Joel-Peter Witkin entre ciel et enfer
Le visiteur est averti, certaines images peuvent choquer. Cette exposition à la BnF n'est pas une rétrospective mais une invitation à traverser l'œuvre de ce photographe "hors norme", adepte du contre-pied.
Dans un monde numérisé, Witkin ne travaille qu'avec l'argentique, la chimie, l'encaustique, les rehauts de couleurs, grattage, déchirure, collage, abrasion ...
Dans un monde où la mort est gommée, cachée, mise à distance, Witkin en fait son sujet de prédilection.
Dans le monde du corps canonisé, idéalisé, stéréotypé, Witkin montre celui des amputés, des malformés, des estropiés, des "différents".
Enfin Witkin assume, revendique la référence à l'histoire de l'art depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui, dont les œuvres, détournées, citées ou transfigurées (voire les trois), habitent toutes ses photographies.
Witkin dialogue avec les burinistes et les aquafortistes
La scénographie de l'exposition met en regard 81 oeuvres du photographe avec 45 gravures de Dürer, Goya, Picasso, Rops et autres grands maîtres de l'estampe. Disposées sans démonstration, les oeuvres se parlent, laissant au visiteur la liberté et la surprise de découvrir les échos qu'elles se renvoient.
Dans l'atelier de Witkin
Witkin a produit peu d'œuvres (entre 500 et 600 en 50 ans de carrière), et pour cause : chaque photographie de Witkin est inscrite dans une aventure qui prend son temps. L'antithèse de Cartier-Bresson, pour qui "l’appareil photographique est un carnet de croquis, l’instrument de l’intuition et de la spontanéité, le maître de l’instant ..." Non. Chez Witkin, il n'y a ni spontanéité, ni instantané. Mais un long travail avant, pendant et après la prise de vue.
Avant, il dessine minutieusement chaque photographie, annote ses croquis, cherche ses modèles (non professionnels, qu'il recrute par petites annonces ou au fil de ses rencontres), construit ses décors, cherche et fabrique les accessoires.
Il prend très peu de prises de vues de sa mise en scène (un ou deux rouleaux). Ensuite, il travaille directement sur le négatif, griffe, frotte, efface. Opérations délicates et risquées, qui aboutissent parfois à la destruction de son travail.
Pour ses tirages, il travaille avec des formules chimiques connues de lui seul. Tirages qu'il triture encore en collages, rehauts de couleur ou d'encaustique, qui donnent à ses épreuves un vernis pictural. Tout ce dispositif fait de ses photographies des œuvres uniques, impossibles à répliquer.
Le corps, le sexe, la mort et Dieu dans un monde à la fois universel et singulier
La vie et la mort sont intimement liées dans ses œuvres. "Witkin est un mystique médiéval, hanté par la religion, la vie éternelle, où le corps souffrant est un vecteur de Salut. En cela il est assez proche des jansénistes ! ", explique Anne Biroleau-Lemagny, commissaire de l'exposition. Pour lui, la mort n'est pas un état effrayant mais une étape vers la Vie Eternelle. Witkin est allé jusqu'à photographier des cadavres, les mettant en scène, déclarant que les morts n'ont pas les mêmes poses que les vivants...
A ses débuts, l'ambition de Witkin était de peindre Dieu. De cette chimère est né un univers singulier, ou se côtoient des êtres étranges, des scènes ritualisées, où fétichisme, vaudou, mythologie se marient avec une iconographie des vanités ou de la martyrologie médiévale.
Ce qui intéresse Witkin, c'est le corps, débarrassé de son intention ou de son identité. Dans presque toutes les photographies, le regard est absent : yeux bandés, visage masqué ou gommé. Il s'agit de concentrer l'attention sur le corps comme mystère de la création, et de "montrer que tous les corps sont possibles", explique Anne Biroleau-Lemagny.
On sort de l'exposition avec l'impression d'avoir fait un voyage dans l'histoire de l'art et du monde, en même temps qu'une expédition dans l'âme et dans l'imaginaire d'un être humain, artiste unique et singulier.
Joel-Peter Witkin. Enfer ou Ciel
Jusqu'au 1er juillet 2012
BnF- Site Richelieu (Paris 75002)
de 10h à 19h dimanche de 12h à 19h
Tarif plein : 7 € / Tarif réduit : 5 €
Et aussi :
Joel-Peter Witkin, Histoire du monde occidental
Galerie baudoin lebon
Jusqu'au 19 mai 2012
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