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La Palestinienne Ahlam Shibli interroge la notion du "chez-soi" au Jeu de Paume

Le Jeu de Paume expose le travail d’Ahlam Shibli, une photographe palestinienne qui s’intéresse à la notion de "chez-soi". Une question complexe, et essentielle quand on est Palestinien. Mais elle l’a explorée aussi hors de son pays, dans des orphelinats en Pologne, à Tulle, et dans des clubs gays fréquentés par des Orientaux dans plusieurs villes occidentales (jusqu'au 1er septembre 2013)
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Ahlam Shibli, Sans titre (Eastern LGBT n°22), International, 2004 / 2006, Courtesy de l'artiste
 (Ahlam Shibli)

"Phantom Home", c’est le titre de l’exposition, qui a été traduit en français par "Foyer fantôme". La notion de "home", pourtant, va bien au-delà du foyer. Le chez-soi, c’est la maison, c’est aussi la terre, le pays et, pourquoi pas, son propre corps, le "chez-soi" premier. On peut se battre pour son "chez-soi", mais il peut être source, aussi, d'oppression.
 
Dense, l’exposition s’ouvre sur une série de petites photos simples réalisées en 2000. "Autoportrait" met en scène une fille et un garçon comme en fuite dans une espèce de no man’s land, entre campagne, route, tunnel. Les images poétiques ont été prises près de l’endroit où Ahlam Shibli a grandi. Un "retour sur les lieux qui m’ont montré qui je suis", dit l’artiste en légende.

Ahlam Shibli, Sans titre ( Self Portrait n°7), Palestine, 2000, Courtesy de l'artiste
 (Ahlam Shibli)
 
De la Palestine à la Palestine en passant par l'Europe
On commence en Palestine, donc. L’exposition se terminera en Palestine aussi, après un détour par la Pologne, la France et plusieurs villes d’Europe. Le dernier travail de l’artiste, magistral, s’appelle "Death" (mort). Il est comme l’aboutissement des précédents. Ahlam Shibli a travaillé sur la représentation des "martyrs" en Palestine, en se concentrant sur la région de Naplouse dans les années 2011-2012.
 
Les "martyrs", il y a ceux qui ont été tués par l’armée israélienne et ceux qui ont décidé d’aller tuer en se tuant eux-mêmes. Leur image est partout, dans l’espace privé et public. Dans les cimetières, sur leurs tombes, qui sont devenus des monuments. Dans la maison de leur famille et sur les murs de la ville, sous forme d’affiches, de peintures, de graffiti. Ils sont mis en scène avec des armes.
Ahlam Shibli, Sans titre (Death n°48), Palestine, 2011-2012, Vieille ville, quartier d'al-Kasaba, Naplouse, 5 février 2012. Chez un vendeur de légumes, une affiche montre les martyrs 'Abd al-Rahman Chinnawi, 'Amar al'Anabousi et Basim Abu Sariyah des groupes de résistance armée Faris al-Leil (Chevaliers de la Nuit), lesquels font partie des Brigades des martyrs d'al-Aqsa. Dans la marge figure un portrait de Naif Abu Charkh, chef des Brigades des martyrs d'al-Aqsa à Naplouse. Un autocollant montre un poing dressé aux couleurs palestiniennes, avec cette légende : "Nous exigeons la fin de l'occupation. Boycottez le Tapuzina (une boisson sans alcool israélienne). Initiative nationale palestinienne."
 (Ahlam Shibli)
Les contradictions du "chez-soi"
Pour l’artiste, leur acte résulte d’un "besoin de reconnaissance" comme Palestinien, un "besoin des autres", un "besoin de forcer les autres à me reconnaître". Et aussi d’un "besoin de chez-soi".
 
Bien sûr, "c’est mon interprétation", dit-elle. D’ailleurs Ahlam Shibli insiste bien sur le fait que son travail n’est pas "documentaire".
 
