Rencontres d'Arles : de Helen Levitt à Evangelia Kranioti, huit expositions à ne pas rater
Huit expositions de photographie à ne pas rater cet été à Arles.
Au programme des Rencontres de la photographie d'Arles cet été, on peut voir de nombreuses artistes femmes, l'effervescence des années 1980 telle qu'elle a marqué plusieurs pays, les photographes britanniques, l'habitat... Voici, parmi les cinquante expositions proposées pour l'édition 2019, la 50e, quelques-unes que nous avons particulièrement aimées.
1Helen Levitt, une grande de la photographie
Incontournable, la rétrospective de l'Américaine Helen Levitt (1913-2009), figure et même pionnière de la photographie de rue. Née à Brooklyn, elle a photographié à partir des années 1930 les adultes sur les pas des portes et surtout les enfants dans les rues de New York, notamment dans les quartiers pauvres du Spanish Harlem et du Lower East Side. Elle saisit avec talent leurs jeux, leurs dessins à la craie, leurs expressions, leurs rires. Sa démarche ne relève pas de la critique sociale. Pour elle, comme affirmé dans son documentaire de 1945-1946 (In the Street), la rue est un "théâtre et un champ de bataille" dont chaque protagoniste est "sans le savoir et sans être remarqué, un poète, un masque, un guerrier, un danseur".
Marquée par les surréalistes, elle s'intéresse comme Brassaï aux graffitis, elle fixe les attitudes, les postures, les mimiques comiques, étranges, les enfants bizarrement penchés. A l'affût de ces instants singuliers comme Henri Cartier-Bresson, elle n'hésite pas, contrairement à lui, à recadrer ses images pour mettre l'accent sur une partie de la scène qu'elle a photographiée. Pendant trente ans, elle a travaillé en noir et blanc mais elle s'est intéressée très tôt, dès 1959, à la photographie couleur, continuant à capter des scènes de rue avec talent.
Helen Levitt, observatrice des rues new-yorkaises, à l'espace Espace Van Gogh, jusqu'au 22 septembre
2Evangelia Kranioti, la photographie aux marges
L'exposition de la Grecque Evangelia Kranioti est une des expositions fortes de cette édition des Rencontres. Sa photographie expressive, aux couleurs riches et profondes, va chercher aux marges de la société des personnages dont les visages et la présence physique ne peuvent laisser personne indifférent.
De la nécropole du Caire où vivent les plus démunis de la capitale égyptienne, elle a fait une espèce de théâtre nocturne où ses modèles semblent vivre dans un songe. Au Liban elle a côtoyé les domestiques philippines ou sri-lankaises clandestines qui, le week-end, pour oublier leurs conditions de travail à la limite de l'esclavage, se recréent une vie de rêve et se transforment en "miss d'un jour".
Elle s'est plongée dans l'univers baroque des transsexuels au moment du festival de Rio de Janeiro. Son travail le plus marquant est sans doute Exotica, Erotica (2015) : pendant des années, Evangelia Kranioti a fréquenté le monde des ports, aux quatre coins du monde, s'intéressant aux amours des marins et des prostituées, des amours tarifées qui n'empêchent pas l'attachement, a-t-elle découvert. Avec en point d'orgue Sandy, rencontrée près de Valparaiso. Cette femme de 60 ans attend toujours le retour de ses "maris", avec qui elle s'est fait photographier au Polaroid au fil des ans.
Evangelia Kranioti a reçu à Arles le prix Madame Figaro.
Evangelia Kranioti, Les vivants, les morts et ceux qui sont en mer, à la chapelle Saint-Martin du Méjan, jusqu'au 22 septembre
3Les Britanniques racontés par leur Home Sweet Home
Les Britanniques sont particulièrement attachés à leur chez-soi, nous dit-on. Une trentaine de photographes nous proposent une plongée passionnante, drôle ou questionnante, noire ou colorée, dans l'univers domestique de nos cousins d'outre-Manche depuis les années 1970. Un voyage qui nous raconte la situation politique et sociale du pays.
Les maisons plus ou moins cossues de la petite et moyenne bourgeoisie montrent leurs cuisines avec vue sur le jardin (Andy Sewell). Les intérieurs sont marqués socialement, nous racontent les photographes. Dans les années 1970-1980, dans les maisons ouvrières les moquettes et les papiers peints additionnent leurs motifs lourds (série June Street de Daniel Meadows et Martin Parr). Les décors de la haute bourgeoisie (Belgravia de Karen Knorr) sont presque aussi chargés, dans un autre style.
Après l'arrivée de Margaret Thatcher (1979), les conditions sociales se dégradent. Des photographes décrivent la paupérisation et le chaos, accentué par les cadrages de Ken Grant. C'est aussi l'époque des squats investis par des sans-abris ou des punks, antithèses du "home sweet home", décrits par Mark Cawson en noir et blanc ou Anthony Haughey en couleur. L'exposition raconte encore la démolition des tours dans les années 1990, la tristesse de leurs derniers habitants qui vont devoir quitter des logements auxquels ils étaient attachés malgré la violence qui s'y était développée.
Home Sweet Home, Maison des peintres, jusqu'au 22 septembre
4The Anonymous Project, la maison en Kodachrome
Histoire d'habitat aussi, The Anonymous Project est une entreprise réjouissante : un jour, le réalisateur Lee Shulman achète par hasard une boîte de diapos anciennes qui lui donne envie de collecter les récits photographiques de la vie de milliers d'anonymes depuis 50 ans. Ici, c'est sur le thème de la maison, The House, que tous ces souvenirs dans les couleurs chaudes du Kodachrome sont mis en scène à la Maison des peintres qui est devenue un décor. Chaque coin du bâtiment se transforme en pièce typique des années 1950-1960 : l'intérieur des meubles de cuisine en formica ou du frigo ancien est habité par des figures photographiées dans leurs cuisines de l'époque. Dans une chambre à coucher pleine de gros motifs floraux roses, on dort sur les images projetées. Un mur de téléviseurs affiche des images de personnes qui se montrent fièrement devant leur petit écran. Une collection de chiens en Kodachrome sont projetés au-dessus d'une niche et d'un panier.
