Mostra de Venise : la photographe star Nan Goldin se met à nu dans un documentaire événement, récompensé du lion d'or
De ses traumatismes du passé à ses combats d'aujourd'hui, la photographe Nan Goldin se livre dans un film présenté à Venise.
C'est l'une des plus grandes photographes contemporaines, et sa vie est marquée par les morts : du sida à la crise des opiacés, son dernier combat, le parcours de Nan Goldin est dévoilé comme jamais dans un documentaire événement présenté à Venise. Il a remporté le Lion d'or de la 79e Mostra de Venise.
Signé Laura Poitras, All the Beauty and the Bloodshed est un voyage à travers la vie de la photographe de 68 ans, connue pour ses clichés du New York underground et qui a tant côtoyé la mort. Auprès de la réalisatrice américaine, la photographe se livre encore un peu plus, troquant l'appareil photo pour le micro.
Une thérapie sans thérapeute
"Nos sessions (d'enregistrement) ensemble étaient comme une thérapie sans thérapeute. J'ai parlé de choses très douloureuses", a expliqué à Venise Nan Goldin, très tôt marquée par la mort de sa sœur aînée, profondément dépressive.
Sur ce traumatisme, le film, en lice pour le Lion d'or, livre les comptes rendus des psychiatres décrivant une enfant privée de tout soutien avant de sombrer. Il propose un témoignage rare des parents de Nan Goldin, aux allures de couple américain parfait, filmés par cette dernière.
Selon les psychiatres de l'époque, ce n'est pas "Miss Goldin", la sœur chérie de Nan, mais bien "Mme Goldin", cette mère défaillante, qu'il aurait fallu soigner. La photographe raconte que le suicide de sa sœur, qui s'est jetée sous les roues d'un train, l'a rendue muette pendant plusieurs mois, et que c'est par la photographie qu'elle a pu s'exprimer à nouveau.
La voix de la photographe, connue pour son travail sur la sexualité et la drogue, résonne avec ses photos les plus célèbres, dont la série The Ballad of Sexual Dependency, qui documente les communautés queer dans le New York des années 1970-80.
Des drames qui ont nourri ses combats, du sida aux opiacés
Nan Goldin lève le voile sur ses blessures et ses débuts dans la précarité. Elle raconte que c'est en "suçant un chauffeur de taxi en échange d'une course" qu'elle a pu se rendre dans la galerie qui lui achète ses premières photos. Elle dit aussi, pudiquement, avoir dû se prostituer dans une maison close, dont elle se sortira en intégrant un bar tenu par une communauté lesbienne. Elle raconte comment elle a échappé de peu à la mort quand elle a été agressée par un de ses compagnons.
Les drames ont nourri les combats de Goldin, à commencer par le sida, qui a emporté nombre de ses amis artistes et aussi fait naître de nouvelles formes de mobilisation, mêlant artistes et militants. Un saut dans le temps conduit à l'époque contemporaine, où Nan Goldin a pris la tête d'un combat contre les producteurs d'opioïdes, des antidouleurs qui ont rendu dépendants et tué un demi-million d'Américains ces deux dernières décennies.
Le documentaire se penche longuement sur ce dernier combat à la David contre Giolath. La photographe, ayant elle-même frôlé la mort à cause de sa dépendance, a mis sa notoriété au service de la lutte contre la richissime famille Sackler qui a produit l'Oxycodone tout en étant mécène des plus prestigieuses institutions culturelles.
Séquences inédites d'un procès
"Ma plus grande fierté, c'est que nous ayons mis à genoux une famille de milliardaires dans un monde où les milliardaires ont une autre justice que les gens comme nous", a déclaré Nan Goldin à Venise, précisant qu'il fallait poursuivre le combat pour "garder en vie" les personnes dépendantes, les "déstigmatiser" et les traiter.
La signature de Laura Poitras, journaliste d'investigation confidente des lanceurs d'alerte Edward Snowden et Julian Assange, laissait espérer des révélations sur cet énorme scandale sanitaire. Il n'en est rien mais le film comporte tout de même quelques séquences inédites, dont la plus forte est la captation de l'audience judiciaire de deux heures par vidéo-conférence, obtenue de haute lutte par les militants, durant laquelle les héritiers de la famille Sackler sont condamnés à écouter, derrière leur écran d'ordinateur, les témoignages de proches de victimes.
Voir ces milliardaires scruter d'un œil vide leur écran, tandis que des parents leur font écouter les hurlements de douleur de leur fils en pleine crise de manque, et décédé depuis, glace le sang.
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