"6 mètres avant Paris" : les portes de la capitale par Eustachy Kossakowski, au MAC VAL
L'exposition s'appelle "6 mètres avant Paris", car Eustachy Kossakowski (1925-2001), arrivé de Pologne avec son épouse de l'époque Anka Ptaszkowska qui l'assiste dans son projet, décide de poser son appareil photo selon un protocole rigoureux, à 6 mètres des entrées de la ville. Le panneau Paris est vu de face, au centre du cadre.
"C'est un projet qui l'a occupé pendant un an. C'était surement une manière d'apprivoiser le monstre que pouvait être Paris à ce moment-là", raconte Frank Lamy, commissaire de l'exposition. "Avec sa compagne de l'époque ils ont quitté la Pologne. Ils ont quitté famille, enfants pour fuir le régime. Ils avaient besoin de faire le tour de Paris pour arriver à y entrer. Paris c'est une des rares villes du monde qui a une frontière, le périphérique. A cette époque-là il y a une vraie différence entre Paris et la banlieue."
Entre périphérique et barres d'immeubles, une poésie discrète
Le résultat, ce sont 157 photos, accrochées serré autour d'une salle du MAC VAL (il s'agit de tirages de 2004 réalisés au Musée Nicéphore Niepce de Chalon-sur-Saône). Au premier abord, tout paraît un peu gris et répétitif dans ces vues en noir et blanc. On a du mal à repérer où on est. On essaie de reconnaître le quartier. Les entrées de la ville peuvent se ressembler, et donner une image pas très accueillante de la "Ville lumière", entre périphérique et barres d'immeubles.Et puis si on regarde bien une poésie discrète se dégage, quelques silhouettes, un marché, un petit café, l'ombre d'un platane (il y a souvent des arbres aux portes de Paris), un vendeur de crêpes autour duquel on se retrouve.
"Nos jambes étaient plantées dans les banlieues, mais nos regards touchaient légèrement Paris dans la lentille de l'appareil et s'y laissaient aller", a écrit Anka Ptaszkowska.
Impasse
Une drôle de symbolique, aussi, mine de rien, émerge : les panneaux "Paris" qui paraissaient tous les mêmes sont parfois défoncés, parfois dérobés derrière un arbre. Ils sont presque toujours surmontés d'une indication d'interdiction de stationner, voire d'un sens interdit. Parfois on nous avertit d'un danger. Et le plus drôle est celui, à l'entrée d'une allée ombragée du XVIe arrondissement, qui porte en sous-titre "impasse", comme s'il n'allait pas être aisé d'entrer dans la ville.Il y a un cadre obligé, fixe, et puis les hasards des situations qui s'y inscrivent. S'il y en a moins qu'aujourd'hui, les voitures sont omniprésentes aux entrées de Paris, le parking est encore chaotique, c'est un enchevêtrement de 2CV, de Peugeot 404, de 4L, d'Ami 6, de DS ou de Simca 1000. Une indication de direction nous dit qu'on n'est pas loin de la porte de Montreuil ou de la porte de Choisy, ou bien qu'on peut entrer dans Paris mais qu'à la porte d'Italie on trouve l'autoroute qui nous emmènerait loin d'ici.
Outre les pavés, les murs en briques de petites usines ou de vieux immeubles et les voitures, les graffiti nous rappellent l'époque : un "Pompidou" nous évoque la présidentielle de 1969, ou "les maoïstes" qui se sont inscrits au bas d'un mur nous disent que les journées de mai, c'était hier.
La question de Paris, de la banlieue et de la frontière
Et pourtant, on peut imaginer que cette série soit universelle et parle à tout le monde, qu'on se situe dedans ou dehors, qu'on soit parisien, banlieusard, provincial ou étranger. Elle a été exposée dès 1971 à Paris, au Musée des arts décoratifs, puis dans de nombreuses villes d'Europe, de Stockholm à Bologne."Ça nous a semblé intéressant de donner à voir cette série-là aujourd'hui, en 2017, dans une manifestation autour du Grand Paris, autour de la photo à Vitry-sur-Seine", dit Frank Lamy. "De réfléchir encore une fois à la question du Grand Paris, de Paris, de la banlieue, de la frontière."
"Qu'est-ce qu'on voit en arrivant", demandent les images. "On voit Paris, on voit l'espèce de frontière. Comment entre-t-on dedans ? C'est une série qui résonne particulièrement aujourd'hui dans les réflexions sur l'accueil des étrangers, des migrants."
Rencontre avec Anka Ptaszkowska
Dans le cadre du deuxième "Week-end intense" du Mois de la Photo du Grand Paris, qui a lieu dans 15 communes du sud-ouest de l'Ile-de-France les 22 et 23 avril, Anka Ptaszkowska, la compagne d'Eustachy Kossakowski, galeriste et critique d'art qui a participé à la série "6 mètres avant Paris", sera au MAC/VAL pour une rencontre avec le public dimanche 23 avril à 16h.
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