Le mordant Martin Parr dans trois expositions à Paris, seul ou en dialogue avec d'autres photographes
Les images ironiques et tendres de Martin Parr font l'objet de trois expositions à Paris, à la Fondation Cartier-Bresson, à la galerie Magnum et au Centre culturel irlandais.
La Fondation Cartier Bresson "réconcilie" Martin Parr et Henri Cartier-Bresson à travers des images du nord de l'Angleterre réalisées par les deux photographes. La galerie Magnum fait dialoguer des amateurs anonymes avec le photographe britannique. Et puis celui-ci raconte l'Irlande des 40 dernières années au Centre culturel irlandais de Paris.
"Dominique Païni, qui a dirigé la Cinémathèque, nous a signalé qu'il avait restauré un film qu'Henri Cartier-Bresson lui avait donné pour la Cinémathèque", raconte François Hébel, le directeur de la Fondation Cartier-Bresson. Ce film de 20 minutes, Midlands at Play and at Work, date de 1962 et présente des photographies faites par Cartier-Bresson dans le nord de l'Angleterre (Manchester, Liverpool et surtout à Blackpool, au bord de la mer).
Les images des habitants de la région, au travail et dans leurs loisirs, sont inédites, "le film était passé sous les radars, sans doute parce que toutes les photos étaient recadrées dans le film", explique François Hébel. "Quand je l'ai vu, j'ai immédiatement pensé à Martin Parr", confie-t-il; Le photographe britannique, connu pour son regard ironique sur ses compatriotes et les humains en général, ne le connaissait pas non plus.
"L'endroit le plus exotique du monde"
L'exposition présente le film, commenté par Cartier-Bresson lui-même, d'ordinaire avare de commentaires sur ses images. Son propos sur l'Angleterre, pour lui "l'endroit le plus exotique du monde", et sur les Anglais, "nés dans leurs habits du dimanche", est parfois édifiant. Elle présente aussi les photographies noir et blanc du film, accrochées à côté de clichés récents de Martin Parr, qui est retourné récemment dans les villes industrielles du nord de l'Angleterre, notamment à Blackpool.
"Quand j'ai vu le film, j'ai réalisé qu'il y avait beaucoup plus de ressemblances entre mon travail et celui de Cartier-Bresson qu'on ne l'aurait jamais imaginé. Il avait exactement le même sujet", raconte Martin Parr. "Quand j'entends Henri parler des Britanniques, il s'en moque beaucoup plus que je ne le ferais jamais", ajoute-t-il.
"Peut-être que si j'avais photographié en noir et blanc, tout se serait très bien passé", s'amuse-t-il. Car ses images ont été extrêmement mal reçues au départ par Henri Cartier-Bresson. Son entrée à l'agence Magnum, alors dirigée par le photographe français, fut épique. Proposée par ses collègues du bureau de Londres, elle se heurte alors à l'opposition violente de Cartier-Bresson et d'une bonne moitié des photographes de Magnum. Après un scrutin rocambolesque il sera finalement élu en 1994 et deviendra même plus tard président de la célèbre agence.
Le nord de l'Angleterre de 1962 à nos jours
Les relations avec le photographe de l'instant décisif s'apaisent bientôt, en témoigne un échange de fax de 1995 dont Martin Parr se réjouit toujours : Cartier-Bresson s'excuse d'avoir surréagi à son travail, mais il maintient qu'ils appartiennent à deux planètes différentes. Après, "nous avons eu des relations courtoises", dit Martin Parr.
L'exposition se déploie dans la cave de la Fondation Cartier-Bresson, un nouvel espace baptisé "le Tube" et inauguré pour l'occasion, qui offre 100 m2 de surface supplémentaire. C'est un peu le même regard mi-attendri-mi-ironique que les deux photographes portent sur les Anglais du nord. Quand Cartier-Bresson y est, on est en 1962. On danse le week-end, on s'amuse dans les fêtes foraines. Le Français semble se moquer des tenues de ces Anglais, des ouvrières en bigoudis à l'usine, des vieilles dames en chapeaux mais s'attendrit sur un vieux couple blotti avec son chien sur la plage. Et puis on est encore en plein dans les trente glorieuses, les usines tournent à fond, on rit beaucoup et les rapports semblent chaleureux.
