crue, il n'avait pas peur de parler de la douleur, du sang, des larmes, on y trouve du meurtre, du sexe. Et sa façon de décrire la lumière est visuelle, psychédélique, irréelle. J'ai essayé de l'utiliser pour mes images, pour qu'on puisse sentir la chaleur dans les photos. C'était instinctif mais je pense qu'il était toujours dans un coin de ma tête quand je travaillais." D'ailleurs le titre de l'exposition, Soleil cou coupé, reprend celui d'un recueil du poète martiniquais, baptisé lui-même en référence à un vers d'Apollinaire.
Des têtes de chèvres coupées et brûlées, une main d'enfant qui tient au bout d'une ficelle une poupée en bois la tête en bas, un dé et des cartes posés sur un tissu par terre, il y a du mystère et de la magie dans les photographies de Gregory Halpern, interprétables de multiples façons. L'une d'elles pourrait résumer toute la complexité et la beauté de cette série : debout dans la mer jusqu'aux épaules, un homme noir porte dans ses bras, allongée à la surface, une femme blonde. Il s'agit d'une espèce de massage par flottaison, nous explique le cartel, mais l'image nous invite à porter l'imagination beaucoup plus loin.
Gregory Halpern, Soleil cou coupé
Fondation Henri Cartier-Bresson, 79 rue des Archives, 75003 Paris
Du mardi au dimanche 11h-19h
Tarifs : 9 € / 5 €
Du 8 septembre au 1er novembre 2020 (l'exposition a été prolongée)
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