Elle souligne les contradictions de ce besoin de "home" : les Palestiniens des Territoires, en résistant contre l’occupation de leur "chez-eux", amènent pourtant les Israéliens à détruire leur maison. Ahlam Shibli met en opposition ce travail à un travail précédent, "Trackers" (2005), sur les Bédouins qui servent ou ont servi dans l’armée israélienne. "Leur besoin de construire leur maison les amène à rejoindre l’ennemi". Ils sont alors autorisés à acheter des terres, mais il s’agit de terres qui ont été volées à leurs anciens, souligne-t-elle.
Ahlam Shibli, Sans titre (Trackers n°57), Lakhich Army Base, Beit Gubrin, Israël / Palestine, 2005, Courtesy de l'artiste
 (Ahlam Shibli, Sans titre (Trackers n°57))
 
Ahlam Shibli rapproche son travail de l'écriture
Les images d’Ahlam Shibli ne s'envisagent pas seules mais sont conçues en séquences.
 
En amont, il y a un travail intellectuel. "J’ai besoin d’un grand travail de préparation. Je fais des recherches, je fais un script", avant d’aller faire les photos et construire des séquences, car, pour l’artiste, la photo est "proche de l’écriture".
 
Quelquefois, ça colle, et quelquefois, ça ne marche pas, il faut réécrire l’histoire. Comme lors de son travail en Pologne, où elle a travaillé dans des orphelinats et s’est aperçue que les enfants se créaient leur propre maison, une maison d’enfants, pas une maison conçue par les adultes.
Ahlan Shibli, Sans titre (Dom Dziecka n°30) The house starves when you are away, Pologne.
	Dom Dziecka Na Zielonym Wzgórzu, Kisielany-Źmichy, 28 septembre 2008, dimanche après-midi. Pendant le déjeuner dans la salle à manger, Roksana Jeronimiak, Magdalena Zubek et Emilia Dmowska partagent une chaise, pendant que Jakub Urbanski et Adrian Bieniak sont assis au bout de la table. Daniel Kopeć, Krzysztof Zubek et Tobiasz Perkuć ont rapporté leurs assiettes vides et retournent à leur place. Courtesy de l'artiste
		 
	 
 (Ahlam Shibli)
 
Le corps, premier "chez-soi"
Depuis quelque temps, elle accompagne ses photos de légendes, de plus en plus détaillées. Sauf pour "Eastern LGBT" (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres), un travail sur des Orientaux qui ont quitté leur pays parce que leur société d’origine "refuse à l’individu de vivre dans son propre corps". A Zurich, Barcelone, Tel-Aviv et Londres, elle les a rencontrés le week-end dans des clubs, s’intéressant à "comment le corps est le premier ‘chez-soi’". Là, pour ces photos pleines de pudeur, elle n’a pas fait de légendes, n’a pas donné le nom de ses sujets, "parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité", même à l’étranger.
 
En France, Ahlam Shibli a travaillé à Tulle, s’intéressant parallèlement aux commémorations de la résistance anti-nazie et aux guerres coloniales. "Trauma" est construit autour de ce paradoxe : une même population, parfois les mêmes individus qui ont combattu l’occupation allemande, ont mené, plus tard, des guerres en Indochine et en Algérie.
Ahlam Shibli, Sans titre (Trauma n°4), Corrèze, France. Tulle, 7 juin 2008. Cérémonie de dépôt de gerbe au cimetière de Puy Saint-Clair en hommage aux combattants des Forces françaises de l’intérieur (FFI), parmi lesquels des Francs tireurs et Partisans (FTP) tombés lors del’offensive de la Résistance à Tulle, 7 et 8 juin 1944. Courtesy de l'artiste
 (Ahlam Shibli)
Ahlam Shibli, Phantom Home (Foyer fantôme), Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris
mardi : 11h-21h
mercredi à dimanche : 11h-19h (fermé le lundi et le 1er mai)
tarifs : 8,5€ / 5,5€
du 28 mai au 1er septembre 2013
 

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