L'humanité de Marc Riboud, photographe du monde, au musée Guimet à Paris
Il a photographié la Chine de Mao avant tout le monde, puis documenté son évolution. Il a regardé avec sympathie les gens ordinaires, de l'Angleterre au Vietnam, de la Turquie à l'Afghanistan. Le Musée des arts asiatiques Guimet à Paris rend hommage au grand photographe français Marc Riboud, décédé en 2016.
Souvent associé à la Chine, où il s'est rendu de nombreuses fois depuis 1957, le photographe Marc Riboud (1923-2016) a promené son objectif empathique et rigoureux dans de nombreux pays, en Asie, en Afrique ou en Europe. Le Musée des arts asiatiques Guimet, qui a reçu en legs l'ensemble de son oeuvre, peut enfin ouvrir sa belle rétrospective, repoussée plusieurs fois en raison de la crise sanitaire. C'est un grand voyage sensible à travers l'Histoire de la deuxième moitié du XXe siècle qu'il nous offre (l'exposition est prolongée jusqu'au 6 septembre).
"On a le sentiment que Marc se glissait au milieu des êtres et des situations, les personnages sont extrêmement présents. Son regard est plein d'humour mais jamais ironique, sans aucune dureté", remarque Sophie Makariou, la directrice du Musée Guimet.
En 1955, à 33 ans, un jeune photographe partait vers l'Orient dans une vieille Land-Rover. Pendant trois ans, Marc Riboud allait poser son regard tendre et empathique et son œil rigoureux en Turquie, en Afghanistan, au Nepal, en Inde, en Chine et au Japon. Il était déjà le photographe du célèbre Peintre de la tour Eiffel, qui lui avait servi de ticket d'entrée à Magnum. Il avait fait ses premières armes au sein de l'agence sous l'aile d'Henri Cartier-Bresson et de Robert Capa.
Le don de l'observation
Né dans une famille nombreuse de la bourgeoisie lyonnaise, Marc Riboud est un enfant timide. Quand il a 12-13 ans, son père lui offre le Vest Pocket Kodak qu'il a utilisé dans les tranchées pendant la guerre de 14. "Si tu ne sais pas parler, tu sauras peut-être regarder", lui dit-il. "Son père, amateur éclairé de photographie, avait senti que son fils avait ce regard, ce don de l'observation", remarque Lorène Duret, directrice de l'association Les amis de Marc Riboud et co-commissaire de l'exposition.
La rétrospective, chronologique, commence avec ses premières images, à Lyon, où on sent déjà le sens de la composition d'un passionné de géométrie. Après des études d'ingénieur et des débuts dans une usine, Marc Riboud abandonne tout pour devenir photographe. Il monte à Paris qu'il observe en provincial découvrant la capitale : la Seine, les quais, la Tour Eiffel où il photographie les ouvriers qui repeignent la grande dame de fer.
En 1954, Robert Capa l'envoie en Angleterre en lui disant : "Tu es timide, va photographier les filles et apprends l'anglais." Riboud dira qu'il n'a pas tellement vu les filles ni appris l'anglais, mais il a énormément travaillé, à Londres, à Leeds, dans le monde ouvrier ou sur les plages. C'est son premier grand reportage à l'étranger, il affine son regard, se glisse dans des manifestations de dockers.
Vers la Chine
Et puis, l'année suivante, il part pour son premier grand voyage vers l'Orient, qui va durer trois ans. Les enfants et les hammams de Turquie, des figures perdues dans les paysages grandioses d'Afghanistan, la grâce de femmes en burqa. Il passe un an en Inde, de la Chandigarh de Le Corbusier à Darjeeling où de petits personnages circulent dans la brume, sous un parapluie.
Et puis en 1957, c'est le premier voyage en Chine, après des semaines à attendre un visa pour ce pays fermé où personne ne va. "On est juste avant le Grand bond en avant, il est impressionné par l'effort collectif qui est déployé pour l'industrialisation, même si on sait ce qui a suivi. Il passe ses journées dehors, essayant de rencontrer les gens malgré l'obstacle de la langue", raconte Lorène Duret. Il photographie les paysans aux champs ou au cours d'alphabétisation, la foule à Shanghaï où tout le monde n'a pas encore la casquette Mao, la cantine d'une usine ou la Cité interdite sous la neige.
Il y retourne à de nombreuses reprises, documentant l'évolution du pays : la Révolution culturelle en 1965 et une manifestation de soutien au Vietnam sous un grand drapeau rouge, la construction des buildings à Shanghai en 1992, avec toujours l'humain au centre. Il arrive à s'approcher des gens, à entrer dans les maisons. "Je l'ai vu photographier, c'était quelqu'un de très rapide, des très discret, il faisait parfois peut de vues pour une scène", raconte Lorène Duret. Marc Riboud n'est pas vraiment photojournaliste, il se dit "photographe" tout court. Il ne répond à aucune commande. Il a pourtant suivi les soubresauts de l'Histoire, au Vietnam également.
Le Vietnam et "La Jeune fille à la fleur"
Marc Riboud est d'abord à Washington le 21 octobre 1967 lors d'une grande manifestation contre la guerre où il prend cette image iconique de la Jeune fille à la fleur. On en voit plusieurs versions dans l'exposition, une en couleur redécouverte en 2010 par le photographe, et une autre en plan plus large où la jeune fille paraît plus fragile face aux baïonettes. Puis il va sur place plusieurs fois. C'est la Jeune fille à la fleur qui lui ouvre les portes du Nord Vietnam : les autorités ont vu l'image et l'autorisent à aller à Hanoi où il rencontre Hô Chi Minh. Il va aussi au sud photographier Hue en ruine après l'offensive du Têt en 1968.
En même temps que le Vietnam, Marc Riboud découvre, dans le Cambodge voisin, le site d'Angkor, où il est aussi retourné plusieurs fois Ce lieu qui invite à la contemplation l'a marqué. Sous le sourire d'un grand Bouddha, un homme accroupi est en pleine méditation, les yeux levés. Une jeune bonze exprime tout le silence des temples.
Marc Riboud, grand marcheur indépendant et solitaire, s'est passionné pour un autre lieu, les Montagnes jaunes (Huang Shan) de Chine, qui ont inspiré écrivains et artistes chinois, où les brumes envahissent l'espace, percées seulement par les sommets. Les couleurs du photographe y ressemblent à du noir et blanc tellement le paysage est fait de nuances de blanc et de gris. Comme à Angkor, "il parcourt et reparcourt les mêmes endroits qui changent en fonction de la lumière", note Lorène Duret. "Inspiré par son goût pour la peinture chinoise, il a eu l'impression de s'y retrouver."
Marc Riboud, Histoires possibles
Musée national des arts asiatiques Guimet
6 place d'Iena, Paris 16e
Tarifs 11,50 € / 8,50 €
Du 19 mai au 6 septembre 2021
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