Paul Strand à la Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris : au-delà de la forme, l'engagement
La Fondation Henri Cartier-Bresson à Paris présente 120 clichés et un film qui retracent toute la carrière du grand photographe américain Paul Strand, de ses premières images de New York dans les années 1910 à celles du Ghana de Nkrumah dans les années 1960. L'exposition met l'accent sur le propos politique longtemps occulté d'une œuvre, et sur l'importance du livre dans sa démarche.
Un jeune homme en salopette vous regarde d'un œil noir. Ce portrait, le plus célèbre de Paul Strand, a été pris près de Jarnac, en Charente, en 1951. Le photographe vient de s'installer en France, fuyant le maccarthysme qui menace ce membre de l'American Labor Party. Il sera publié dans son livre La France de profil, avec un texte de Claude Roy qui parle de "la France en colère".
Repolitiser Paul Strand
Pour Clément Chéroux, directeur de la Fondation Cartier-Bresson depuis janvier et commissaire de l'exposition, il s'agissait de "recontextualiser" et de "repolitiser" Paul Strand, longtemps perçu "comme un grand formaliste qui faisait des images de toute beauté et permettant de réfléchir à ce qu'est la photographie". Paul Strand (1890-1976) a eu comme mentor Alfred Stieglitz, défenseur de la photographie comme un art à part entière, mais il s'est formé d'abord auprès de Lewis Hine, le père de la photographie sociale américaine. Il a suivi ses cours à l'Ethical Culture School à New York, s'initiant à un art qui, pour Lewis Hine, peut changer le monde.
La Fondation Cartier-Bresson présente 120 photographies, dont 110 sont issues de la collection de la Fondation MAPFRE de Madrid, "la plus importante collection de Paul Strand en Europe", précise Clément Chéroux. Dans ses premières photographies, entre 1915 et 1929, on voit ses deux préoccupations, formelle et sociale : il saisit les lignes des architectures, un agencement de bols qui forme une image abstraite. Déjà la nature est présente avec des compositions abstraites de morceaux de bois ou les formes d'une fougère. Il faut aussi le portrait d'une clocharde aveugle ou d'un vieil homme sandwich. "Je considère que Paul Strand est un très grand photographe du XXe siècle, précisément parce qu'il a réussi à trouver un extraordinaire équilibre entre des images parfaitement composées, de toute beauté, et quelque chose qui a toujours une conscience sociale, entre le fond et la forme", explique Clément Chéroux.
Portrait d'une communauté
Depuis sa mort en 1976, on a surtout mis en avant la qualité formelle de ses images, or "Paul Strand était très engagé à gauche", et derrière chacun de ses projets "il y a toujours un contexte politique important". Son œuvre a été diffusée par l'éditeur new-yorkais Aperture, qui avait acquis la totalité du fonds d'archives du photographe, or "dans les années 1970-1980, c'était tout simplement impossible pour un éditeur ou un commissaire américain de concevoir que Paul Strand était communiste. C'était plus simple de l'inscrire dans la tradition de la photographie formaliste et d'oublier son engagement politique", souligne Clément Chéroux. C'est donc surtout sur le deuxième aspect que l'exposition met l'accent, même si l'architecture ou la nature continuent à jouer un rôle pour le photographe dans la définition des lieux qu'il documente.
Paul Strand va au Mexique au début des années 1930, où de nombreux intellectuels et artistes américains se rendent après la révolution de 1910. Ses Mexicains semblent concurrencer ses Vierge et ses Christ dans l'attitude hiératique et lointaine.
L'exposition insiste sur l'importance du livre comme vecteur de diffusion de ses images, à partir de son travail sur la Nouvelle-Angleterre (Time in New England) publié en 1950. A partir de là, il va réaliser des portraits d'une communauté, dans un lieu particulier généralement chargé politiquement, et il construit l'ouvrage avec des textes d'auteurs engagés à gauche.
Le temps long de l'histoire
Paul Strand quitte les Etats-Unis au début des années 1950, au plus fort du maccarthysme et s'installe à Orgeval, dans les Yvelines, qui devient son camp de base et où il finira sa vie. Il aime y jardiner et photographier la flore, une pomme tombée cachée sous les herbes, les formes de champignons sur un tronc... De là, il voyage en France et à l'étranger.
En Italie, il travaille avec Cesare Zavattini, le scénariste du Voleur de bicyclette, dans un village de la plaine du Pô, Luzarra, haut lieu de résistance au fascisme devenu un bastion du parti communiste (Un Paese, 1955). En Afrique, il s'intéressera à l'Egypte de Nasser (Living Egypt, 1969), et à la décolonisation, dans le Ghana de Nkrumah qui mène une politique socialiste inspirée du modèle chinois.
En France il fait des portraits de pêcheurs de Douarnenez ou d'agriculteurs de Charente, gens modestes et sans voix. Il publie La France de profil (1952) quelques mois après Images à la sauvette d'Henri Cartier-Bresson. Mais il n'est pas dans l'instant décisif théorisé par le photographe français. "Il s'intéresse au temps long de l'histoire", explique Clément Chéroux.
Paul Strand ou l'équilibre des forces
Fondation Henri Cartier-Bresson
79, rue des Archives, 75003 Paris
Du mardi au dimanche, 11h-19h
Tarifs : 10 € / 6 €
Du 14 février au 23 avril 2023
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