Cet article date de plus de sept ans.

Quand Bourdieu photographiait l'Algérie coloniale

C'est l'un des sociologues les plus cités au monde mais Pierre Bourdieu n'était pas seulement l'homme des mots et des idées. C'est ce que donne à voir l'exposition "Images d'Algérie" présentée Jusqu'au 12 février à la Galerie Stimultania à Strasbourg. Elle réunit 150 photographies en noir et blanc prises par Pierre Bourdieu entre 1958 et 1961, lors de son séjour en Algérie. Un témoignage en images qui raconte le pays autant que l'homme et ses théories.
Article rédigé par franceinfo - Chrystel Chabert
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3min
Foire d'Alger, avril 1959
 (Pierre Bourdieu / Fondation Bourdieu)

 

 

Pierre Bourdieu arrive en Algérie en 1955 pour effectuer son service militaire. A 25 ans, ce béarnais fils d'un ouvrier agricole devenu facteur est agrégé de philosophie. Il sera affecté au service de documentation du gouvernement général à Alger avant de devenir assistant à l'Université de la ville en octobre 1957. Avec ses étudiants à qui il enseigne la philosophie et la sociologie, Bourdieu va mener des enquêtes de terrain pour comprendre le système colonial et ses conséquences sur la vie des algériens. Il se rend dans les régions de Kabylie et de Collo, des bastions nationalistes en proie à des conflits  très durs. A travers des entretiens et des photographies, Pierre Bourdieu va réaliser un vrai travail de documentariste et d'ethnographe. La photo est certes bien maîtrisée - en témoigne la qualité des cadrages - mais elle reste un outil au service de la réflexion.

 

Blida (Couverture du livre : Algérie 60, Paris 1977)
 (Pierre Bourdieu / Fondation Bourdieu)


Une fois utilisées comme support d'étude, Pierre Bourdieu a rangé ses images dans un carton où elles sont restées quarante ans. Il les a ensuite confiées à un ami sociologue, Franz Schultheis (qui préside aussi la Fondation Pierre Bourdieu inaugurée en 2005 à Genève). Elles furent montrées pour la première fois en 2003 à L'Institut du Monde Arabe à Paris, quelques mois après la mort du célébre sociologue. Franz Schultheis  raconte que Bourdieu rechignait à exposer ses photos "par peur d'être taxé de vouloir faire l'artiste. Mais il les regardait souvent, comme on regarde un trésor. Ces images reflétaient une période de sa vie et racontaient la relation très forte qu'il entretenait avec l'Algérie".

 

Sans titre
 (Pierre Bourdieu / Fondation Bourdieu)

 

C'est de ces années algériennes que date son engagement politique mais aussi son choix pour la sociologie et quelques-unes de ses pensées fortes telles que la domination sociale. Bourdieu avait en effet rapproché celle qu'exerçait le pouvoir colonial sur les communautés paysannes et celle de l'Etat national sur la paysannerie de son Béarn natal. Son séjour algérien lui permit ainsi de se réconcilier avec ses origines : " Le regard d'ethnologue compréhensif que j'ai pris sur l'Algérie, j'ai pu le prendre sur moi-même, sur les gens de mon pays, sur mes parents, sur l'accent de mon père, de ma mère et récupérer tout ça sans drame, ce qui est un des grands problèmes de tous les intellectuels déracinés".

 

Blida
 (Pierre Bourdieu / Fondation Bourdieu)

 

"Images d'Algérie de Pierre Bourdieu -" à voir  jusqu'au 12 février 2012 à la Galerie Stimultania à Strasbourg - 33, rue Kageneck - Entrée libre du mercredi au dimanche de 14h à 18h30

 

Pierre Bourdieu en quelques citations :
- "Dans beaucoup de choix de la vie, il est difficile de savoir la part de la réaction contre et de l'inclination pour"
- "Pour changer la vie, il faudrait commencer par changer la vie politique"
- "Qu'est-ce qu'un citoyen qui doit faire preuve à chaque instant de sa citoyenneté ?"
et enfin :
"Je préfère me débarasser des faux enchantements pour pouvoir m'émerveiller des vrais miracles"

 

 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.