The Anonymous Project, The House, Maison des peintres, jusqu'au 22 septembre
5Tom Wood, un regard tendre sur les mères, les soeurs, les copines
Au chapitre des photographes des îles britanniques, on ne se lasse pas des portraits tendres de l'Anglo-Irlandais Tom Wood. Pendant des années, celui qu'à Liverpool on appelait le "photie man" (le type qui fait des photos) a photographié les gens dans la rue, dans le bus, au pub, dans les boîtes où il se rendait plusieurs fois par semaine.
Parmi ses photos, il a choisi pour l'exposition d'Arles les filles, de 7 à 77 ans, entre copines, entre sœurs, avec leurs mères. Il les expose à côté de cartes postales de photos de famille qu'il collectionnait quand il était jeune. Celles-ci figurent aussi des femmes, des jeunes filles, des petites filles à deux, à trois, dans leurs robes à dentelles ou leurs chemises blanches du début du siècle dernier.
Dans ses photos à lui, dans la douce lumière du nord, trois jeunes mères posent avec leurs poussettes, quatre petites rousses à la mode Dalton nous regardent, en ligne, devant un mur plein de graffitis, quatre copines sur leur trente-et-un se tiennent par l'épaule à une table de pub, devant des verres de bière. Et on se dit que le regard empathique de Tom Wood sait les rendre particulièrement jolies.
Tom Wood, Mères, filles, sœurs, Salle Henri-Comte, jusqu'au 25 août
6Quatre photographes de la Movida, en noir et en couleur
A Arles cette année, plusieurs expositions reviennent sur la photographie des années 1980. Quatre artistes de la Movida espagnole nous racontent de l'intérieur l'explosion artistique et des moeurs qui a suivi la fin du franquisme après quarante ans de répression politique et culturelle.
Miguel Trillo a suivi les jeunes de sa génération dans leurs soirées ou dans la rue, en bandes, traquant les détails de leurs tenues, les jeans, les bracelets, leurs coiffures extravagantes, leurs maquillages, pour en faire de l'"art contemporain". Plus trash, Alberto García-Alix raconte le voyage au bout de la drogue (Autoportrait en train de me shooter). Il s'est fait tatouer sur le bras "Don't follow me, I'm lost" (ne me suivez pas, je suis perdu). Il en est revenu mais très peu de ses copains de l'époque ont survécu.
Pablo Pérez-Mínguez, lui, a vu passer chez lui toutes les figures de la Movida. Il en a fait des portraits grand format : le fameux tatouage du suscité García-Alix, Pedro Almodovar en drag… Le studio du photographe "était une scène permanente", dit-il. On a un faible pour la légèreté des œuvres d'Ouka Leele, notamment pour ses figures qu'elle affuble des couvre-chefs les plus farfelus : une couronne de citrons, de disques, de films, de sèche-cheveux ou de téléviseurs. Des images en noir et blanc qu'elle colorise à l'aquarelle, dans des teintes vives et chaudes.
La Movida, chronique d'une agitation, 1978-1988, au Palais de l'Archevêché, jusqu'au 22 septembre
7Années 1980 en Allemagne de l'Est : la photographie se libère
Dans les années 1980 en Allemagne de l'Est, on trouve la même effervescence et les mêmes préoccupations : on est dans la décennie avant la chute du mur, le régime communiste se fissure, les corps se libèrent des tabous de la morale officielle. On découvre que la photographie, elle, s'éloigne du réalisme social pour devenir plus subjective, chercher l'intime. Les êtres sociaux deviennent des corps. Les photographes font des portraits de nus frontaux et décomplexés, témoignent des démolitions de quartiers historiques où ils se mettent en scène. Ils racontent les fêtes d'une jeunesse avide de changement et le développement du mouvement punk à Berlin.
Corps impatients, Photographie est-allemande, 1980-1989, aux Forges, jusqu'au 22 septembre
8La vie dans la "zone", l'immense bidonville qui entourait Paris
L'exposition sur la "zone" co-organisée par les Rencontres et la galerie Lumière des Roses de Montreuil (Seine-Saint-Denis), est à Arles cet été. Lieu mythique, la "zone" est cette bande de 250 m de large qui entourait Paris, le long des fortifications (les "fortifs") construites en 1844 et déclarée non constructible pour raison militaire. Toute une population pauvre s'était installée dans ce no man's land, royaume des biffins (chiffonniers), des rémouleurs, rempailleurs de chaises ou vendeurs des quatre saisons. Ils y avaient construit des habitations de fortune, des cabanes de planches et de tôles pour les plus sommaires, de petites constructions en dur pour les plus élaborées.
La vie y est rude, sans eau et sans électricité, mais marquée par une forte convivialité. De nombreuses photographies d'anonymes, inédites, et aussi de quelques grands noms (Eugène Atget, André Kertesz, Germaine Krull) racontent ces bidonvilles, de Saint-Ouen ou Aubervilliers à Ivry ou Vanves, et leurs habitants qui seront expulsés sous l'Occupation. Les habitations, la vie dehors, la boue, les jeux des enfants, les petits métiers… Un film d'époque nous montre que la récupération et le recyclage de matériaux ne datent pas d'hier.
La Zone, aux portes de Paris, Croisière, jusqu'au 22 septembre
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