"Noir et blanc" au Grand Palais : l'exposition n'ouvrira pas ses portes, on se console (un peu) avec le catalogue
C'est officiel, la grande exposition "Noir et blanc" consacrée à la photographie monochrome au Grand Palais, plusieurs fois repoussée, n'ouvrira pas ses portes. On peut en avoir un aperçu grâce au très beau catalogue et à quelques contenus en ligne.
150 ans d'histoire de la photographie en noir et blanc, de Nadar à Valérie Belin en passant par Ansel Adams, Willy Ronis, Robert Doisneau, Diane Arbus, Mario Giacomelli, Ralph Gibson, Daido Moriyama… L'exposition au Grand Palais s'annonçait énorme : 300 tirages de 200 photographes d'une trentaine de nationalités, issus des collections de la Bibliothèque nationale de France (BnF). Prévue pour avril 2020, elle avait été repoussé à novembre. C'est officiel : la Réunion des musées nationaux l'a annoncé jeudi 28 janvier, elle n'ouvrira pas ses portes.
Pour s'en consoler (un peu), on peut découvrir quelques contenus en ligne (d'autres sont annoncés pour les semaines qui viennent), des grandes images sur les quais du métro et surtout le catalogue (Éditions Rmn-Grand Palais en coédition avec la Bibliothèque nationale de France) de l'exposition à la mise en page sobre et efficace.
Des images qui se répondent
Le plus souvent, deux images se répondent de façon magistrale sur les doubles pages. Les volutes d'un Coquillage d'Edward Weston (1927) font écho à celles de Deux callas d'Imogen Cunningham (1925). Deux silhouettes contrastées se tournent le dos, un enfant flou de Laurence Leblanc (Chéa, Cambodge, 2000), en face d'un long mannequin dans une robe Balenciaga par Cecil Beaton (1967). La fine ligne blanche qui borde une chaussure à talon par Helmut Newton (Chaussure Monte Carlo, 1983) répond au col blanc d'un prêtre qui se détache de son habit noir par Ralph Gibson (Quart de cercle ou Clergyman, 1975).
Les textes remettent en perspective le noir et blanc dans l'histoire de la photographie : on réalise qu'au commencement, au milieu du XIXe siècle, il n'y avait pas de noir et blanc, plutôt du monochrome. C'est seulement dans les années 1880, avec les tirages au platine et au gélatino-bromure d'argent que les vrais noirs apparaissent. Selon différents procédés chimiques, les premières photographies se présentaient dans ce qu'on a appelé "sépia", des teintes du roux au brun, ou dans le bleu du cyanotype, Une série de six tirages différents d'une photographie des enfants d'Emile Zola prise par l'écrivain le montre très bien.
Dessin, ombre et lumière, matière
Quand le noir s'impose, le noir et blanc n'est pas encore une esthétique en soi puisque, alors, la photographie est synonyme de noir et blanc. C'est avec la commercialisation de films couleur au milieu des années 1930 qu'il devient un mode d'expression à part entière. Il ne disparaît pas et devient un genre photographique, plus artistique alors que la couleur a un usage plus commercial.
Le catalogue souligne les qualités graphiques du noir et blanc, qui le rapprochent de la gravure (réunie d'ailleurs à la BnF dans le même département). Il met en lumière le jeu sur les contrastes qui "traduit le dessin du monde et le monde en dessin". Le jeu infini, aussi, entre l'ombre et la lumière, "matière première pourtant impalpable, évanescente, insaisissable, soumise aux aléas du ciel ou aux caprices de la virtuosité". Harry Callaghan saisit ainsi Eleanor, corps nu minuscule et éclairé dans une obscurité immense, Brassaï l'atmosphère poétique des nuits parisiennes. Le texte souligne aussi les effets de matière que permet toute la gamme des gris, et qu'on ne peut apprécier pleinement sur le catalogue, même si les reproductions sont superbes.
Noir et blanc en ligne
Le Grand Palais propose aussi quelques contenus sur internet , et annonce pour courant février une visite virtuelle interactive et des visites-conférences en ligne. Le site du Grand Palais offre déjà un court film qui faisait partie du parcours d'exposition, Les artistes du noir et blanc d'hier et d'aujourd'hui, est proposé en ligne : dans un document de l'Ina, Man Ray explique comment il fait ses "rayographes", Edouard Boubat commente des photos prises au jardin du Luxembourg où des enfants jouent dans la neige, et l'image "extraordinaire" où "tout semble à sa place" (elle est reproduite dans le catalogue). William Klein commente une de ses planches contact d'où est extrait un tirage de l'exposition.
Valérie Belin évoque "la dimension abstraite" du noir et blanc qui "opère un décalage avec la réalité qui s'offre à la vue en couleur", et l'apport du numérique à son travail. Israel Ariño, au contraire, dit qu'il aime le côté physique du tirage argentique, proche du travail de l'artisan. Il parle du travail à la chambre qui donne un "aspect presque réel" à l'image, en donnant l'exemple d'une chouette fascinante de matière.
Pour finir, Isabelle Meneu, tireuse de photographies argentiques noir et blanc, montre avec plusieurs tirages à quel point son travail peut "participer à la création d'un univers ou d'une atmosphère qui correspond à chaque photographe" et explique comment elle travaille avec celui-ci pour obtenir l'image qu'il a dans la tête. Boris Gayrard, tireur numérique, explique, lui, qu'il n'a pas changé sa façon de faire quand il est passé au numérique et montre son travail sur une photographie de William Klein.
Pour les enfants et dans le métro
Toujours sur le site, un diaporama raconte aux enfants les débuts de la photographie. Un jeu, de difficulté variable, permet de resituer un détail dans une image de Gustave Le Gray, Alfred Stieglitz ou Imogen Cunningham, et d'autres proposent de colorier une image en noir et blanc, ou de reconstituer un puzzle d'une photographie.
Enfin, la RATP s'est associée à la RMN en montrant 38 photographies parmi les 300 qui devaient être exposées au Grand Palais, de Willy Ronis à Jane Evelyn Atwood, de Flor Garduño à Henri Cartier-Bresson. Elles sont collées en grand format et tirage affiche sur les quais de 13 stations du métro et du RER* (jusqu'au 28 février).
"Noir et blanc, une esthétique de la photographie, collection de la Bibliothèque nationale de France", textes de Sylvie Aubenas, Héloïse Conesa, Flora Triebel, Dominique Versavel, Kim Timby, Michel Frizot (éditions de la Réunion des musées nationaux - Grand Palais, en coédition avec la BnF, 264 pages, 250 illustrations, 45 €)
*Hôtel de Ville, Châtelet, Châtelet-les-Halles, Luxembourg, Saint-Denis Porte de Paris, Gare de Lyon, La Chapelle, Saint-Michel, Madeleine, Pyramides, Jaurès, Bir-Hakeim, Nanterre-Université
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