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La libération de Paris en images au musée Carnavalet
Le 25 août 1944, Paris était libéré par la 2e Division blindée du général Leclerc et les alliés. Dès le 11 novembre de la même année, le musée Carnavalet ouvrait une exposition sur la libération. 70 ans plus tard, le même musée revient sur cette exposition, pour s'interroger sur la façon dont la mémoire se constitue, notamment à travers les images (jusqu'au 8 février 2015)
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Temps de lecture : 5min
Reportage : N. Lemarignier, J-M. Lequertier, I. Palmer
Deux mois et demi après la libération, le musée Carnavalet écrivait déjà l'histoire : en septembre, François Boucher, conservateur du musée et résistant, avait voulu "réunir les documents indispensables à l'historien de l'avenir" et lancé un appel pour rassembler une "documentation très complète" sur les journées de la libération de Paris.
Mais, réalisée quasiment sur le vif, l'exposition de 1944 relevait davantage de l'émotionnel que de la recherche d'exactitude historique.
Comment raconte-t-on l'histoire avec des images ?
Le projet de la nouvelle exposition du musée Carnavalet, "ce n'est pas de refaire une exposition sur la Libération, mais de voir comment on raconte l'histoire et ce qui va se jouer là-dedans", explique Catherine Tambrun, commissaire de l'exposition.
Le musée possède 4000 photos de la libération de Paris. "Ca fait dix ans que nous travaillons sur ces images", dit-elle. L'idée, c'est de voir "comment on crée un lien avec les images", c'est de comprendre la fabrique de l'image en temps de guerre et rappeler que la narration des événements peut être actualisée à tout moment. Les photos qui avaient déjà été exposées en 1944 sont signalées par un macaron.
Pas d'épuration chez les photojournalistes
L'exposition couvre bien sûr les journées de l'insurrection, depuis les premiers combats, la construction des barricades, l'arrivée de la 2e DB et de la 4e Division d'infanterie américaine, l'arrivée de De Gaulle et le défilé sur les Champs-Elysées, les fusillades et les bombardements de la Luftwaffe qui font encore fait 189 morts et 890 blessés le 26 août.
Elle aborde aussi les quelques jours qui ont suivi, la liesse dans la capitale, les femmes tondues pour avoir eu des relations avec des Allemands et les exécutions de collaborateurs.
L'exposition commence avec des images de l'Occupation, où l'on verra que certains photographes ont travaillé sous l'occupation, avant de couvrir les journées de la libération (du 19 au 26 août), comme Roger Schall, qui photographiait des Allemands en uniforme peignant à Montmartre, dans un Paris vu comme un lieu agréable pour l'occupant. "Il n'y a pas eu d'épuration chez les photojournalistes", raconte Catherine Tambrun. Parce qu'ils ne légendaient pas les photos, ils ont pu défendre une certaine neutralité. Les photographes juifs, en revanche, ont dû se cacher, comme Robert Cohen, fondateur de l'agence AGIP, qui s'est remis au travail dès qu'il a pu, pour couvrir la libération.
La fabrique des héros
Quelques idées fortes traversent l'exposition. Comme celle que les images ont servi à fabriquer des héros. Les photos montrent des hommes brandissant des armes, en pleine action comme les trois insurgés de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève de Jean Séeberger. Mais ces images qui symbolisent la libération sont "une très grande supercherie", selon la commissaire. Les insurgés disposaient seulement de 500 fusils et 800 pistolets parachutés, plus quelques armes volées aux Allemands, raconte-t-elle.
"Et même quand ils ont des armes, ils n'ont que cinq six cartouches", ajoute-t-elle, citant des témoignages qu'elle a recueillis. D'ailleurs il y a peu d'images de vrais combats, et quand on voit les insurgés l'arme levée, on peut se demander s'il ne s'agit pas de mises en scène.
Une image détournée
Une planche-contact de Robert Doisneau montre bien comment, en recadrant autour d'un combattant assis au pied d'une barricade, on en fait un héros solitaire et romantique, alors qu'un camarade était à côté de lui dans l'image originale.
Certains lieux ont été abondamment photographiés, comme la barricade de la rue de la Huchette, "parce qu'elle était pittoresque", alors qu'elle n'avait pas un grand intérêt militaire.
S'il ne s'agit là que d'enjoliver les choses, on a parfois détourné des images, comme celle où on voit le général Von Choltitz signer un papier. Faute de photo de la reddition, on a utilisé celle-ci alors que la feuille sur laquelle il est penché n'est qu'une réclamation après la disparition de ses affaires personnelles à l'hôtel Meurice, siège des forces allemandes à Paris.
Les femmes invisibles
Autre question : si on regarde les images, on se demande où sont les femmes. Pourtant elles étaient là et ont joué un grand rôle dans la Résistance. "Elles servent de passeur, portent des valises. Dans les landaus il y a des armes", précise Catherine Tambrun. Or elles sont invisibles sur les photos de la Libération. Selon la commissaire, les photographes sont des hommes et "ne se rendent pas compte qu'on ne voit pas les femmes".
Le musée Carnavalet a voulu recueillir leurs témoignages, comme celui de Geneviève, qu'on peut entendre sur une carte interactive de Paris. Infirmière engagée dans la Résistance, elle passait des messages à vélo.
