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Le photographe Maxence Rifflet explore avec des détenus l'architecture du monde carcéral

Maxence Rifflet a photographié l'univers de sept prisons françaises. Un travail, réalisé en étroite coopération avec les prisonniers, qui propose une autre vision de l'enfermement.

Article rédigé par Chrystel Chabert-Ossant
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
 

Pendant deux ans, de  2016 à 2018, Maxence Rifflet a pu pénétré et photographié l'univers de plusieurs prisons françaises. Un travail rassemblé au coeur d'une exposition intitulée Le grand ordonnateur et autres nouvelles des prisons, présentée jusqu'au 7 juin 2020 à l'ancienne prison de Guingamp devenue le centre d'art GwinZegal. 

La démarche de Maxence Rifflet présente une double originalité. La première, c'est l'angle choisi. Le photographe aborde la réalité de la vie carcérale et de l'enfermement à travers la relation des corps avec l'architecture si particulière des prisons.

Expo Prisons Maxence Rifflet
Expo Prisons Maxence Rifflet Expo Prisons Maxence Rifflet

Regard humaine et analytique

Pour Jérôme Sother, le directeur artistique du centre d'art GwinZegal, Maxence Rifflet pose vraiment la question de "comment l'architecture de la prison impose aux prisonniers la vie qu'ils doivent mener. Il y a une vraie démarche analytique mais également une démarche humaine."

Et c'est la deuxième originalité du projet du photographe : la volonté de travailler en étroite collaboration avec ceux que Maxence Rifflet appelle "les spécialistes de ces espaces", à savoir les prisonniers eux-mêmes. Le tout au travers d'ateliers photographiques.

Plutôt que d’utiliser la photographie pour constater l’enfermement, j’ai voulu en faire un outil d’échange, de pensée et d’action. J’espérais même qu’elle puisse ainsi devenir un instrument d’émancipation, sinon de subversion voire de résistance.

Maxence Rifflet

Photographe

Associer les prisonniers

Trois photographies ont ainsi été réalisées avec un même prisonnier, Julien H. , dans une cour de promenade de la maison centrale de Condé-sur-Sarthe (la prison la plus sécuritaire de France, conçue pour accueillir les prisonniers qui posent problème). Sur l'une d'elles, on voit Julien, en costume, qui marche sur un terre-plein rond, avec un découpage de la photo en plusieurs séquences. Une photo intitulée Mouvement perpétuel : "C'est un jeu avec l'espace" explique Maxence Rifflet. C'est aussi une interrogation sur cette forme ovoïde : était-ce une manière pour l'architecte d'arrondir, d'adoucir les angles ?".

Un mouvement perpétuel, 2019. Maison centrale de Condé-sur-Sarthe, mai 2016. (Maxence Rifflet)

Le corps et l'espace carcéral

Autre illustration, celle de la série baptisée Jeu de main et réalisée au quartier des femmes de la maison d’arrêt de Rouen avec Lucile. Pour Maxence Rifflet "le rapport à l’architecture est une question d’échelle dont le corps est la mesure. Au centre de détention de Caen, un prisonnier m’avait montré qu’il pouvait toucher les deux murs opposés de sa cellule en écartant les bras, qu’en somme non seulement ce n’était pas grand, mais aussi que la cellule était ajustée à l’envergure de son corps. J’en avais retenu l’idée de mesurer l’espace avec le corps. Lucile est allé jusqu’à s’y mesurer.

En appui, 2019. Quartier des femmes de la maison d’arrêt de Rouen, septembre 2017, tirages optiques sur papier argentique, 80 x 100 cm. (Maxence Rifflet)

L'exposition propose aussi une installation inédite et surprenante sous la forme d'une table démesurée (2m de haut) entourée de deux chaises hautes sur lesquelles les visiteurs peuvent monter. Sur cette table géante sont posées des paires d’images d’un jeu de memory représentant tous les objets donnés aux prisonniers à leur arrivée en cellule. Pour Maxence Rifflet, "ce géant suggéré par cette table hors d’échelle, c’est à la fois cette instance indéfinie qui organise la vie, conçoit des espaces et détermine la liste de objets nécessaires."

La table géante installée au coeur de l'exposition.  (J. Piron / France Télévisions)

Une ancienne prison pour décor

Le travail de Maxence Rifflet trove un écho particulier dans le lieu même où il est exposé. Le centre d'art GwinZegal est installé dans l’ancienne prison de Guingamp qui fut l’une des premières prisons cellulaires en France.

L'ancienne prison de Guigamp transformée en centre d'art. (J. Piron / France Télévisions)
Son originalité ? Elle a été contruite au XIXe siècle par l’architecte Louis Lorin sur le modèle des prisons américaines. C'est un inspecteur des prisons, Charles Lucas qui en est l’instigateur. Il voulait que ce lieu soit à la fois un outil de mise à l'écart et de réflexion, ce qui se lit encore dans son organisation spatiale. C'est la première prison de conception humaniste et la seule en Europe à proposer cette architecture spécifique et esthétique de l’art colonial nord-américain. La prison a été transférée à Saint-Brieuc en 1984. Le lieu est devenu propriété de la ville de Guingamp en 1992 et classée monument historique depuis 1997. Rénové, il est devenu en 2019 le centre d’art GwinZegal, dédié accueille aux expositions photographiques.

Le grand ordonnateur et autres nouvelles des prisons 
Exposition présentée du 14 mars au 7 juin 2020
Centre d’art GwinZegal 4, rue Auguste Pavie, Guingam
Ouvert du mercredi au dimanche, de 14 h à 18 h 30 Entrée libre
Tél. 02 96 44 27 78

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