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Les femmes de Bettina Rheims à la MEP

Depuis près de 40 ans, Bettina Rheims photographie les femmes. Célèbres ou inconnues. Pour la pub, pour la mode, pour des travaux plus personnels, souvent dans des mises en scènes érotiques, n'hésitant pas à choquer ou troubler, quand par exemple elle réinterprète les Evangiles. La Maison européenne de la photographie lui consacre une grande rétrospective sur trois étages (jusqu'au 27 mars).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Bettina Rheims devant un de ses portraits à la MEP (2 février 2016)
 (Ginies / SIPA)

Bettina Rheims, 63 ans, a publié son premier travail dans la revue "Egoïste" en 1979, des nus décalés de strip-teaseuses rencontrées à Pigalle et d'acrobates. Une série qui lui vaut d'être remarquée par Helmut Newton qu'elle rencontrera très régulièrement et avec qui elle apprend le métier. Des commandes de portraits et de photos de mode, de publicité, vont bientôt suivre. Quelques-unes de ces premières images sont exposées dans la première salle de l'exposition, avec des grands formats, souvent en gros plan. Que des femmes, au milieu desquelles surgit un intrus, Mickey Rourke, dent en or et sourire ironique.
 
La MEP expose 400 photos de Bettina Rheims, des photos connues, beaucoup de photos de célébrités comme Charlotte Rampling, la main posée sur son sein et l'œil métallique, en noir et blanc, et plus tard sublime sur fond bleu. L'actrice Valeria Golino, visant dans un appareil photo, le T-shirt relevé sur sa poitrine, Monica Bellucci en rouge versant du ketchup sur une assiette de spaghetti, Kate Moss encore jeune adolescente. Des inconnues aussi, photographiées comme des stars.

Bettina Rheims, "Breakfast with Monica Bellucci", novembre 1995, Paris
 (Bettina Rheims)


Des anonymes dans des chambres d'hôtel

Les photos de Bettina Rheims sont mises en scène en studio, extrêmement travaillées. Des photos souvent suggestives où elle veut capter le désir des femmes, où elle pense pouvoir laisser plus facilement libre cours aux fantasmes de ses modèles qu'un homme, qui aurait tendance à en faire un objet. La série "Chambre close", elle l'a réalisée au début des années 1990 avec des anonymes abordées dans la rue qu'elle fait monter dans chambres d'hôtel minables couvertes de papier peints pour qu'elles se mettent à nu.
 
Olga, c'est son mari, un oligarque russe, qui l'amène au studio de Bettina Rheims pour la mettre en scène dans des tableaux à la limite de la pornographie, afin que le monde entier profite de sa beauté.
Bettina Rheims, "Georgie Bee wearing her own amazing shoes", juin 2013, Londres
 (Bettina Rheims)


De Shanghaï à la question du genre

Les couleurs de cette artiste qui se dit influencée par la peinture sont magnifiques. Par exemble dans ses photos de Shanghai. Avec l'écrivain Serge Bramly, complice de nombreux projets, elle a passé six mois en 2002 dans la ville chinoise en mutation, à faire des portraits de femmes de tous les milieux, serveuses de restaurant ou actrices, lycéennes ou abbesse en robe jaune safran.
 
A partir de la fin des années 1990, Bettina Rheims s'est intéressée à la question du genre et de l'androgynie, photographiant des garçons qui ressemblent à des filles, des filles qui ressemblent à des garçons, mettant en scène Kim, un transsexuel qui pour elle troque son porte-jarretelles pour un costume noir et redevient un homme.
Bettina Rheims, Edward V. III., juin 2011, Paris
 (Bettina Rheims)


Portraits de détenues

L'influence de la peinture se sent encore dans INRI, un travail publié en 1999, où la photographe réinterprète la vie du Christ. Marie, enceinte, apparaît nue, regardant vers le ciel les mains sur le ventre. Une fille apparaît sur la Croix, Jésus et les apôtres ressemblent à une bande de gars désoeuvrés. La série a choqué à l'époque les intégristes français qui ont même porté l'affaire en justice.
 
La dernière série de Bettina Rheims a été réalisée fin 2014 en prison, où elle a photographié une soixantaine de détenues. Dans des portraits sobres et émouvants, elle cherche à leur rendre leur dignité et à les aider à se réapproprier leur image de femme. Toute une palette de sentiments et d'attitudes traversent cette galerie de portraits en gros plan, dont certains sont inédits : du sourire de Milica qui fixe tout droit l'objectif, aux yeux tristes d'une autre tournés vers le bas, une rose à la main, tandis qu'une jeune semble nous défier du regard.

Stars et photo taïwanaise

Tandis que Bettina Rheims occupe les trois étages supérieurs, la MEP expose aussi, au rez-de chaussée, les stars de Tony Hage et de Renaud Monfourny. Le premier présente des photos des années 1980, prises "sur le vif" à Cannes ou autour des défilés de mode. Fanny Ardant rigole avec François Truffaut, Isabelle Huppert est plus que nature, Sophia Loren regarde l'objectif l'air surpris. Remarquant qu'on n'a plus le même accès aux stars, que le photographe "est devenue une machine à enregistrer", Tony Hage explique qu'il n'avait aucun contact pour faire ces photos, aucune complicité. Pour lui, "cette distance fait qu'elles sont intéressantes".
 

Tony Hage, Sophia Loren, Cannes, 1983
 (Tony Hage)


A l'inverse, Renaud Monfourny a pris rendez-vous avec ses stars de la musique pour des portraits intimes en noir et blanc, en intérieur ou en extérieur mais jamais en studio. Le photographe des Inrockuptibles a saisi Leonard Cohen pieds nus et en costard, assis sur son lit, Bjork accroupie devant une vieille 403, Patti Smith ébouriffée, droit dans les yeux, qui boutonne sa chemise, Nico hagarde, les pupilles dilatées.

Au sous-sol de la MEP, on entre dans l'univers quatre photographes taïwanais que Michel Frizot, commissaire de l'exposition, a rencontrés là-bas et a voulu nous montrer. Ils travaillent, chacun à leur façon, sur les conséquences de l'industrialisation excessive et les destructions qu'elle induit. Yang Shun-Fa s'intéresse à des lieux abandonnés où il réinstalle des objets, souvent des portraits photographiques laissés là, dans des cadres. En couleur ou dans un noir et blanc irréel.
 

Hung Cheng-Jen, "Place of Melancholy", 2007
 (Hung Cheng-Jen)


Hung Chang-Jen, lui, se met en scène dans un village de pêcheurs en destruction, pliant et chiffonnant ses tirages pour faire des tableaux en relief étonnants aux bords qui paraissent argentés. Yao Jui-Chung crée un univers onirique dans des sites industriels abandonnés à la suite de faillites, sur des manèges désaffectés, tandis que Chen Po-I enregistre les traces d'un typhon après le déblaiement d'un village qui a été englouti sous la boue.

 

 
 
 

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