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La tragicomédie de "La Trilogie Des Modernes" de Rancinan, à Milan

Dans le cadre de la Triennale de Milan, du 28 avril au 27 mai, le photographe Gérard Rancinan, avec la collaboration de Caroline Gaudriault, expose pour la première fois la totalité de "La Trilogie de Modernes". Une critique esthétique et ironique de notre monde contemporain.
Article rédigé par franceinfo - Thierry Hay
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Temps de lecture : 5 min
Gérard Rancinan: Batman family girls. 264cm x 180.
 (Gérard Rancinan)

Gérard Rancinan aime autant provoquer que réfléchir. Dans ses photos « il récupère » les grands peintres de l’histoire de l’art: Caravage, Vinci, Vélasquez, Géricault pour les plonger dans un bain de modernité et propose le résultat au visiteur surpris. A Milan, il propose"La Trilogie Des Modernes", effectuée en collaboration pour les mots avec Caroline Gaudriault. En fait, Rancinan travaille avec une équipe nombreuse et n’utilise pas le montage numérique. Ses photos sont toutes un moment de théâtre figé.

"A wonderful world", 3e et dernière partie de "La Trilogie Des Modernes"
On avait pu voir la première partie « Métamorphoses » au palais de Tokyo, la seconde « Hypothèses » à la Chapelle Saint Sauveur d’ Issy- les- Moulineaux, on va donc découvrir la dernière partie: «A wonderful world » et avoir un aperçu de l’ensemble. Si ce troisième volet a un titre en anglais, ce n’ est pas un hasard car Rancinan critique, avec ironie, un monde de plus en plus standardisé, où l’être humain est infantilisé sous la dictature du marketing et où plus personne ne retrouve ses racines.

Rancinan est en quête de sens, à la fois artiste et journaliste, voir éditorialiste. Et si il jongle, sans cesse, avec nos références culturelles et nos souvenirs, c’ est pour mieux nous interroger sur notre présent, d’ailleurs il déclare: "je suis un témoin éveillé de la métamorphose de l’humanité ". Voir la trilogie de Rancinan c‘est partir pour un voyage en Humanité. Mais cette humanité dont il se moque souvent est «branchée ». Il a réalisé de très nombreux reportages sur les stars du show business, de la mode et du cinéma et il sait de quoi il parle. Mais avant, il a été grand reporter pour l'agence Sygma afin de couvrir les séismes en Algérie, les événements de Pologne, la guerre au Liban mais aussi les jeux Olympiques, puis il est redevenu indépendant.

Un bouillon de culture dans lequel il puise son inspiration
Rajoutez à cela une grande connaissance de l’Histoire de l’Art et vous aurez le bouillon de culture dans lequel Gérard Rancinan puise son inspiration et part en guerre contre le politiquement correct. Ses photos ont été publiées dans les plus grands magazines du monde et ses clichés de Fidel Castro, Jean Paul II, François Mitterrand, Yasser Arafat ou Bill Gates appartiennent à  l'Histoire.

A Milan, dans le cadre de la Triennale, il présente le résultat de sept années de travail avec un seul but: titiller et réveiller un peu le monde. Alors quand il présente la famille Batman, il critique le stéréotype du foyer américain qui fait rêver. Vu la taille des enfants, on comprend que les grossesses ont été calculées, madame est assise avec un sac de marque à ses pieds, droite comme un i et monsieur est de l’autre côté en train de lire le journal. Les regards sont droits et les lèvres serrées. Le chien est bien sûr de la race que l’on voit partout. Tout est politiquement correct et froid.

Gérard Rancinan: Batman family. 264cm x 180.
 (Gérard Rancinan.)
Quand il critique la malbouffe, Rancinan propose une famille qui regarde la télé. Tous sont en surpoids et affichent le sourire béat d'un masque de Mickey au milieu de hamburgers, gâteaux et pop corn. J 'aime beaucoup les masques des petits cochons derrière et le jeu du noir et blanc. Les  personnages posent comme dans un tableau de Ingres. Le drame de la beaufrerie et de l' obésité devient ici une farce.
Gérard Rancinan: Family watching the TV. 240cm x 180.
 (Gérard Rancinan)

C'est encore plus clair quand la photo porte le tire " la Malbouffe" avec une référence directe à la Cène de Léonard de Vinci. Le culte de la surconsommation est présenté sans détour avec les deux femmes aux extrémités qui offrent des chairs plus que rebondies.

Gérard Rancinan: La malbouffe. 300cm x 180.
 (Gérard Rancinan.)

L'artiste aborde le thème de l’immigration avec "Le radeau des illusions". S’inspirant de la toile "Le radeau de la Méduse" de Géricault, il évoque les risques physiques et les rêves des immigrés qui se briseront comme une vague. Au fond à droite, on voit les lettres de Hollywood et la tour Eiffel qui symbolisent l'eldorado envisagé.

Gérard Rancinan: "Le  Radeau des Illusions". 264cm x 180.
 (Gérard Rancinan)

Dans le volet «Hypothèses », le deuxième de la trilogie, chaque photo comporte une bulle qui enferme ce qu’il reste de notre civilisation mais souligne également ses dérives. Dans "Les trois grâces" il s'agit du sexe, de la mode du tatouage et de la fascination pour la mort.

Gérard Rancinan: Les trois grâces. 300cm x 180.
 (Gérard Rancinan.)

Même utilisation de la bulle pour "le martyr" où le jeune noir devient un martyr christique victime du racisme.

Gérard Rancinan: Le martyr ( Hypothèse XI). 300cm x 180.
 (Gérard Rancinan.)

Rancinan se moque volontiers de l’Amérique et de ses super héros, y compris de ses militaires très présents sur la planète et très sûr d’eux. Il donne un titre ironique à cette photo où des soldats qui portent des masques de Mickey courent sur des débris d’ordinateurs et un cadavre. La guerre devient subitement un jeu vidéo ridicule.

Gérard Rancinan: Our soldiers save our values. 264cm x 180.
 (Gérard Rancinan.)

Dans "La liberté dévoilée" le photographe provocateur ose mettre une femme en burqa pour guider la foule. C'est bien sûr une allusion au célèbre tableau de Delacroix: "La liberté guidant le peuple".

Gérard Rancinan: "La Liberté dévoilée"
 (Gérard Rancinan.)
Mais les compositions très étudiées et «très mode» de Gérard Rancinan sont aussi des tragicomédies. Un exemple: « On the wayback from Disneyland » de la dernière série "A wonderful world" dans une laquelle une voiture de légende qui suffit à elle seule à évoquer les USA, regorge de cadavres. On se croirait dans une scène de western et la dénonciation de la violence est évidente.

Gérard Rancinan: On the way from Disneyland. 260cm x 180.
 (Gérard Rancinan.)

Cette exposition se déroule en Italie, dommage que Fellini soit mort, j’aurais bien aimé avoir son avis. Une chose est sûr, il y de la tenue, de la théâtralité, de l’engagement et de l’émotion dans tout cela. Gérard Rancinan est comme nous tous: il se pose des questions sur l’avenir mais avec lui c’est beau à voir. Cette exposition pourrait en fait se résumer à cette question: où s'arrêtera la course folle dans laquelle l'humanité s' est engagée?
Triennale de Milan: 6 rue Alemagna. Milan. www.triennale.org/it/

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