"Parrathon" à Rennes : toute l'ironie du photographe britannique Martin Parr dans une rétrospective au Frac Bretagne
Angleterre, plages, selfies, danseurs et couples qui s'ennuient, consommation et tourisme de masse, tout l'univers de Martin Parr est exposé au Frac Bretagne à Rennes.
Martin Parr, le photographe britannique célèbre pour ses images ironiques de ses compatriotes ou des touristes, fait l'objet d'une grande rétrospective au Frac (Fonds régional d'art contemporain) Bretagne à Rennes, la première en France depuis celle de 2005 à la Maison européenne de la photographie à Paris en 2005. Dans les salles spacieuses du Frac, on peut voir 14 séries de dix à vingt images, des premières en noir et blanc à la dernière sur les selfies. Une occasion inratable de découvrir tous les aspects de l'oeuvre de l'artiste.
On connait le regard acéré de Martin Parr sur les hordes de touristes en Grèce ou en Egypte et sur la société anglaise, et ses images pleines de couleurs. On connait moins ses premières séries en noir et blanc, où perçait déjà l'oeil moqueur. Le public est au rendez-vous depuis la mi-juin au Frac de Rennes pour découvrir tous les aspects de son travail dans un marathon de 500 images, baptisé Parrathon.
"C'est la première fois que Martin Parr accepte de montrer son travail d'avant 1986", le moment où il bascule dans la couleur. "Montrer son travail en noir et blanc, c'était transformer la façon dont on perçoit son travail, ça le ramène à une histoire de la photographe avec laquelle il avait cherché à rompre", remarque Alice Malinge, la responsable du service des publics au Frac de Rennes.
Du noir et blanc à la couleur
L'exposition commence avec Bad Weather (1982), une très belle série, en noir et blanc donc, assez classique, où Martin Parr s'est amusé à regarder les Anglais et les Irlandais affronter la pluie. On se bat avec un parapluie, on se protège la tête sous un journal ou un carton de chocolats Rolo, on se baigne sous la pluie, on tend le bras depuis un abribus pour l'évaluer, un enfant réfugié dans une cabine téléphonique écrase son visage sur la vitre. Dans ces images, déjà, Martin Parr scrupte ses congénères avec humour. C'est la grande comédie du mauvais temps.
Il commence aussi à utiliser le flash qui fait des gouttes d'eau autant de points lumineux, et qui met l'accent sur un visage.
On découvre une série encore plus ancienne, en noir et blanc aussi, The Non-Conformists (1975), réalisée par Martin Parr alors qu'il vient de finir ses études. Il suit des communautés méthodistes et baptistes du Yorkshire. Bord de mer, repas : on remarque déjà des sujets qui seront récurrents dans son œuvre. Ce sont les scènes de la vie ordinaire qui l'intéressent. "C'est en faisant cette série qu'il s'aperçoit que c'est compliqué d'avoir un regard distancié et critique sur des gens qu'on côtoie tous les jours. C'est à partir de ce moment-là qu'il va se dire qu'il a besoin de garder de la distance avec les sujets qu'il photographie", raconte Alice Malinge.
Riches et pauvres, la comédie de la vie quotidienne
"Je m'intéresse à la vie quotidienne, mon terrain de jeux ça peut être la plage ou le supermarché. Mon boulot c'est de faire des photographies intéressantes au cours de la vie ordinaire des gens", a expliqué le photographe sur France Culture le 12 juin. La vie ordinaire des riches comme des pauvres, même s'il semble avoir moins d'empathie pour les premiers.
Sa première série réalisée en couleurs,The Last Resort (1983-1985), est beaucoup plus sarcastique que les précédentes. On est à New Brighton, une cité balnéaire sur le déclin près de Liverpool, en pleine période thatchérienne. La population ouvrière, durement frappée par le chômage, y profite de la plage. Mais c'est à l'ombre d'un engin de chantier qu'on étend sa serviette. Une jeune maman allongée le long d'une digue semble exaspérée par les cris de son bébé, la glace coule sur le menton des enfants et on se bouscule en grimaçant pour acheter des hot-dogs.
On a reproché à Martin Parr de se moquer des gens. "Il part de l'idée que les gens sont drôles. Quand il a présenté cette série à Liverpool, les gens ont apprécié d'être montrés comme ça, ça les a amusés. Par contre à Londres, il a été beaucoup critiqué, on l'a accusé d'être méprisant", raconte Alice Malinge. "L'ouvrier parle de façon beaucoup plus ouverte et simple", et accepte bien plus volontiers d'être photographié, dit par ailleurs l'artiste sur France Culture.
