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Sabine Weiss, un regard humaniste et plastique sur la ville de l'après-guerre, au Centre Pompidou

Sabine Weiss, dernière grande figure du courant de la photographie française humaniste, est au Centre Pompidou avec une exposition de tirages d'époque des années d'après-guerre. Des images issues de ses archives, souvent inédites, qui illustrent son travail dans les rues des villes, à New York, Moscou et surtout à Paris (jusqu'au 15 octobre 2018).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
A droite, Sabine Weiss, "Paris, France", 1952 Collection Centre Pompidou, Paris  et  à gauche la photographe devant l'affiche de son exposition au Centre Pompidou
 (A droite © Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/ Dist. RMN-GP © Sabine Weiss - A gauche photo Valérie Oddos / Culturebox / France Télévisions)

L'origine de l'exposition est un don de 80 photographies que Sabine Weiss a fait au Centre Pompidou avant que ses archives rejoignent le Musée de l'Elysée à Lausanne. Car si Sabine Weiss vit à Paris depuis 1946, elle est née suisse et a commencé à travailler à Genève en 1942. "Son souhait était que les collections publiques françaises aient quand même une représentation de ses photographies", souligne Karolina Ziebinska-Lewandowska, la commissaire de l'exposition.

Et parmi ces 80 images, la galerie de photographies du Centre Pompidou a choisi d'exposer celles de la période où Sabine Weiss travaillait beaucoup dans les rues de Paris ou d'autres villes, de 1945 à 1960.

Sabine Weiss, "Marchande de frites", Paris, France, vers 1946-1948, Collection Centre Pompidou Paris
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/ Dist. RMN-GP © Sabine Weiss)

On vivait beaucoup plus dans la rue  

Sabine Weiss fait partie du courant qu'on a appelé "humaniste" (avec Edouard Boubat, Willy Ronis, Robert Doisneau) de photographes qui s'intéressaient au quotidien des hommes et des femmes, sur lequel ils portaient un regard empathique et bienveillant. La photographe de 93 ans, toujours alerte, revendique cette appellation : "Parce que ce qui m'intéresse vraiment, ce qui me touche, c'est un petit vieux qui vient chercher sa petite vieille, une image où on sent la confiance. C'est la sensibilité : on voit l'indécision de l'un ou la joie d'un autre. C'est la seule chose qui me plaît vraiment."

Un clochard est assis prostré sur une bouche d'aération qui fume. Du haut d'un mur, un voit une dame en chapeau jeter une pièce dans la casquette d'un clochard. Un autre clochard nous regarde en mangeant son casse-croute sur un banc. A une terrasse de bistrot, avenue de Versailles, un gros type hilare a étalé sur la table des volailles. Au marché aux puces de la rue Soufflot, une poupée et une casserole sont posées sur un papier journal à même le pavé.
 
A l'époque "il y avait beaucoup de choses sur la rue", dit Sabine Weiss, en montrant une vendeuse de frites rue Mouffetard. "On vivait beaucoup plus dans la rue. Maintenant il n'y a pas un môme qui joue dans la rue, c'est complètement différent. Dans le temps il y avait une liberté… Les gens faisaient un tas de choses dans la rue. On n'avait pas les distractions actuelles comme la télévision. On sortait plus le soir." 
Sabine Weiss, "Place de la Concorde", Paris, France, 1953, Collection Centre Pompidou, Paris
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/Dist. RMN-GP © Sabine Weiss)

Une façon picturale de capter l'espace urbain 

En face de ces photographies de la "vie des villes", un aspect plus "formel" de son travail a été distingué, mis en valeur. "Pour moi-même ça a été une découverte, on ne met pas tellement en avant le fait qu'elle a un regard très plastique", confie Karolina Ziebinska-Lewandowska, qui a voulu insister sur cette façon "poétique et très picturale" de "capter l'espace urbain", avec tout un jeu sur la netteté, sur le contraste, sur la lumière.
 
Une photo de trottoir parisien : des pieds marchent dans une mince couche de neige mouillée qui brille, pleine de traces de pas. "C'est drôle que je ne l'aie pas mise à la poubelle, je trouvais que ça n'avait aucun intérêt, commente Sabine Weiss. Ce sont des photos que je tirais pour voir ce que ça donnait mais que je n'exploitais pas. C'était resté dans des boîtes." Quand le Centre Pompidou a fait son choix dans les archives, "ils voulaient absolument des vintages alors on a sorti ces grosses boîtes. J'avais un peu peur mais après j'ai été très contente de leur choix. Il y avait quand même un œil très professionnel", s'amuse-t-elle. La plupart des images sont inédites, comme celle-ci.

