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Le temps long et les couleurs des "Nocturnes" de Marie Bovo à la Fondation Cartier-Bresson

Dans les grandes scènes en couleur de la photographe Marie Bovo, le temps s'est arrêté longtemps. Ses "Nocturnes" sont à voir à la Fondation Henri Cartier-Bresson jusqu'au 17 mai 2020

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Marie Bovo, à gauche, "Evening Settings, Jeudi 19h50, saison des pluies" - A droite, "La voie de chemin de fer, 07h00, 25 février 2012" (© Marie Bovo, Courtesy the artist and kamel mennour, Paris / London)

La photographe Marie Bovo expose à la Fondation Henri Cartier-Bresson plusieurs très belles séries réalisées à la tombée de la nuit à Marseille, à Alger, au Ghana. Les couleurs et l'atmosphère de ses Nocturnes en grand format, pris à la chambre, s'imprimeront longtemps dans votre rétine.


Au centre de l'image, un rectangle de ciel d'un bleu plus ou moins profond, ou bien rose, comme électrique. Sur les quatre côtés, les murs de la cour d'un immeuble marseillais du quai de la Joliette prise en contreplongée parfaite. Derrière les volets, les lumières commencent à s'allumer. Des fils à linge dessinent des lignes à travers l'espace, reliant les quatre murs. Les vêtements vus à la verticale paraissent presque abstraits. Les fils symbolisent ce qui relie les habitants. Ils sont en voie de disparition alors que la rénovation bourgeoise du quartier s'engage.

Marie Bovo travaille à la chambre, en argentique, toujours en lumière réelle, c'est-à-dire avec la lumière qu'elle trouve sur la scène qu'elle veut photographier, même s'il y en a très peu. Ce qui peut impliquer des temps de pose très longs, jusqu'à plusieurs heures. Le plus souvent, ceux qui habitent l'endroit sont absents, même si de nombreux signes indiquent qu'ils ne sont pas loin. Ce qui pourrait être une image totalement désincarnée respire au contraire de leur présence et du regard respectueux de l'artiste. Les longs temps de pose créent une atmosphère étrange, comme si le temps s'était arrêté longtemps.

Marie Bovo, "Cours intérieures, 23 avril 2009" (© Marie Bovo, Courtesy the artist and kamel mennour, Paris / London)

Entre chien et loup

Marie Bovo nous avait montré à Arles en 2017 des arrêts de train en Europe de l'est et en Russie. Là, c'est du sud, de la Méditerranée, que nous parle la photographe, qui est née à Alicante (Espagne) et vit à Marseille. L'exposition aurait pu s'appeler "entre chien et loup". C'est souvent à ce moment magique à la lumière si particulière, quand le jour est sur le point de faire la place à la nuit, que Marie Bovo a réalisé ses images.

Elle a ainsi posé sa chambre de l'autre côté de la Méditerranée, dans un appartement d'Alger, devant les portes-fenêtres, au moment où les lumières commencent à s'allumer sur les façades en proche vis-à-vis. Ces taches de lumière signalent une vie que rideaux et persiennes avaient jusque-là interdit au regard. Les mêmes vues sont présentées deux fois, avec de subtiles variations des couleurs du ciel, des murs intérieurs et des motifs des carrelages, au gré de la tombée du jour et des lampes de l'appartement.

Ce qui intéresse Marie Bovo dans les séries qu'elle expose à la Fondation Cartier-Bresson, c'est le quotidien, l'intime de groupes humains. A l'opposé de l'image dérobée, elle s'installe longtemps dans les lieux et doit gagner la confiance de ses habitants. Comme les Roms dont elle a photographié le camp précaire installé sur une voie de chemin de fer désaffectée, au nord de Marseille. Après plusieurs refus, elle a pu faire ses prises de vue : là, elle les a réalisées à l'aveugle, en plein milieu de la nuit, utilisant des temps de pose très longs. Le résultat est un patchwork de couleurs chaudes autour de la voie, un paysage qui varie légèrement en intensité colorée et en géographie : des toiles, des couvertures sur lesquelles sont abandonnés des objets, des jouets, des chaussures, une chaise, signes d'un quotidien précaire et menacé.

Marie Bovo, "En Suisse, le Palais du Roi, 22h45, 21 février 2019" (© Marie Bovo, Courtesy the artist and kamel mennour, Paris / London)

Entrer dans le décor

Dans un village du Ghana, Marie Bovo s'est intéressée aux cours situées devant les maisons, lieu essentiel de la vie quotidienne. Pourtant, les images sont un peu mystérieuses en l'absence de toute figure humaine, dans la lumière électrique du soir. Là encore des tas d'objets, un mortier en bois, une bassine en aluminium, un bidon en plastique, du linge accroché, nous disent la vie humaine, tandis qu'un brasero qui rougeoie annonce le repas à venir.

Plus récemment, la photographe a travaillé à Marseille dans à un kebab au nom improbable, "En Suisse – Le Palais du roi", et au décor non moins inattendu : de grandes fresques en carrelage y racontent l'histoire mythologique de la cité phocéenne. Une histoire faite de mélange de cultures, comme celle des clients du restaurant. Ceux-ci sont absents, là encore, leur réalité est attestée par une barquette de frites ou une canette de coca sur une table en marbre. Et aussi par quelques silhouettes fantomatiques dans un grand miroir.

Marie Bovo a pu faire in extremis de dernières images avant que le lieu perde son âme : de nouveaux propriétaires ont voulu le moderniser et supprimer les fresques. Inscrites au patrimoine, elles n'ont pas été détruites mais recouvertes de placoplâtre collé directement sur les carreaux. Marie Bovo en a saisi la dernière vision, alors que le chantier commençait. Le grand format, comme pour les autres séries, nous donne l'impression qu'on pourrait entrer dans le décor.

Marie Bovo, image de "La Voie lactée, Vidéo (couleur, son) / 10min 36s  (© Marie Bovo, Courtesy the artist and kamel mennour, Paris / London)

La course nocturne d'une rigole de lait dans Marseille

Marie Bovo fait aussi des vidéos et il faut absolument prendre le temps de regarder le petit film La Voie lactée (10 minutes). On y suit avec jubilation le cheminement d'une rigole de lait qui s'est sauvé d'une casserole. Il descend l'escalier de l'immeuble puis court dans la nuit marseillaise, dont elle dresse le portrait en suivant la pente naturelle des petites rues ou d'une avenue animée.

Le lait arrive à dépasser vaillamment les bouches et plaques d'égout, passe devant les matelas de personnes qui dorment dehors, effraie un chat, descend des marches en cascade, et finira fatalement sa course au plus bas de la ville, pour se diluer dans les eaux du Vieux port.

Marie Bovo, Nocturnes
Fondation Henri Cartier-Bresson
79, rue des Archives, 75003 Paris
tous les jours sauf le lundi : 11h-19h
Tarifs : 9 € / 5 €
Du 25 février au 17 mai 2020 

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