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Lola Álvarez Bravo, une photographe à découvrir à la Maison de l'Amérique latine

Pour la première fois en France, une exposition à Paris, à la Maison de l'Amérique latine, présente les photographies de Lola Alvarez Bravo, artiste qui a été une figure du monde artistique du Mexique à partir des années 1920-30 et reste méconnue en Europe (jusqu'au 12 décembre 2015).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Lola Álvarez Bravo, à gauche "Les pique-assiettes", 1955 - A droite "Enfant étrange", 1950
 (Lola Álvarez Bravo, Fundación Televisa, Mexico)

Dolores Martínez (1903-1993) est née dans une famille riche à Lagos de Moreno, dans l'Etat de Jalisco. Ses parents se séparent et elle déménage avec son père à Mexico, où elle vit dans le même immeuble que Manuel Álvarez Bravo, qui deviendra le grand maître de la photographie mexicaine (1902-2002). Elle l'épouse en 1925, et vivra avec lui une dizaine d'années. Elle apprend avec lui la photographie et il l'introduit dans les milieux artistiques de Mexico, en pleine effervescence dans cette époque de l'après-Révolution.
 
Parmi ces artistes, il y a les photographes Américains Edward Weston et Tina Modotti. La conception formaliste du premier, qui rompait avec le pictorialisme, l'a influencée, tout comme la vision plus politique de Tina Modotti, avec qui le couple était très lié (ils l'ont accompagnée quand elle a été expulsée du Mexique et elle leur a laissé son matériel photographique).

Frida Kahlo par Lola Álvarez Bravo
 (Lola Álvarez Bravo, Fundación Televisa, Mexico)


Portraits d'artistes

Il y a bien sûr les peintres mexicains Diego Rivera et Frida Kahlo, avec qui ils étaient également très amis. Lola Álvarez Bravo rencontre aussi Henri Cartier-Bresson et Paul Strand quand ils viennent au Mexique. Le pays est à l'époque en pleine ébullition politique et artistique et accueille de nombreux étrangers, comme Léon Trotski qu'elle a certainement rencontré, même elle ne l'a pas photographié.
 
Lola Álvarez Bravo a fait des portraits de ses amis artistes et abondamment travaillé pour les agences gouvernementales, sur la réforme agraire et sur les programmes sociaux. Ce sont ses portraits et ses travaux plus personnels qui sont exposés à Paris, après la rétrospective de l'été dernier à Madrid, dans le cadre de PhotoEspaña. Reconnue au Mexique, où elle avait une galerie et a organisé en 1953 la première exposition des œuvres de Frida Kahlo, elle l'est aussi depuis quelques années aux Etats-Unis : le Center for Creative Photography de l'Université de Tucson (Arizona) a acquis une collection de ses photos en 1994, Aperture lui a consacré un ouvrage en 2006 et ses images ont été exposées.
Lola Álvarez Bravo, "Au repos", 1960
 (Lola Álvarez Bravo, Fundación Televisa, Mexico)


Une travailleuse de la photographie

En Europe, elle arrive tout juste, sans doute parce que Manuel Álvarez Bravo lui a fait de l'ombre. Elle était pourtant dans l'exposition "Mexican Art Today" à Philadelphie en 1943, au côté de ce dernier.
 
"C'est aussi, explique le commissaire de l'exposition James Oles, qu'elle est une travailleuse de la photographie. Contrairement à des femmes comme Frida Kahlo ou Tina Modotti, elle n'a pas une histoire formidable, elle n'a pas écrit des lettres d'amour passionnées." Après son divorce, elle a dû gagner sa vie et "tous les jours, elle est allée travailler comme photographe."
 
Lola Álvarez Bravo a fait un travail documentaire énorme pour le gouvernement mexicain. Forte personnalité, c'était en même temps une femme modeste, elle affirmait ne pas avoir de prétention artistique. "Je veux faire la chronique de mon pays, de mon époque, de mes proches, de la façon dont le Mexique a changé", disait-elle.
Lola Álvarez Bravo, "Dans sa propre prison", 1950
 (Lola Álvarez Bravo, Fundación Televisa, Mexico)


L'art de la composition

Pour elle, elle photographie ses amis, Diego Rivera appuyé sur une branche morte, le peintre Julio Castellanos les mains sur le visage, María Izquierdo les cheveux confondus avec le feuillage, Frida Kahlo douloureuse et pensive. Elle photographie les gens de la rue, deux travailleurs qui font la sieste sous un camion, des paysans dans les champs, une petite fille sur un cheval de manège, un aveugle, un bel "enfant étrange" au bord de la mer. Des images qui traduisent ses préoccupations sociales et son empathie avec les indigènes.
 
C'est toujours avec respect qu'elle approche les gens : elle explique dans un film combien le portrait est un art difficile, parce que l'appareil photo impressionne.
 
Elle raconte avoir appris la composition auprès des peintres et on retrouve chez elle le même souci graphique que chez Manuel Álvarez Bravo, comme dans cette image prise sous un escalier d'où nous regardent un groupe de garçons.
Lola Álvarez Bravo, "Le Sommeil (Isabel Villaseñor), 1941
 (Lola Álvarez Bravo, Fundación Televisa, Mexico)


Marquée par le surréalisme

Comme lui, elle a été marquée par le surréalisme (André Breton s'est rendu au Mexique et y a co-organisé une exposition du surréalisme), une ambiance étrange et onirique gagne certaines de ses images, où on peut voir une tête de statue à une fenêtre, une jeune fille dans une grande chemise blanche endormie sur un tronc d'arbre.
 
L'aspect le plus original de l'œuvre de Lola Álvarez Bravo, qui la démarque de Manuel Álvarez Bravo, c'est certainement le photomontage. La préoccupation politique est plus présente dans son art à elle, elle s'inquiète des événements du milieu des années 1930 et l'exprime dans des montages pour des affiches et des revues.
Lola Álvarez Bravo, "Ouvrir des chemins", 1948
 (Lola Álvarez Bravo, Fundación Televisa, Mexico)


Des fresques murales photographiques

Ses photomontages sont un enchevêtrement serré et graphique incroyable d'images, comme cette flore tropicale qu'elle a conçu pour un théâtre, propriété de la sécurité social. Et le plus étonnant, c'est qu'elle réalise des fresques murales photographiques avec ses montages. Elle est la seule à faire ça au Mexique, à l'époque où Diego Rivera est célèbre pour ses fresques peintes. Une des fresques de la photographe a été reproduite dans l'exposition, pour donner une idée de l'échelle de son travail.
 
Elle a par exemple réalisé cinq fresques photographiques pour le ministère des Communications et des Travaux publics.
 
Lola Álvarez Bravo, Photographies, Mexique, Maison de l'Amérique latine, 217 boulevard Saint-Germain, 75007 Paris
Du lundi au vendredi, 10h-20h
Samedi 14h-18
Fermé les dimanches et jours fériés
Entrée libre
Du 23 septembre au 12 décembre 2015
Lola Álvarez Bravo, "Julio Castellanos", 1946
 (Lola Álvarez Bravo, Fundación Televisa)
 

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