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Helena Almeida, artiste du corps, au Jeu de Paume

Figure majeure au Portugal, Helena Almeida est peu connue en France. Le Jeu de Paume offre une première rétrospective à Paris à cette artiste qui a abandonné progressivement la peinture dans les années 1960-70 pour s'intéresser à la photographie et utiliser en même temps le dessin, la chorégraphie autour de son corps dont elle fait un médium, affirmant "devenir" son oeuvre (jusqu'au 22 mai 2016).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Helena Almeida, "Pintura habitada" (Peinture habitée), 1975, Collection Fondação de Serralves, Museu de Arte contemporanea, Porto, et "Desenho habitado" (Dessin habité), 1975, Coll Museu Nacional de Arte Contemporanea - Museu do Chiado, Lisbonne
 (A gauche, photo Filipe Braga © Fundação de Serralves - A droite, photo Mario Valente, courtesy MNAC - Museu do Chiado)

Née en 1934 à Lisbonne et fille du sculpteur Leopoldo de Almeida, Helena Almeida se forme à la peinture au département des Beaux-Arts de l'Université de Lisbonne. Marquée par les œuvres de Marcel Duchamp, Yves Klein, Lucio Fontana, elle fait de ses tableaux un objet physique. La toile s'autonomise et investit l'espace, elle glisse dans le cadre qui, lui-même, s'ouvre comme une fenêtre. Quand le tableau se déshabille de sa toile, celle-ci tombant en plis lourds sur le cadre, la référence au corps est déjà là.
 
Puis, dans les années 1970, Helena Almeida va introduire la photographie. "A l'époque, c'était un changement assez radical car la photographie était considérée comme un medium secondaire", fait remarquer João Ribas, co-commissaire de l'exposition et directeur adjoint du musée de Serralves à Porto, où cette rétrospective de 40 ans de travail a été présentée à l'automne.

Helena Almeida, "Tela Habitada" (Toile habitée), 1976, Edition de 3, Colle Galeria Filomena Soares, Lisbonne
 (Photo Filipe Braga © Fundação de Serralves, Porto)


De la peinture à la photographie

Dans la série "Tela habitada" (toile habitée), enroulée dans une toile transparente, l'artiste tourne autour d'un cadre, puis, habillée d'une grande robe de toile blanche, elle s'accroche le cadre sous le menton. "On a alors litteralement son passage de derrière la toile, comme artiste, à l'avant de l'image en tant que 'performer'. Ici la toile se déshabille, là c'est l'artiste qui porte la toile", remarque João Ribas. 
 
Dans la série "Pintura habitada" (peinture habitée, 1975) Helena Almeida peint en bleu par-dessus son image en noir et blanc. Placée au centre, elle repousse deux pans bleus. Ou bien son image se dédouble, grâce à un miroir, sur lequel le trait de peinture progressivement la fait disparaître.
Helena Almeida, "Pintura habitada" (Peinture habitée), 1976, collection Fernando d'Almeida
 (Photo Filipe Braga © Fundação de Serralves, Porto)


Une artiste qui "devient" son oeuvre

Il ne s'agit pas d'autoportraits, affirme-t-elle, son corps concret et physique est un corps universel et il devient lui-même un medium. "J'ai commencé à devenir la peinture, j'ai commencé à devenir mon œuvre, à devenir la chose créée. Et en même temps j'en suis le créateur", dit-elle.
 
"Helena Almeida a travaillé dans l'atelier de son père pour qui elle a été modèle. Elle a l'expérience de la pose, l'expérience de la résistance du corps immobile", raconte Marta Moreira de Almeida, l'autre co-commissaire. Dans son propre travail, elle est en même temps le modèle et l'artiste, occupant deux espaces traditionnellement sexués, l'artiste étant plutôt un homme et le modèle plutôt une femme.
 
Le trait aussi s'envole et prend corps : dans la série "Desenho habitado" (dessin habité), on voit Helena Almeida dessiner sur un cahier à partir duquel le trait part en volume, sous la forme d'un fil de crin noir.
Helena Almeida, Etudes pour le série "Seduzir" (séduire), 2002,
 (Collection Helga de Alvear, Madrid / Caceres)


La photographie, fruit d'un processus complexe

En 1979, dans la série "Ouve-me" (écoute-moi), Helena Almeida apparaît un bandeau noir sur les yeux puis un baillon sur la bouche. Des images créées l'année de la révolution iranienne et qui résonnent particulièrement aujourd'hui dans l'imaginaire politique occidental, évoquant le voile et l'otage, souligne João Ribas. A côté, un panneau de 16 photos montre l'artiste la bouche cousue par le mot "ouve" (écoute). Œuvre féministe ou pas ? Helena Almeida affirme que non. João Ribas pense que son travail l'est et qu'elle refuse d'être définie comme une artiste féministe, pour s'imposer comme une artiste tout court.
 
Depuis les années 1980, Helena Almeida a changé d'échelle et intégré dans son travail le dessin, la chorégraphie. Loin de l'idée de la photographie vue comme la saisie d'un instant précis, ses œuvres sont le fruit d'un processus complexe. Elle commence par dessiner les positions du corps qu'elle veut représenter. Ensuite, il y a un long travail dans l'atelier (celui où, déjà, son père travaillait) qui devient l'espace de ses chorégraphies. A la fin seulement, il y a la prise de vue, effectuée par son mari, l'architecte Artur Rosa.
Helena Almeida, "Seduzir" (Séduire), 2002, coll. Helga de Alvear, Madrid / Caceres
 (Photo Laura Castro Caldas et Paulo Cintra, courtesy Galeria Helga de Alvear, Madrid / Caceres)


Des heures d'étirements pour une image

Au début des années 2000, Helena Almeida crée une série baptisée "Seduzir" (séduire). Une pièce de l'exposition lui est consacrée, où les études préparatoires au dessin, et une vidéo qu'elle appelle aussi "étude", permettent d'appréhender tout le processus qui mène à l'œuvre finale.
 
Le film d'une demi-heure la montre dans l'atelier, un espace vide aux murs blancs et au sol couvert de grandes dalles carrées, où elle effectue son travail quotidien d'étirement du corps. Une performance qui vient entre les dessins et les photos. Habillée de noir et en talons, cette femme qui a alors près de 70 ans enlève une chaussure, attrape son pied, étire sa jambe devant, derrière, s'appuyant sur un tabouret, l'air de souffrir par moments.
Helena Almeida, "Seduzir" (Séduire), 2001, Coll. Helga de Alvear, Madrid / Cáceres
 (Photo Filipe Braga © Fudação de Serralves, Porto)


Un modèle qui fait l'oeuvre

"Cette souffrance du corps fait partie du processus aussi", explique Marta Moreira de Almeida. "Elle dessine des formes étranges puis elle s'entraîne pour les réaliser pour le travail final."
 
Sur les photos, on retrouvera le corps étiré, tordu, pieds et mains en dedans devant les chaussures renversées, en fragments (mains au sol près des pieds), toujours dans le même décor de l'atelier. "Des poses naturelles ou artificielles en vue de communiquer et de séduire", selon João Ribas.
 
Et c'est alors le modèle qui fait l'œuvre d'art, qui est l'oeuvre, une œuvre qu'il aura fallu des dizaines d'années pour modeler. Rien de narcissique pourtant dans le travail d'Helena Almeida. Une belle découverte.

L'exposition est organisée dans le cadre du "Printemps culturel portugais" qui présente la scène artistique portugaise à Paris, un évènement organisé par la Fondation Calouste Gulbenkian, le Jeu de Paume, la Cité de l'Architecture, le Grand Palais et le Théâtre de la Ville

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