L'exposition présent aussi des photographes amateurs qui ont raconté les journées de la libération de Paris dans leurs albums soigneusement légendés.
Paris libéré, Paris photographié, Paris exposé, Musée Carnavalet, 16 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris
Du mardi au dimanche : 10h-18h
Fermé le lundi et les jours fériés
Tarifs : 8€ / 6€ / 4€
Du 11 juin 2014 au 8 février 2015
Mais, réalisée quasiment sur le vif, l'exposition de 1944 relevait davantage de l'émotionnel que de la recherche d'exactitude historique.
Comment raconte-t-on l'histoire avec des images ?
Le projet de la nouvelle exposition du musée Carnavalet, "ce n'est pas de refaire une exposition sur la Libération, mais de voir comment on raconte l'histoire et ce qui va se jouer là-dedans", explique Catherine Tambrun, commissaire de l'exposition.
Le musée possède 4000 photos de la libération de Paris. "Ca fait dix ans que nous travaillons sur ces images", dit-elle. L'idée, c'est de voir "comment on crée un lien avec les images", c'est de comprendre la fabrique de l'image en temps de guerre et rappeler que la narration des événements peut être actualisée à tout moment. Les photos qui avaient déjà été exposées en 1944 sont signalées par un macaron.
Pas d'épuration chez les photojournalistes
L'exposition couvre bien sûr les journées de l'insurrection, depuis les premiers combats, la construction des barricades, l'arrivée de la 2e DB et de la 4e Division d'infanterie américaine, l'arrivée de De Gaulle et le défilé sur les Champs-Elysées, les fusillades et les bombardements de la Luftwaffe qui font encore fait 189 morts et 890 blessés le 26 août.
Elle aborde aussi les quelques jours qui ont suivi, la liesse dans la capitale, les femmes tondues pour avoir eu des relations avec des Allemands et les exécutions de collaborateurs.
L'exposition commence avec des images de l'Occupation, où l'on verra que certains photographes ont travaillé sous l'occupation, avant de couvrir les journées de la libération (du 19 au 26 août), comme Roger Schall, qui photographiait des Allemands en uniforme peignant à Montmartre, dans un Paris vu comme un lieu agréable pour l'occupant. "Il n'y a pas eu d'épuration chez les photojournalistes", raconte Catherine Tambrun. Parce qu'ils ne légendaient pas les photos, ils ont pu défendre une certaine neutralité. Les photographes juifs, en revanche, ont dû se cacher, comme Robert Cohen, fondateur de l'agence AGIP, qui s'est remis au travail dès qu'il a pu, pour couvrir la libération.
La fabrique des héros
Quelques idées fortes traversent l'exposition. Comme celle que les images ont servi à fabriquer des héros. Les photos montrent des hommes brandissant des armes, en pleine action comme les trois insurgés de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève de Jean Séeberger. Mais ces images qui symbolisent la libération sont "une très grande supercherie", selon la commissaire. Les insurgés disposaient seulement de 500 fusils et 800 pistolets parachutés, plus quelques armes volées aux Allemands, raconte-t-elle.
"Et même quand ils ont des armes, ils n'ont que cinq six cartouches", ajoute-t-elle, citant des témoignages qu'elle a recueillis. D'ailleurs il y a peu d'images de vrais combats, et quand on voit les insurgés l'arme levée, on peut se demander s'il ne s'agit pas de mises en scène.
Une image détournée
Une planche-contact de Robert Doisneau montre bien comment, en recadrant autour d'un combattant assis au pied d'une barricade, on en fait un héros solitaire et romantique, alors qu'un camarade était à côté de lui dans l'image originale.
Certains lieux ont été abondamment photographiés, comme la barricade de la rue de la Huchette, "parce qu'elle était pittoresque", alors qu'elle n'avait pas un grand intérêt militaire.
S'il ne s'agit là que d'enjoliver les choses, on a parfois détourné des images, comme celle où on voit le général Von Choltitz signer un papier. Faute de photo de la reddition, on a utilisé celle-ci alors que la feuille sur laquelle il est penché n'est qu'une réclamation après la disparition de ses affaires personnelles à l'hôtel Meurice, siège des forces allemandes à Paris.
Les femmes invisibles
Autre question : si on regarde les images, on se demande où sont les femmes. Pourtant elles étaient là et ont joué un grand rôle dans la Résistance. "Elles servent de passeur, portent des valises. Dans les landaus il y a des armes", précise Catherine Tambrun. Or elles sont invisibles sur les photos de la Libération. Selon la commissaire, les photographes sont des hommes et "ne se rendent pas compte qu'on ne voit pas les femmes".
Le musée Carnavalet a voulu recueillir leurs témoignages, comme celui de Geneviève, qu'on peut entendre sur une carte interactive de Paris. Infirmière engagée dans la Résistance, elle passait des messages à vélo.
L'exposition présent aussi des photographes amateurs qui ont raconté les journées de la libération de Paris dans leurs albums soigneusement légendés.
Paris libéré, Paris photographié, Paris exposé, Musée Carnavalet, 16 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris
Du mardi au dimanche : 10h-18h
Fermé le lundi et les jours fériés
Tarifs : 8€ / 6€ / 4€
Du 11 juin 2014 au 8 février 2015
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