Oscar Muñoz, image, mémoire et disparition au Jeu de Paume
Les oeuvres d'Oscar Muñoz, c'est rarement à proprement parler de la photographie. Et pourtant il y fait tout le temps référence, s'interrogeant sur le rapport entre l'image et la mémoire. Il ne s'intéresse pas au moment de la prise de vue. La question qu'il se pose, c'est comment l'image va se fixer.
C'est ainsi qu'il explore des supports inédits, du rideau de douche mouillé à la surface de l'eau, des supports mouvants qui immobilisent l'image de façon plus qu'imparfaite. Celle-ci est souvent amenée à disparaître complètement, comme une allusion à la fragilité de la vie et à la violence en Colombie.
Une ville qui s'estompe sous les pas des visiteurs
Né en 1951, Oscar Muñoz est un des grands noms de l'art contemporain dans son pays et il est reconnu dans le monde entier depuis quelques années. Il s'intéresse au dessin, à la gravure, à la photographie et commence, dans les années 1970, par de grands fusains hyperréalistes sombres où on peut voir son intérêt pour les questions sociales et pour le graphisme.
Pour ouvrir l'exposition, il fait un portrait de sa ville, invitant le visiteur à marcher sur une grande vue aérienne de Calì couverte d'un plexiglas qui se craquelle à chaque pas, estompant le plan sous un réseau de fendillements. Un portrait complété par une collection de photos d'anonymes recueillies auprès de photographes ambulants.
Très vite, Oscar Muñoz cherche des supports différents, "pour une image qui serait entre vapeurs, dissolution, ombres, dématérialisation". Il reporte ainsi au pochoir des silhouettes sur des rideaux de douche en plastique mouillé, formes qui flottent dans l'espace constituant un étrange ballet fantomatique.
"Narcisos" : autant en emporte l'eau
Au milieu des années 1990, il invente une technique fascinante, l'impression sur l'eau, et inaugure sa série des "Narcisos" (Narcisses), des autoportraits avec de la poussière de charbon déposée par sérigraphie sur la surface d'un bac d'eau. Ces images sont fragiles : elles se modifient ou se brouillent avec l'évaporation, ou quand un robinet installé au-dessus lâche une goutte de temps en temps.
Quand Oscar Muñoz se met à utiliser la vidéo, le procédé se sophistique : l'autoportrait posé sur l'eau d'un évier se déforme pour disparaître finalement dans la bonde. Le contour et son ombre sur le fond blanc se rapprochent jusqu'au moment où les deux traits se confondent : tout s'évanouit alors, comme s'il était impossible de fixer le temps.
Un temps qui s'inverse quand, au lieu d'utiliser son autoportrait, l'artiste emprunte des images tirées des rubriques nécrologiques. Après avoir disparu au fond de la vasque, elles vont ressurgir et se reconstituer, ces morts anonymes semblant dire qu'ils refusent l'oubli. Le processus qui semble magique est assez jubilatoire.
La métaphore du souvenir et de l'oubli
Dans Lìnea del destino ("Ligne du destin"), Narcisse est encore plus Narcisse. De l'eau, au creux d'une main, reflète un visage. A mesure que l'eau s'écoule entre les doigts, l'image disparaît.
La transformation de l'image dans la vidéo "est la métaphore du souvenir et de l'oubli, de notre difficulté à retenir, à conserver une image, de notre mémoire à être un support véritablement résistant au temps", dit Oscar Muñoz.
L'artiste colombien se soucie également de l'interaction avec le public, créant "Aliento" (souffle), des vrais miroirs, cette fois-ci, accrochés à hauteur du visage. Le souffle du spectateur fait apparaître un portrait imprimé avec de la graisse : un dialogue s'établit alors entre "se regarder" et "regarder l'autre", explique Oscar Muñoz.
Loin et près de la photographie en même temps, l'exposition a été baptisée "Protographies", pour évoquer le temps situé avant celui de la fixation de l'image.
En même temps qu'Oscar Muñoz, le Jeu de Paume expose la photographe d'origine hongroise Kati Horna qui, au fil des exils, de Paris à Mexico, a forgé à partir des années 1930 un style documentaire très personnel, teinté de surréalisme.
Oscar Muñoz, Protographies, Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, Paris 8e
Tous les jours sauf lundi
Mardi 11h-21h
Mercredi à dimanche : 11h-19h
Tarifs : 10€ / 7,5€
Jusqu'au 21 septembre 2014
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