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Michael Schmidt et son Berlin en noir, blanc et gris : un grand photographe allemand à découvrir au Jeu de Paume

Michael Schmidt a saisi l'atmosphère du Berlin de l'après-guerre comme personne. Cette grande figure de la photographie allemande n'avait jamais eu d'exposition personnelle en France. Le Jeu de Paume lui offre une rétrospective.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5min
Michael Schmidt : à gauche, Sans titre, "Waffenruhe" [Cessez-le-feu], 1985-87 - à droite, Sans titre, "Berlin-Kreuzberg. Stadtbilder" [Berlin-Kreuzberg. Vues urbaines], 1981-82 (© Foundation for Photography and Media Art with the Michael Schmidt Archive)

Figure majeure de la photographie allemande, il a photographié sa ville, Berlin, dans un langage visuel en constante évolution et avec une poésie noire ou grise saisissante. Michael Schmidt n'avait jamais eu d'exposition personnelle en France. Le Jeu de Paume lui consacre une importante rétrospective à voir absolument (jusqu'au 29 août 2021).

En outre, cette exposition, qui après Berlin et avant Madrid et Vienne s'arrête à Paris, est "la plus complète de son œuvre à ce jour", précise Thomas Weski, le commissaire de l'exposition, historien de la photographie qui a travaillé avec Michael Schmidt pendant 30 ans et qui salue un artiste "à découvrir, à regarder, à explorer".

Berlin en gris

Michael Schmidt, Sans titre "Waffenruhe" [ Cessez-le-feu ], 1985-87 (© Foundation for Photography and Media Art with the Michael Schmidt Archive)

Autodidacte, Michael Schmidt (1945-2014) est gendarme à Berlin, la ville où il a grandi dans l'après-guerre, quand il commence à photographier en amateur, en noir et blanc, en 1965. Jusqu'à la réunification, le Berlin de l'après-guerre, divisé, avec son atmosphère si particulière, sera quasiment l'unique sujet de son travail, mais son langage va évoluer constamment. Il se détachera progressivement de l'approche documentaire de ses débuts.

Il enseigne la photographie dès 1969 dans son quartier, à l'université populaire de Berlin-Kreutzberg et quand il quitte la gendarmerie en 1973, il réalise des commandes pour les municipalités de Berlin. Il photographie les rues de la ville, les bâtiments, les femmes au travail, les immigrés.

Au tournant des années 1980, son style se fait plus personnel, il livre des vues désolées de Friedrichstadt, un quartier lourdement touché par la guerre, rendant des espaces vides, terrains vagues et friches sous la pluie ou couverts de neige, des murs de béton, dans des tonalités très grises, parce que pour lui le noir et blanc ne suffit pas à rendre compte des nuances de la réalité.

"Waffenruhe", une façon d'occuper l'espace d'exposition

Michael Schmidt, Sans titre, "Architektur"[Architecture], 1989–1991 (© Foundation for Photography and Media Art with the Michael Schmidt Archive)

Il évolue encore, dans les années 1980, avec des images plus contrastées, des vues plus fragmentaires, plus sombres, parfois presque abstraites. L'exposition restitue la façon dont, à cette époque, il expose son travail, juxtaposant les images par groupes, alternant des tirages assez grands de vues urbaines, de portraits et de détails de végétation.

Avec Waffenruhe (Cessez-le-feu), une série d'une grande poésie noire, Michael Schmidt "a inventé une façon d'utiliser l'espace d'exposition. Au milieu des années 1980, il a été un des premiers photographes à instituer de telles expositions de photo. Il a influencé de nombreux jeunes photographes en renouvelant constamment la façon dont il montrait son travail", explique Thomas Weski. Un graffiti sur un mur sombre côtoie un portrait de jeune en gros plan, un coin de mur occupant presque tout le cadre est accroché à côté d'une image de branches, un trou dans un portail métallique laisse entrevoir un paysage urbain flou.

En 1989-1991, dans la série Architektur, il isole un mur qui se détache sur un petit bout de ciel gris, un tuyau explosé qui court le long d'un mur, un coin de palissade. Quelques images de troncs d'arbres en gros plan, de morceau d'écorce comme des portraits, nous montrent, au-delà de la ville, le goût de Michael Schmidt pour la nature.

Lebensmittel, ou comment on s'alimente

Michael Schmidt, Sans titre, "Lebensmittel" [Denrées alimentaires], 2006-2010 (© Foundation for Photography and Media Art with the Michael Schmidt Archive)

Après la réunification, l'artiste ne photographiera plus Berlin, mais il réalise une grande série (Ein-heit, Uni-té) sur l'identité allemande depuis le nazisme, s'interrogeant sur le rôle de l'individu dans la société. Dans cette fresque singulière, il mêle ses propres photographies et des documents, des pages de journaux, des images de propagande singulière.

Totalement nouveau, son dernier travail, Lebensmittel (Denrées alimentaires, 2006-2010), où il introduit cette fois la couleur à côté du noir et blanc, interroge la façon mondialisée dont on s'alimente. Il voyage à travers l'Europe, se rendant dans des usines agro-alimentaires et des exploitations agricoles. Une pomme verte parfaite, un gros plan sur des tranches de mortadelle presque abstraites, un sachet plastique de viande hachée sanguinolente, un pis de vache, un empilement de cartons, l'œil d'une vache, sans référence de lieu, nous questionnent sur notre façon de consommer la nourriture.

Pour cette série, Michael Schmidt a reçu le prix Pictet, trois jours avant sa mort en 2014. Dès 1988, le Museum of Modern Art lui avait acheté sa série Waffenrhue et huit ans plus tard, le Moma exposait sa série Unity.

Michael Schmidt, Une autre photographie allemande

Jeu de Paume

1 place de la Concorde, jardin des Tuileries, Paris 1er


Tous les jours sauf le lundi, 11h-19h (pas de nocturne jusqu'à nouvel ordre)

Tarifs : 10 € / 7,50 €

Jusqu'au 29 août

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