Cet article date de plus d'onze ans.

Vivian Maier, la nounou au Rolleiflex, révélée au château de Tours

Vivian Maier est morte en 2009 dans l’anonymat. Pourtant, depuis deux ans, elle passionne le monde de la photographie et on la compare aux plus grands. La nounou au Rolleiflex a laissé 120.000 photos découvertes par hasard. On peut en voir pour la première fois une sélection importante en France, au château de Tours, dans une exposition produite par le Jeu de Paume, à découvrir jusq'au 1er juin.
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Vivian Maier, à gauche, Sans titre, 1954, à droite, Autoportrait, sans date
 (Vivian Maier / Maloof Collection, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York)
Reportage : Patrick Ferret, Cyril Deville, Philippe Gay
L’histoire de cette révélation posthume est à peine croyable. En 2007, John Maloof, un agent immobilier de 25 ans qui cherche des documents sur un quartier de Chicago, achète pour 400 dollars un lot dans une vente aux enchères, qui comprend des tirages photo et des films, dont certains n’ont jamais été développés. Une demi-douzaine de personnes en tout acquièrent des œuvres de Vivian Maier aux enchères.
 
Quand John Maloof se rend compte de la qualité de ce qu’il a entre les mains, il rachète tous les négatifs de Maier qu’il peut trouver. Il en possède aujourd’hui environ 90%.
 
Il ignore alors tout de l’identité de leur auteur. Elle est encore vivante mais quasi SDF. Son loyer est pris en charge par d’anciens employeurs et, depuis plusieurs mois, elle n’a pas payé le garde-meuble où elle conserve toutes ses affaires, qui ont donc été liquidées. C’est seulement à sa mort, en 2009, que Vivian Maier est identifiée.
Vivian Maier, sans titre, 3 septembre 1954
 (Vivian Maier / Maloof Collection, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York)
Une solitaire qui arpente les rues
Peu à peu, l’histoire de cette femme qui a mené une existence secrète et solitaire, est reconstituée, grâce à des témoignages de gens qui l’ont connue.
 
Vivian Maier est née en 1926 à New York d’une mère française et d’un père d’origine austro-hongroise qui disparaît rapidement de leur vie. Elle retourne avec sa mère à Saint-Bonnet-en-Champsaur (Hautes-Alpes) dont celle-ci est originaire et y passe une partie de son enfance avant de retourner à New York.
 
La vocation photographique de Vivian Maier lui est-elle venue de Jeanne Bertrand, une portraitiste reconnue dont elle a partagé l’appartement avec sa mère ? On l’ignore mais la jeune femme se met à passer son temps libre dans les rues de New York avec un appareil photo. Elle photographie les pauvres et les exclus, les enfants, généralement avec leur assentiment bienveillant. Dans ses portraits de dames en fourrure, volés, on sent au contraire l’agacement du sujet surpris.
Vivian Maier, Chicago, sans date
 (Vivian Maier / Maloof Collection, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York)
 
Vivian Maier n’a jamais montré ses photos
Si la quantité et la qualité de sa production est de l’ordre de celle d’un professionnel, Vivian Maier n’a pourtant jamais montré ses photos à personne. Elle n’a pas exposé ni publié. Elle gagne sa vie comme gouvernante d’enfants, d’abord à New York puis à Chicago à partir de 1956. C’est une partie du mystère Vivian Maier : pourquoi n’a-t-elle pas cherché à faire connaître son travail, alors qu’elle devait être consciente de sa valeur ?
 
La qualité de son travail n'est pas le fruit du néant. Elle connaissait les photographes de son époque, comme l’attestent les livres qu’on a retrouvés dans ses affaires. On pense aussi qu’elle les a vus au MoMA de New York.
 
