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Rencontres d'Arles : l'hommage émouvant de Mathieu Pernot à une famille gitane

Mathieu Pernot travaille depuis 25 ans sur les Gitans et en particulier sur une famille d'Arles, les Gorgan, avec qui il a noué des liens forts. Il a repris et réorganisé ses photos autour de chaque membre de la famille pour leur rendre hommage avec un livre et une exposition particulièrement émouvants. "Les Gorgan" fait partie des expositions à ne pas rater à Arles cet été (jusqu'au 24 septembre)
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Ninaï, extrait de Mathieu Pernot, "Les Gorgan 1995-2015" (Editions Xavier Barral, 2017)
 (Photographies : © Mathieu Pernot)

Mathieu Pernot a connu les Gorgan en 1995, alors qu'il était étudiant à l'Ecole nationale supérieure de photographie d'Arles. Il a commencé à s'intéresser aux enfants qu'il voyait en ville et les a photographiés dans leurs jeux. Ses premières images de la famille, il les a réalisées en noir et blanc, au Rolleiflex. Il s'inscrivait alors "dans une tradition documentaire face à ceux qui m'étaient encore étrangers", écrit-il dans le livre-catalogue de l'exposition ("Les Gorgan", éditions Xavier Barral). "Je maintenais une distance", ajoute-t-il.
 
Plus tard il a emmené les enfants dans le Photomaton de la gare d'Arles pour saisir leurs rires et leurs grimaces face à la machine. Il a poursuivi sa réflexion sur les Gitans en travaillant sur les portraits de face et de profil imposés aux gens du voyage sur des "carnets anthropométriques" dès 1913, retrouvés dans les archives des Bouches-du-Rhône, et sur l'histoire de leur déportation sous Vichy.

Jonathan avec son père Johny, , extrait de Mathieu Pernot, "Les Gorgan 1995-2015" (Editions Xavier Barral, 2017)
 (Photographie : © Mathieu Pernot)


Les Gorgan, Johny, Ninaï et leurs huit enfants

La famille Gorgan, ce sont les parents Johny et Ninaï, et huit enfants. Six quand le photographe les rencontre, plus Ana née en 1996 et Doston, né plus tard, en 2007. Les parents, nés respectivement en 1965 et en 1964, ont aujourd'hui 22 petits-enfants. Mathieu Pernot photographie Ninaï quand elle accouche d'Ana et devient le parrain de la petite fille. Car il entre petit à petit dans l'intimité de la famille.
 
Il perd un peu de vue les Gorgan quand il monte à Paris mais quand Johny est incarcéré à Avignon dans les années 2000, il retrouve les enfants, devenus adolescents, qui crient aux abords de la prison pour entrer en communication avec le détenu. Mathieu Pernot tire de cet espèce de "parloir sauvage" une série en couleur, "Les Hurleurs".
 
Quand, en 2012, le fils ainé, Rocky, meurt à l'âge de 29 ans, il est présent aux obsèques et plus tard il assiste au rite qui consiste, chez les Gitans, à brûler la caravane du défunt.
Vanessa, Extrait de Mathieu Pernot, "Les Gorgan 1995-2015" (Éditions Xavier Barral, 2017)
 (Photographie : © Mathieu Pernot)

Une espèce d'album de famille

Mathieu Pernot avait déjà exposé son travail sur ses amis gitans à Arles en 1997 et publié un livre, "Tsiganes" (Actes Sud). Vingt ans après, il reprend son travail, mélange ses séries pour les réordonner autrement, et rend hommage aux Gorgan avec une nouvelle exposition aux Rencontres d'Arles et un livre bouleversants. "J'ai vécu en leur compagnie une expérience qui dépasse celle de la photographie. A leurs côtés, j'ai assisté pour la première fois à la naissance d'un enfant ; à leurs côtés, j'ai aussi veillé le corps de celui que j'avais vu grandir : Rocky, mort brutalement à l'âge de 29 ans", écrit-il dans la préface du livre.
 