Martin Parr, en couleur, nous raconte la même région 40 ans plus tard, les usines ont fermé, il saisit les dernières encore en activité, elles ont vieilli et leurs ouvriers, blancs, sont fatigués. Mais on s'amuse toujours le week-end, les cheveux violets ont remplacé les chapeaux. Pour Martin Parr "ce qui a redynamisé le 'Black Country', c'est l'immigration". Il nous montre ces nouveaux Anglais dans un magasin de meubles, au centre commercial, à la plage.
Martin Parr dialogue avec des photos amateur à la galerie Magnum
A la galerie Magnum de Paris, c'est à des photographes anonymes qu'est confronté Martin Parr, qui s'est toujours intéressé à la photo amateur. Et l'effet est plus saisissant encore. Lee Shulman qui a rassemblé et conserve 800 000 diapositives couleur de photographes amateurs autour du monde de la fin des années 1930 au milieu des années 1980 (The Anonymous Project), a proposé à Martin Parr d'en faire dialoguer une sélection avec ses propres images, pour un livre, Déjà View (2021), dont est issue l'exposition.
Les photos sont accrochées par paires, d'un côté des pieds en chaussettes et sandales, de l'autre un couple qui pique-nique devant sa voiture. Le monsieur porte les mêmes sandales, le rose de la robe de la dame fait écho au rose des premières chaussettes.
Plus loin, deux groupes de types bodybuildés en maillot de bain au bord de la mer. Au milieu de la campagne, deux photos montrent des personnes âgées posant, assises dans des pliants devant leur voiture rouge. Sur une autre paire, les visages sont coupés, on ne voit que des mains, ongles vernis, tenant un verre de champagne. Ou bien des enfants mangent des glaces en bord de mer. On ne nous dit pas laquelle est la photo de Martin Parr, et si souvent on le devine on peut aussi facilement se tromper.
Parr et la transformation de l'Irlande
Au Centre culturel irlandais, c'est l'Irlande de Martin Parr qu'on découvre. "L'exposition montre l'Irlande sur une période de 40 ans. Je suis allé vivre là-bas en 1980 parce que ma femme y travaillait. Avant, j'y étais déjà allé, pour photographier le pape par exemple. J'y ai réalisé mon dernier grand projet en noir et blanc. Et puis après j'y suis retourné de nombreuses fois car j'ai des amis en Irlande et j'aime y aller".
Il jette d'abord son regard sur l'Irlande encore très traditionnelle du début des années 1980, avec ses rassemblements religieux, ses paysans avec moutons et chevaux, des poules réfugiées dans une épave de voiture, de drôles de gueules dans les pubs. Puis Martin Parr passe à la couleur. La religion est toujours là, un monument à la Vierge un peu kitsch cache à l'arrière-plan un stand de vente de repas à emporter. Le pays se transforme, on se retrouve au centre commercial ou on commande au drive-in de McDonald's.
"On peut difficilement imaginer qu'un pays ait aussi radicalement changé en 40 ans", dit le photographe, qui y est retourné spécialement en 2019 pour photographier les nouvelles entreprises et nous livre dans des couleurs criantes un dirigeant d'entreprise ou un café branché de Dublin.
Henri Cartier-Bresson avec Martin Parr, Réconciliation
Fondation Henri Cartier-Bresson, 79 rue des Archies, 75003 Paris
Du mardi au dimanche, 11h-19h, 10 € / 6 €
Du 8 novembre 2022 au 12 février 2023
Martin Parr and the Anonymous Project, Déjà View
Galerie Magnum, 68 rue Léon Frot, 75011
Du mardi au vendredi 10h-19h, le samedi 11h-19h
Jusqu'au 22 décembre
L'Irlande de Martin Parr
Centre culturel irlandais, 5 rue des Irlandais, 75005 Paris
Tous les jours 14-18h, mercredi jusqu'à 20h, fermé du 24 décembre au 1er janvier inclus, entrée libre
Jusqu'au 8 janvier 2023
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.