Rencontres d'Arles : Masahisa Fukase, la photographie jusqu'à l'obsession
L'exposition du Palais de l'Archevêché d'Arles, une des incontournables des Rencontres de la photographie d'Arles cette année, s'ouvre sur des polaroids géants réalisés par Masahisa Fukase en 1983 : un gros plan sur son visage dardé de punaises et d'aiguilles de toutes les couleurs. Il fait subir le même traitement à son chat, qui est comme une autre image de lui-même.
L'autoportrait, "une maladie"
Dans les années 1970 déjà, le photographe japonais avait réalisé une série (en noir et blanc) sur son chat Sasuke, l'air de rien complètement délirante : le chaton apparaissait la gueule ouverte dans un gros plan effrayant, ou une cigarette dans le museau. "J'ai passé la plus grande partie de cette dernière année à prendre des photos allongé par terre, à peu près au niveau des yeux d'un chat, au point que j'ai eu la sensation d'en devenir un moi-même", disait-il, parlant alors d'"autoportraits déguisés".D'autres autoportraits véritables, en noir et blanc, sont retravaillés au dessin, ornés de lignes et de spirales.
Plus tard, à la fin de sa vie, alors qu'il a fait une série où il se prend dans sa baignoire avec un appareil étanche ("Bukubuku", onomatopée désignant le son des bulles), il écrira : "Pendant les quatre dernières années, je me suis mis sur toutes les images que j'ai faites. C'est presque devenu une maladie, comme si j'avais en permanence l'impression d'avoir des yeux dans mon dos (…). Même si je pense parfois que l'image serait bien meilleure sans mon visage en plein milieu, je ne peux pas m'en empêcher." D'où le titre de l'exposition, "L'incurable égoïste".
Des photos de famille "épicées"
La photo, Masahisa Fukase (1934-2012) est quasiment tombé dedans quand il était petit, puisque son père avait un studio de portraits à Bifuka (Hokkaido), où sa mère travaillait également. Il aurait dû reprendre l'affaire mais, après des études de photographie, il entame une carrière de photographe indépendant. "Je devais choisir entre devenir photographe et prendre des photos dans un studio photo", expliquait-il. Il travaille d'abord pour des magazines, avant d'entamer une œuvre plus intime.Après des années de travail à Tokyo, il revient en 1971 dans sa ville natale et décide de photographier sa famille dans des portraits de groupes, qui pourraient paraître, de loin, tout à fait classiques. "L'idée de prendre une simple photo de tout le monde ensemble ne m'excitait pas spécialement. Alors j'ai décidé d'épicer un peu tout ça." Il y a donc toujours quelque chose de loufoque ou un peu provocateur, un modèle nu inséré dans le groupe, une vue de dos.
L'obsession du corbeau
Il y a bien sûr à Arles la série la plus connue de Masahisa Fukase, celle des corbeaux. Il a réalisé ce travail fascinant entre 1975 et 1982 après que sa femme Yoko Wanibe l'a quitté. De façon obsessionnelle, pendant des années, il a photographié des corbeaux, silhouette isolée saisie à contrejour au téléobjectif, en nuée ou en troupe posée sur un arbre. Symboles de mauvais temps à venir, dans la culture japonaise comme en Occident, les corbeaux sont ici l'incarnation de la solitude et du désespoir du photographe. Et de la même façon qu'il était devenu son chat, il a dit qu'il était devenu un corbeau.D'humeur plus légère, Fukase crée en 1991 "Berobero", série humoristique d'autoportraits en duos qui se touchent la langue, clichés qu'il colorie ensuite.
Mais l'année suivante, il tombe dans l'escalier du bar de Tokyo où il a ses habitudes et se blesse à la tête. Il a 58 ans et va passer 20 ans dans le coma avant de décéder en 2012.
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