Quelques-unes sont très connues. Comme celle où une passante sous un parapluie, floue, monte sur le trottoir place de la Concorde. Mais on connaît la version recadrée de façon symétrique autour du personnage principal. On découvre là une version moins resserrée sur le personnage. "Je n'avais jamais sorti cette photo", précise Sabine Weiss.
Sabine Weiss, "Bords de Seine", Paris, France, 1952 - Collection Centre Pompidou, Paris
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/ Dist. RMN-GP © Sabine Weiss)

"Une belle ombre, une belle lumière" 

Des ombres de passants s'allongent sur la rue, trois pêcheurs dont on ne voit que les pieds se reflètent dans une flaque derrière eux. Des usagers du métro à contrejour montent les escaliers illuminés par le soleil du dehors.
 
De la photo de "L'homme qui court" à perdre haleine sur le pavé parisien, entre deux rangées d'arbres, Sabine Weiss dit qu'elle est devenue célèbre parce qu'elle est "passe partout" et peut évoquer beaucoup de choses. On apprend que cette vue "très champêtre" a été prise près du pont du Garigliano en 1953, dans un coin aujourd'hui plein d'immeubles. Elle l'aime beaucoup "parce qu'il y a une belle ombre, une belle lumière… et en plus celui qui court, c'était mon mari", s'amuse la photographe.
Sabine Weiss, New York, Etats-Unis, 1955, Collection Centre Pompidou, Paris
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI/ Philippe Migeat/Dist. RMN-GP © Sabine Weiss)

A New York, elle a photographié "ce qu'on ne voyait pas à Paris"

Son mari, c'est Hugh Weiss, un peintre américain qu'elle a épousé en 1950 et avec qui elle se rendait régulièrement aux Etats-Unis. Membre de Rapho, elle y est présentée à Charles Rado, fondateur de l'agence, "un petit Hongrois adorable", dit-elle, qui l'a introduite partout et l'a fait travailler pour toutes les revues américaines. "Pour les Américains, je n'ai pas du tout photographié ce que j'aime, j'ai photographié des gens très riches, très sophistiqués", mais, dit-elle, "c'était toujours un défi d'arriver à être à l'aise avec tout le monde, avec les clochards et les châtelains". Et puis Charles Rado lui a permis d'exposer à l'Art Institute de Chicago et au MoMA, de participer à l'exposition mythique "The Family of Man".
 
Au Centre Pompidou, on peut voir quelques photos de rue prises à New York : "Là je photographiais tout ce qui m'étonnait, ce qu'on ne voyait pas à Paris", comme des paquets déchargés d'un camion et posés à même le trottoir. Les passagers du métro ou des New-Yorkais en imper et chapeau vus de haut.
Sabine Weiss, "Enfant", Paris, France, 1952, Collection Centre Pompidou, Paris
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI/ Philippe Migeat/Dist. RMN-GP © Sabine Weiss)

Les gamins de la porte de Saint-Cloud, "ma récréation" 

Il y aussi dans l'exposition un certain nombre de photos présentées en séquences ou en séries, pour rapprocher Sabine Weiss de la photo contemporaine. C'est dans cette section que se trouvent les gamins du terrain vague de la porte de Saint-Cloud, une joyeuse bande qui joue, rigole, grimpe aux arbres.
 
Pour la photographe, qui a beaucoup travaillé pour la mode et la publicité, le terrain vague était ce qu'elle appelle sa "récréation". "J'habite porte Molitor et ça c'est porte de Saint-Cloud. Quand j'avais un moment ça me prenait cinq minutes d'y aller et je trouvais toujours des enfants, des clochards, des choses qui s'y passaient. J'aime beaucoup le contact avec les enfants, ça m'amuse".
 
"Je faisais beaucoup de commandes mais j'étais contente parce que j'étais photographe, vraiment" : un métier difficile techniquement à l'époque, mais elle ne regrette pas de l'avoir choisi, "parce que ça a été varié et j'ai aimé".

"Sabine Weiss, les villes, la rue, l'autre", aux éditions Xavier Barral

Le livre qui accompagne l'exposition, publié par les éditions Xavier Barral, avec les éditions du Centre Pompidou, présente les images de l'exposition et quelques autres, comme une magnifique série prise de nuit à la gare Saint-Lazare, des pêcheurs en bord de Seine, d'autres gamins porte de Saint-Cloud ou à Avignon.

La reproduction de planches contact annotées permet de voir comment la photographe travaillait ses images : souvent en format 6x6, elle les recadrait beaucoup, comme celle de la place de la Concorde, recadrée plusieurs fois.

Les photographies sont accompagnées d'un entretien avec Sabine Weiss qui raconte son apprentissage de la photographie, sur le tas à Genève, dans l'atelier des Boissonas, où elle faisait "des tirages, des lavages, des glaçages, des retouches", puis comme assistante du photographe de mode Willy Maywald à Paris. Puis à son compte, elle a travaillé pour la publicité et la mode, et pour des magasins comme le Printemps dont elle photographiait les vitrines. Elle raconte son entrée à l'agence Rapho, son succès aux tats-Unis, son rapport avec la technique.

Sabine Weiss, "Petit matin brumeux", Lyon, France, 1950, Collection Centre Pompidou, Paris
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI/Philippe Migeat/ Dist. RMN-GP © Sabine Weiss)

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