Alors il leur offre cette espèce d'"album de famille" : il consacre un panneau de l'exposition (et un chapitre du livre) à chacun d'eux. Dans chaque série il a isolé les photos de chacun des parents et des enfants et les a réunies. Chaque panneau est une mosaïque des photos en noir et blanc du début, de photomatons, d'images grand format en couleur prises plus tard. Et pour ajouter encore à la multiplicité des points de vue et des formats, il a récupéré des photos de famille, en couleur ou Polaroid, prises par les Gorgan eux-mêmes, qui racontent les événements familiaux ou la vie de tous les jours. Il les mélange avec les siennes.

Une proximité entre le photographe et la famille

"Je ne suis pas parmi eux, mais bien devant eux", affirme le photographe, selon des propos rapportés dans le livre. Il est pourtant évident quand on regarde ses images, qu'une proximité s'est installée entre lui et cette famille, un lien de complicité et de confiance, pour ne pas dire d'amitié profonde.
 
Dans le hangar de la Maison des peintres, nouveau lieu des Rencontres d'Arles, on est saisi par la force et l'énergie, la présence physique que dégagent les différents personnages, la sensualité et la beauté que Mathieu Pernot a su capter.
 
La beauté un peu douloureuse de Ninaï, figure maternelle puissante et magnifique, son regard direct et intense. Le sourire qui éclaire la beauté sombre de Johny, obscurcie au fil des années par les drames de la vie, la prison et la mort prématurée de son fils aîné. La drôlerie de Vanessa "archétype de la petite Gitane en guenilles débordante de vie" quand il l'a rencontrée, dit Mathieu Pernot. Elle dansait alors toute nue et faisait plein de grimaces devant l'objectif. Celle qui est devenue la "ministre" de la famille, parce qu'elle est la seule à être allée à l'école, est maintenant une belle jeune femme pensive.

Vanessa la "ministre", Ana la filleule

Ana, la filleule dont Mathieu Pernot dit la force physique et la personnalité, dort bébé, abandonnée sur le lit, en confiance sous l'œil de sa mère. Adulte, elle crève la surface de la photo. Priscilla, l'aînée des petites filles et aussi la plus timide, se cache le visage devant l'objectif, tout en se marrant. Aujourd'hui mère de cinq enfants, elle est revenue vivre en caravane après quelques années dans un appartement.
 
Les quatre aînés sont des garçons. Petits, ils sont dans les arbres et se chahutent dans l'herbe. Rocky, apparait bébé dans les bras de Johny, un père encore tout gamin, sur une photo noir et blanc abimée et plus qu'écornée. La circulation et l'appropriation des images se poursuivent quand sa famille reproduit en médaillon pour sa tombe des photos réalisées par Mathieu Pernot, qui les remet en abyme en photographiant la sépulture. Giovanni, qu'on a vu jouer dans les wagons désaffectés, hurler près de la prison, a aujourd'hui cinq enfants dont il s'est fait tatouer les noms sur le bras. Mickaël, le beau gosse de la famille, ressemble comme deux gouttes d'eau à son père. Jonathan, enfant, était le petit rigolo. Il est devenu la vedette de la famille. Il a même tourné dans un film.

"Une forme authentique de la photogénie"

Dans le livre de l'exposition, Clément Chéroux, qui est responsable de la photographie au SFMOMA (San Francisco Museum of Modern Art) après avoir dirigé le département de photographie du Centre Pompidou, dit mieux que personne la "puissance d'incarnation" des membres de la famille.
 
"Il y a incontestablement chez eux une forme authentique de la photogénie (…) Une photogénie fière, fauve, à fleur de peau" qui "se traduit par une certaine prestance, une façon de se tenir debout, de regarder au-delà de l'objectif, d'irradier la surface de l'image, bref, de trouer l'éternité. C'est là précisément ce qu'a su fixer Mathieu Pernot : l'éclat d'une gemme à l'état brut, une forme ancestrale et lyrique de la vitalité", souligne Clément Chéroux.

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