Le paysage français à la BnF : de la mer à la banlieue, 40 ans de regard photographique
Un millier d'images se déploient chronologiquement, des années 1980 aux années 2010, dans les espaces d'exposition de la BnF, pour montrer comment la France a été vue ces quarante dernières années par les photographes. La ville, la campagne, la mer, la banlieue, en couleur, en noir et blanc, le projet est gigantesque.
Le point de départ, c'est la Mission photographique de la Datar (Délégation à l'Aménagement du territoire et à l'Action régionale) qui, en 1984, a envoyé 29 photographes français et étrangers aux quatre coins de la France pour représenter le paysage français des années 1980. Résultat, 2000 tirages qui sont conservés par la BnF. Elle en présente 15% dans l'exposition.
"La grande originalité du projet, c'est qu'il s'adresse aux photographes en tant qu'artistes, ce n'est pas un état des lieux, ce sont bien des regards d'auteurs qui sont demandés", explique Raphaëlle Bertho, co-commissaire de l'exposition avec Héloïse Conesa.
Une déambulation dans quatre décennies de paysages
On n'est pas dans une vision romantique d'un paysage rural parsemé de petits villages : l'Américain Lewis Baltz photographie les friches au ras du sol à Fos-sur-Mer, Gabriele Basilico et Josef Koudelka les paysages industriels du Nord-Pas-de-Calais et de Lorraine. Raymond Depardon fait son premier travail sur le paysage, autour de la ferme de ses parents, Robert Doisneau revient sur la banlieue mais en couleur cette fois."On vous propose une déambulation dans quatre décennies de ces paysages de France, dans cette histoire de la photographie", où "on va aussi voir apparaître les politiques publiques en matière de paysage, de territoire, et ce rapport au territoire qui va se dessiner et se redessiner", dit la commissaire.
D'autres commandes publiques vont suivre celle de la Datar : celle du Conservatoire national du littoral, avec les images épurées en noir et blanc de Michael Kenna ou les douces couleurs de Harry Gruyaert.
Les transformations du paysage
Plus tard, le temps devient un paramètre important dans l'appréhension du paysage : à partir de 1992, des "observatoires photographiques du paysage", dépendant du ministère de l'Environnement, chargent des photographes de suivre ses transformations, en adoptant des points de vue reconduits régulièrement dans le temps. Ainsi, quand une maison surgit dans cadre choisi par Thibaut Cuisset dans les Côtes-d'Armor, il suit la construction du pavillon.Dans une région périurbaine, en vallée de Chevreuse (Essonne), c'est la campagne au fil des saisons, au bord d'une route, que saisit Gérard Dalla-Santa tandis que Anne Favret et Patrick Manez s'attachent à observer les transformations de la banlieue à Montreuil (Seine-Saint-Denis), aux carrefours et aux coins de rues. "On est sur un paysage de plus en plus quotidien", remarque Raphaëlle Bertho.
"La France" de Raymond Depardon
Certains points de vue sont suivis depuis plus de 20 ans, comme celui que Thierry Girard renouvelle dans le parc naturel régional des Vosges deux fois par an : "On voit bien comment cette commande est devenue une œuvre conceptuelle, une œuvre totale, et va accompagner le photographe sur une grande partie de sa carrière", souligne la commissaire.On aura aussi des projets personnels mais à caractère systématique comme celui, formidable, de Raymond Depardon qui pendant six ans a fait un tour de France des sous-préfectures oubliées en couleur ("La France", 2010) avec sa chambre grand format.
Les "grands ensembles", du futur radieux à l'implosion
Un focus est fait sur les "grands ensembles", un concept bien français. On a vu surgir dans le paysage urbain et périurbain de l'après-guerre des constructions qui devaient permettre d'accéder à de meilleures conditions de vie, avec l'eau chaude et le chauffage pour tous. Le travail de Mathieu Pernot, qui a collecté et agrandi des cartes postales des années 1970, montre que les grands ensembles étaient alors vus comme une réussite, avant que leur image se dégrade progressivement.Le travail de Laurent Kronental auprès d'habitants qui ont vieilli dans ces cités pose la question de ce qu'on a fait du futur radieux promis au moment de leur construction. A côté des photos d'implosion de Mathieu Pernot, Alban Lécuyer ironise en montrant la désintégration d'un bâtiment ancien au milieu de grandes barres qui apparaissent comme l'élément patrimonialisé.
D'autres photographes s'intéressent à des no man's land entre ville et campagne, Edith Roux traque des zones commerciales qui se ressemblent dans toute l'Europe, Guillaume Greff s'intéresse à des décors urbains qui servent à l'armée comme lieu d'entraînement contre la guerrilla.
L'humain dans le paysage
Jürgen Nefzger livre des images ironiques et contradictoires, où un cadre touristique s'inscrit dans un paysage industriel, comme cette scène de pêche où les arbres peinent à cacher les cheminées de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine (Aube).Dans les années 2000 s'est posée la question de l'inscription de l'humain dans le paysage, celui-ci se fait alors portrait ou autoportrait, avec par exemple les images romantiques d'Elina Brotherus qui se met en scène dans des décors grandioses. Ou bien il devient carrément un espace de fiction.
La somme d'images dans l'exposition de la BnF est gigantesque, excessive, serait-on tenté de dire. Pourtant il n'y a rien de trop, toutes ces visions sont passionnantes. Chacun ne sera pas touché par les mêmes lieux, les mêmes regards, alors laissons-nous porter au fil de la promenade qu'on nous propose et au gré de notre feeling, sans chercher à forcément tout voir.
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