La Palestinienne Ahlam Shibli interroge la notion du "chez-soi" au Jeu de Paume
"Phantom Home", c’est le titre de l’exposition, qui a été traduit en français par "Foyer fantôme". La notion de "home", pourtant, va bien au-delà du foyer. Le chez-soi, c’est la maison, c’est aussi la terre, le pays et, pourquoi pas, son propre corps, le "chez-soi" premier. On peut se battre pour son "chez-soi", mais il peut être source, aussi, d'oppression.
Dense, l’exposition s’ouvre sur une série de petites photos simples réalisées en 2000. "Autoportrait" met en scène une fille et un garçon comme en fuite dans une espèce de no man’s land, entre campagne, route, tunnel. Les images poétiques ont été prises près de l’endroit où Ahlam Shibli a grandi. Un "retour sur les lieux qui m’ont montré qui je suis", dit l’artiste en légende.
De la Palestine à la Palestine en passant par l'Europe
On commence en Palestine, donc. L’exposition se terminera en Palestine aussi, après un détour par la Pologne, la France et plusieurs villes d’Europe. Le dernier travail de l’artiste, magistral, s’appelle "Death" (mort). Il est comme l’aboutissement des précédents. Ahlam Shibli a travaillé sur la représentation des "martyrs" en Palestine, en se concentrant sur la région de Naplouse dans les années 2011-2012.
Les "martyrs", il y a ceux qui ont été tués par l’armée israélienne et ceux qui ont décidé d’aller tuer en se tuant eux-mêmes. Leur image est partout, dans l’espace privé et public. Dans les cimetières, sur leurs tombes, qui sont devenus des monuments. Dans la maison de leur famille et sur les murs de la ville, sous forme d’affiches, de peintures, de graffiti. Ils sont mis en scène avec des armes.
Les contradictions du "chez-soi"
Pour l’artiste, leur acte résulte d’un "besoin de reconnaissance" comme Palestinien, un "besoin des autres", un "besoin de forcer les autres à me reconnaître". Et aussi d’un "besoin de chez-soi".
Bien sûr, "c’est mon interprétation", dit-elle. D’ailleurs Ahlam Shibli insiste bien sur le fait que son travail n’est pas "documentaire".
Elle souligne les contradictions de ce besoin de "home" : les Palestiniens des Territoires, en résistant contre l’occupation de leur "chez-eux", amènent pourtant les Israéliens à détruire leur maison. Ahlam Shibli met en opposition ce travail à un travail précédent, "Trackers" (2005), sur les Bédouins qui servent ou ont servi dans l’armée israélienne. "Leur besoin de construire leur maison les amène à rejoindre l’ennemi". Ils sont alors autorisés à acheter des terres, mais il s’agit de terres qui ont été volées à leurs anciens, souligne-t-elle.
Ahlam Shibli rapproche son travail de l'écriture
Les images d’Ahlam Shibli ne s'envisagent pas seules mais sont conçues en séquences.
En amont, il y a un travail intellectuel. "J’ai besoin d’un grand travail de préparation. Je fais des recherches, je fais un script", avant d’aller faire les photos et construire des séquences, car, pour l’artiste, la photo est "proche de l’écriture".
Quelquefois, ça colle, et quelquefois, ça ne marche pas, il faut réécrire l’histoire. Comme lors de son travail en Pologne, où elle a travaillé dans des orphelinats et s’est aperçue que les enfants se créaient leur propre maison, une maison d’enfants, pas une maison conçue par les adultes.
Le corps, premier "chez-soi"
Depuis quelque temps, elle accompagne ses photos de légendes, de plus en plus détaillées. Sauf pour "Eastern LGBT" (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), un travail sur des Orientaux qui ont quitté leur pays parce que leur société d’origine "refuse à l’individu de vivre dans son propre corps". A Zurich, Barcelone, Tel-Aviv et Londres, elle les a rencontrés le week-end dans des clubs, s’intéressant à "comment le corps est le premier ‘chez-soi’". Là, pour ces photos pleines de pudeur, elle n’a pas fait de légendes, n’a pas donné le nom de ses sujets, "parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité", même à l’étranger.
En France, Ahlam Shibli a travaillé à Tulle, s’intéressant parallèlement aux commémorations de la résistance anti-nazie et aux guerres coloniales. "Trauma" est construit autour de ce paradoxe : une même population, parfois les mêmes individus qui ont combattu l’occupation allemande, ont mené, plus tard, des guerres en Indochine et en Algérie.
Ahlam Shibli, Phantom Home (Foyer fantôme), Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris
mardi : 11h-21h
mercredi à dimanche : 11h-19h (fermé le lundi et le 1er mai)
tarifs : 8,5€ / 5,5€
du 28 mai au 1er septembre 2013
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