Il s'est intéressé également aux classes aisées, des classes moyennes supérieures à la jet set, qui lui ont inspiré plusieurs séries. Avec Luxury on est dans des lieux très chics de Miami à Dubaï, où se rencontrent des dames en manteau de fourrure et lunettes de grandes marques. Mais il y a toujours un détail qui cloche, une mouche sur un beau chapeau, un rouge à lèvres qui déborde, des escarpins blancs oubliés au milieu d'une ronde de verres posés à terre. Dans Establishment, il étudie la haute société, de Londres à Oxford, où les rituels et déguisements -toges, perruques, et tenue bleu pâle de la reine Elizebeth vue de dos- paraissent bien anachroniques.
Consommation de masse
Deux murs en angle sont littéralement couverts d'images, plus de 200 au total : des gros plans sur des détails de repas, des objets de consommation courante : en vrac des boites de meat balls, des mains d'enfant grassouillettes sur un beignet entamé, une guêpe sur une cuiller de jelly, des choux de Bruxelles, des petits pois, des mégots dans du sable, des chaussettes roses dans des sandales, un enfant qui fait une grosse bulle de chewing gum, des hot-dogs, une citrouille de Halloween qui s'effondre.
C'est un collage de feuilles en format A4, tirées avec une imprimant de bureau. "Cette série (Common Sense, 1999), on la reçoit sous forme de fichier et c'est le directeur du Frac, Etienne Bernard, qui a choisi les images et composé ce mur. La série s'adapte à l'endroit où elle est exposée", raconte Alice Malinge. "C'est un appel du pied à la photographie amateur", d'un artiste "qui s'intéresse au passage à la photographie numérique."
Martin Parr s'est penché aussi sur la consommation de masse au Mexique (Mexico, 2006), où la culture mexicaine se mélange avec celle du grand voisin du Nord, où des images pieuses côtoient Coca Cola et McDonald.
Autoportrait et selfie
Un des derniers projets de Martin Parr porte sur une pratique qui s'est développée ces dernières années, celle du selfie. Dans le monde entier, on aime se prendre en photo à la plage ou sur un site touristique, à bout de bras ou à l'aide d'une perche.
Mais s'il se moque du selfie, il sait aussi se moquer de lui-même, se présentant comme un homme ordinaire et impassible, plein d'autodérision : il est un adepte depuis toujours de l'autoportrait. 25 ans de Martin Parr en chemise à fleurs ou à carreaux, en homme du Golfe, dans les bras d'un nounours monumental ou en train de faire du judo avec Vladimir Poutine sont accrochées dans des cadres dépareillés. Les photos sont prises aux quatre coins du monde par d'autres photographes, amateurs ou professionnels, dans un photomaton ou devant un décor en carton percé d'un trou où on passe la tête. Dans une autre série, il s'est même glissé avec sa femme au milieu de couples qui s'ennuient (Bored Couples).
De l'Angleterre au monde entier
Martin Parr a un rapport ambigu avec son pays. Il aime dire qu'il l'aime et qu'il le déteste. Il aime la "cup of tea" et ses traditions même s'il s'en moque. Et le Brexit le déçoit profondément. Il a traduit les contradictions de son pays (Think of England) dans des images d'une assiette de biscuits, de rhubarbe, d'une dame en robe à fleurs assise derrière un drapeau national, d'un homme arborant un tatouage "England".
La pratique de la danse, elle, est universelle et jubilatoire, nous dit-il avec une dernière série qu'il poursuit dans le monde entier (Everybody Dance Now, 1986-2018), de Moscou à l'Ecosse, d'une boite gay à un enterrement de vie de jeune fille.
L'exposition Parrathon devrait attirer du monde et poser le Frac Bretagne comme un lieu d'exposition important. Même si sa mission principale est de travailler sur toute la Bretagne à partir de sa collection d'art contemporain riche de plus de 5 000 œuvres. Un cycle d'expositions était prévu dans la région, à partir de photographies de la collection qui résonnent avec les images de Martin Parr. Elles ont dû être annulées en raison de la crise sanitaire mais des concerts sont organisés en lien avec l'exposition, ainsi que la projection en plein air du film Yesterday de Danny Boyle. Et les Transmusicales travaillent sur une bande sonore qui accompagnera bientôt les images.
Parrathon, rétrospective Martin Parr
Frac Bretagne, Rennes, 19 avenue André Mussat
Du mardi au dimanche, 12h - 19h (fermé le 25 décembre et le 1er janvier)
Tarifs : 3 euros / 2 euros, gratuit pour les moins de 26ans, les bénficiaires du RSA, titulaires de la carte Sortir e Amis du Frac Bretagne, gratuit tous les premiers dimanches du mois
Jusqu'au 24 janvier 2021
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