"Rendez-vous !" : les nus masculins de la photographe Sonia Sieff dans un beau livre et une exposition à Paris

Alors que le corps féminin est constamment représenté dans la photographie, le nu masculin reste rare. Et les projets de nus masculins artistiques réalisés par des femmes photographes se comptent sur les doigts d'une main. Sonia Sieff relève le défi et publie un beau livre dont une partie est exposée ce mois-ci dans une galerie parisienne.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
"Lignes de fuite", Paris 2022; "Trouble dans le genre", Kiev 2020; "Nu éthiopien" 2021, trois photos de la série "Rendez-vous !" de Sonia Sieff. (SONIA SIEFF COURTESY GALERIE  BAUDOIN LEBON PARIS)

Dans l’histoire de la photographie, on a tout vu ou presque en matière de nu féminin. Le nu masculin, lui, est beaucoup plus rare. On pense immédiatement à Robert Mapplethorpe, oui. Mais le nu masculin artistique vu par un regard féminin  ? Et pour un projet au long cours ? Exceptées les Américaines Imogen Cunningham et Sally Mann, qui photographièrent chacune leur mari avec amour, on cherche encore. Avec sa série Rendez-vous !, qui fait l’objet d’un livre et d’une exposition du même nom galerie Baudoin Lebon à Paris ce mois-ci, Sonia Sieff comble un manque.

Parcourant l’Europe, avec un crochet jusqu’en Ethiopie, elle est allée pendant plusieurs années à la rencontre des hommes. En chemin, une cinquantaine d’entre eux, qu’elle ne connaissait pas pour la plupart, ont accepté de se mettre à nu sous son objectif. On ne saura rien d'eux, tout juste leur prénom...

Un regard féminin bienveillant

Le regard de Sonia Sieff sur les hommes qui ont osé s’abandonner à sa vision est sensible, tendre et bienveillant. Elle saisit les plis d’une aine sous le léger renflement d’un ventre blond et doux ; la grâce d’un postérieur noir de profil hérissé de poils courts ; un torse imberbe aux jolis pectoraux transfiguré en puissant minotaure grâce à un jeu d’ombre et de lumière; un filet de sueur, torride, à la naissance d’un cou : la poésie le dispute à la volupté sur nombre de ses clichés. L’humour est présent aussi, comme cette ombre formant un bustier sur tel torse, ou ce personnage alangui qu’un jeu de miroirs démultiplie à l’infini.

"Le baron perché" Méditerranée, 2020. (SONIA SIEFF COURTESY GALERIE BAUDOIN LEBON PARIS)

Bien qu’il y ait quelques mises en bouche – tomate ou goulot de bouteille – ouvertement suggestives, on est assez loin ici de l‘homme objet, tel qu’il s’affiche ces derniers temps post-Barbie dans les publicités : impeccablement musclé, dûment tatoué, short bien garni, sourire enjôleur et prêt à emballer. Foin de perfection : tous les corps, y compris dans leur émouvante imperfection, ont droit à un dialogue intimiste et parfois complice avec l'œil de Sonia Sieff.

Que l’on voie ou non leur sexe, que les corps soient sans visage ou que les modèles toisent l’objectif, qu’ils soient immortalisés de face ou côté postérieur, les hommes, peu habitués à tomber le slip face à une inconnue, apparaissent pour la plupart vulnérables, voire fragiles.

"La ligne d'horizon", Kiev 2020. (SONIA SIEFF COURTESY GALERIE  BAUDOIN LEBON PARIS)

L’un des nus les plus touchants, les plus troublants, est celui d'un Viking blond aux cheveux longs, musclé et poilu, dont la sensualité féminine explose au grand jour sous une attitude de pudique jouvencelle.

Lâcher sur les injonctions virilistes

Sonia Sieff, dont le premier livre, Les Françaises (2017), était consacré au nu féminin, raconte que ce ne fut pas chose facile d’amener tous ces hommes à poser dévêtus. Si les femmes ont composé de tout temps avec les injonctions à la beauté, c'est l’injonction à la virilité qui taraude les hommes de toute éternité. Et dans les imaginaires, la taille prend toute la place. "Le nombre de fois où j’ai pu entendre : Non, mais normalement, elle est plus grosse", "Attends mais là, il fait froid", se souvient Sonia Sieff.

"Olivier", Marseille 2020. (SONIA SIEFF COURTESY GALERIE BAUDOIN LEBON PARIS)

La fille du maître de la photographie Jeanloup Sieff, esthète du nu à qui l’on doit notamment un portrait iconique d’Yves Saint-Laurent dans le plus simple appareil, assure que les éditeurs français ne voulaient pas de ce livre (finalement édité chez Rizzoli New York) pour une raison simple : ils pensaient qu’il ne se vendrait pas. On aimerait leur donner tort.

"Rencontre d'été, Ricardo", 2021. (SONIA SIEFF COURTESY GALERIE  BAUDOIN LEBON PARIS)

"Ce travail de confrontation avec la nudité masculine, peu fréquent chez les femmes photographes, ouvre la question du "female gaze", un chantier encore trop inexploré auquel Sonia Sieff contribue de manière directe et sincère, le rendant étonnamment actuel", nous dit Judith Peyrat, directrice de la galerie Baudoin Lebon. "La plupart des nus masculins en photographie sont les œuvres d’artistes masculins, souvent teintées d'un biais homo-érotique. Dans la majorité de ces représentations, la virilité, la force et le pouvoir sont sur-représentés. Sonia Sieff recherche avant tout à transmettre une sensibilité plutôt qu'un simple regard sexuel.

Les regards changent, donc, mais lentement. Rendez-vous !, qui est le titre de l’exposition et du livre de 115 photographies paru ce 19 mars, n’est pas la promesse coquine que vous imaginez. C’est un "rendez les armes" quasi politique, et un bel hommage aux hommes qui osent tomber l'armure.

"Rendez-vous !" exposition jusqu'au 30 mars 2024 à la Galerie Baudoin Lebon, 21 rue Chapon 75003 Paris
"Rendez-vous ! " est aussi un livre de 115 photos paru aux éditions Rizzoli le 19 mars 2024 

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