L'exposition de la Chilienne Paz Errázuriz à la Maison de l'Amérique latine prolongée d'un mois
Beaucoup l'avaient découverte à Arles en 2017, mais elle n'avait jamais eu d'exposition personnelle à Paris. La grande photographe chilienne Paz Errázuriz est à la Maison de l'Amérique latine où elle présente son œuvre marquée par la dictature, ses images pleines d'empathie pour des populations en marge de la société, ses obsessions comme le temps qui passe, la prostitution, le corps, le couple. On peut voir quinze de ses séries à Paris, dont trois inédites.
"Je connaissais le travail de Paz Errázuriz son travail depuis 2012, mais je l'ai véritablement découvert lors de son exposition aux Rencontres d'Arles en 2017, et quand je l'ai vu, j'ai pensé qu'il fallait lui organiser une exposition personnelle à Paris", confie Béatrice Andrieux, la commissaire de l'exposition.
Paz Errázuriz est née à Santiago du Chili en 1944. Elle est une photographe autodidacte. Au début des années 1970, elle est institutrice et fait ses premières photographies, des portraits de ses élèves et de leurs familles. Déjà, elle s'intéresse aux gens. Après le coup d'État, elle est renvoyée de son école et se consacre entièrement à la photographie.
Quarante ans d'engagement
C'est une photographe engagée. Un engagement politique, dans la mesure où elle s'intéresse aux femmes, aux démunis, aux gens qui restent aux marges de la société. Mais surtout un engagement personnel, car elle s'implique intensément dans des relations amicales avec ses sujets. Son œuvre est le fruit de "40 ans d'engagement et de résistance et elle continue de travailler", souligne la commissaire.
L'exposition s'ouvre au rez-de-chaussée de la Maison de l'Amérique latine avec une série récente et inédite, Sepur Zarco (2016). Autour d'une salle toute rouge, une dizaine de femmes âgées nous regardent, en grand et en noir et blanc, les visages graves et marqués par la douleur. Sepur Zarco, c'est le nom d'un petit village du Guatemala où, pendant la longue guerre (1960-1996) qui a opposé l'armée et la guérilla, les militaires se sont installés après avoir fait disparaître les hommes et ont réduit les femmes en esclavage sexuel. Aidées par des ONG, ces femmes ont eu le courage d'intenter un procès devant la Cour suprême de leur pays. Elles ont gagné : deux officiers ont été condamnés pour crime contre l'humanité. C'était la première fois qu'elles posaient à visage découvert, jusque-là, elles couvraient leur visage, de peur de représailles.
L'envers du décor
Dans Los Dormidos (1979-1980), un de ses premiers travaux, elle montre des personnes endormies dans les rues de Santiago, dans les endroits et les positions les plus improbables. "C'est une sorte de métaphore de la société chilienne après le coup d'État, comme si elle s'était endormie", remarque Béatrice Andrieux. Et puis ces images rendent compte de la misère générée par les politiques néolibérales du gouvernement de Pinochet. On y voit déjà l'empathie de l'artiste pour ses sujets, une des grandes caractéristiques de son travail.
La première véritable série de Paz Errázuriz est El Circo réalisé au début des années 1980, une époque où il n'est pas facile pour une femme de se déplacer seule avec un appareil photo. Elle emmène ses enfants avec elle dans les petits cirques de la périphérie de la capitale dans laquelle elle observe la condition précaire des hommes et des femmes qui y travaillent.
Dans la même veine, elle va s'intéresser aux lutteurs ou aux boxeurs, dont elle partage également le quotidien, montrant l'envers du décor, l'entraînement, les blessures, la fatigue de ces forçats du sport. Elle a dû se battre pour pénétrer le milieu de la boxe, interdit aux femmes. "L'idée n'est pas de glorifier le vainqueur, mais de montrer la précarité", souligne Béatrice Andrieux.
Prostitution
Paz Errázuriz a rapidement commencé à travailler sur la prostitution, une de ses "obsessions", dit-elle. Mais les filles qu'elle a rencontrées lui demandent de ne pas publier les photos, pour leurs familles. Elle pourra, des années plus tard, travailler avec des prostituées dans un bordel perdu au nord du Chili et découvert par hasard (Muñecas, 2014).
Mais en attendant, elle est entrée en contact avec deux frères travestis, Evelyn et Pilar, et leur mère, Mercedes, qui vont l'introduire dans des communautés de travestis prostitués. Là, elle réalise un de ses travaux iconiques, La manzana de Adán (La pomme d'Adam, 1982-1987). Elle entre vraiment dans l'intimité d'Evelyn, Pilar, Chichi, Maribel, Leyla, les photographie en train de s'habiller, de se maquiller, dans leurs chambres misérables, en promenade. Eux sont très heureux de se montrer, c'est pour eux une sorte de reconnaissance.
Aux sourires qu'ils lui lancent, on sent particulièrement les liens qui se sont tissés et l'empathie de l'artiste pour des personnes là encore précaires, persécutées par la police, victimes souvent de véritables violences. Depuis, ils sont tous morts du sida sauf un, Coral, qui continue à l'appeler tous les ans, le 1er janvier.
Couples
Une autre série particulièrement forte est celle réalisée avec des malades mentaux (El infarto del alma, 1992-1994). Une rumeur court à l'époque selon laquelle on aurait interné des opposants politiques dans des hôpitaux. Paz Errázuriz part à la recherche d'amis disparus qu'elle ne retrouve pas, mais elle découvre les conditions lamentables dans lesquelles sont internés les malades.
Ce qui va l'intéresser, ce sont les relations amoureuses entre les malades, les couples qui se forment, s'enlacent, s'étreignent, et le bonheur que ces parias y trouvent malgré un cadre de vie déplorable. "Il y a une dimension très charnelle dans son travail", souligne Béatrice Andrieux. Et là encore, les visites de celle qu'ils ont surnommée tatie Paz sont une fête.
Une autre obsession de Paz Errázuriz est le temps qui passe. Quand son fils Tomás avait 14 ans, elle a commencé à le photographier une fois par mois devant le mur extérieur de leur maison, comme pour une photo d'identité. Pendant trois ans, elle a enregistré les marques du passage de l'adolescence à l'âge adulte. De ce travail, elle a réalisé une vidéo qui montre la transformation (Un cierto tiempo, 1986-1989). Tango (1988), ce sont de très belles images de couples qui dansent, des couples âgés qu'elle cadre au niveau du visage et des épaules et dont elle saisit la concentration, l'intensité, la sensualité retenue.
L'exposition est accompagnée de la parution d'un livre, le premier en français de la photographe chilienne, Paz Errázuriz, Histoires inachevées, coédité par la Maison de l'Amérique latine et les éditions Atelier EXB, avec des textes de Béatrice Andrieux et Marie Perennès (176 pages, 137 photographies, 45 €).
Paz Errázuriz, Histoires inachevées
Maison de l'Amérique latine
217 boulevard Saint-Germain, 75007 Paris
Du lundi au vendredi, 10h-20h, le samedi 14h-18h, fermé dimanche et jours fériés, ainsi que pendant la période du 23 décembre 2023 au 2 janvier 2024
Entrée libre
Du 8 septembre au 24 janvier 2024 (exposition prolongée)
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