Vivian Maier était "quelqu’un destiné à l’invisibilité, à l’anonymat et n’avait pas vocation à en sortir", estime Anne Morin, la commissaire de l’exposition du château de Tours, qui la situe au niveau de grandes figures de la photo comme Helen Levitt ou Robert Franck.
Vivian Maier, new York, NY, 18 octobre 1953
 (Vivian Maier / Maloof Collection, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York)
 
Des autoportraits qui emmènent hors d’elle-même
L’exposition de Tours, produite "hors les murs" par le Jeu de Paume, commence avec ses photos de 1951-52, à New York. C’est à cette époque qu’elle achète un Rolleiflex et que la qualité technique de ses images s’améliore. En effet, toute sa vie, Vivian Maier a eu une "espèce de détachement de la technique", note Anne Morin. Un détachement qui lui donne une liberté, mais beaucoup de photos sont mal exposées, notamment les diapositives qui sont souvent inexploitables.
 
La première salle est consacrée aux enfants, car elle a passé toute sa vie avec des enfants. Ceux qui ont témoigné décrivent une femme cultivée, ouverte et généreuse mais peu chaleureuse. Elle les montre en train de rire, de pleurer, de jouer, de grimper sur un grand carton. Elle fait un gros plan sur les jambes. Projection de la photographe ? Une femme imposante qui pourrait être une nounou, de dos, est encadrée par deux petits au bord d’un trottoir.
 
Vivian Maier se prend aussi en photo avec des enfants, car les autoportraits sont une part importante de son travail, et ils scandent l’exposition, "clin d’œil" aux visiteurs, selon Marta Gili, la directrice du Jeu de Paume. 
 
"Troublants et mystérieux", les autoportraits de Vivian Maier sont "très intéressants", pour Anne Morin, qui pense que "c’est là qu’elle atteint la maturité". "Echappant au piège du vis-à-vis, elle nous emmène hors d’elle-même", estime la commissaire.
Vivian Maier, Chicago, janvier 1956
 (Vivian Maier / Maloof Collection, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York)
 
Des portraits qui occupent toute l’image
La photographe capte son ombre sur le monde, mais, plus intéressant, son reflet dans les vitres et les miroirs, parfois dans un jeu infini, qui nous montre un visage austère, sévère même. Le plus saisissant est peut-être cet autoportrait dans un miroir porté par un homme dans la rue, qui la fond complètement dans la ville. 
 
Ses portraits de déshérités, gueules burinées, jeune noire élégante au regard complice, petite fille douloureuse portant une grosse montre, sont pris de très près, avec leur bénédiction, apparemment. "Je pense qu’il y avait une projection d’elle-même sur ces personnages", dit Anne Morin, soulignant la solitude du la photographe, qui "vivait à l’intérieur d’elle-même" et à qui on ne connaît pas de relations en dehors de ses employeurs et de leurs enfants.
 
Elle sait repérer les postures du corps dans ce qu’elles ont de touchant ou de ridicule, un SDF qui dort recroquevillé par terre, un homme allongé tout habillé sur la plage, la tête posée sur son chapeau et une jambe repliée sur l’autre, un enfant à genoux, les jambes écartées au bord de l’eau. Elle fractionne les corps, isolant les jambes ou les fesses, les vise de dos.
Vivian Maier, Floride, 9 janvier 1957
 (Vivian Maier / Maloof Collection, Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York)
 
Dans les années 1970, Maier joue avec la couleur
Vivian Maier a aussi fait des images plus formelles où la figure humaine disparaît, le mur d’une maison en démolition, une montagne de cageots…
 
Dans les années 1970, elle se met à la couleur, au Leica, jouant avec les vêtements jaunes de plusieurs personnages, le vert de la robe d’une enfant qui dialogue avec celui du ballon qu’elle tient, des légumes et des barquettes du rayon de supermarché dans lequel elle se trouve. Elle tourne aussi des films en super 8 dont quelques-uns peuvent être vus à Tours.
 
Entre 1956 et 1972, quand elle travaille dans la famille Gensburg, celle avec qui elle a eu le plus de liens et dont les trois fils l’aideront à survivre à la fin de sa vie, Vivian Maier dispose d’un local où elle développe et tire ses photos. Ses tirages ne sont pas de très bonne qualité, aussi toutes les photos qui sont montrées aujourd’hui sont des retirages récents.
 
De nombreux films n’ont pas été développés
Elle a laissé environ 6000 pellicules non développées. Des images qu’elle n’a donc jamais vues elle-même. Elle n’avait plus les moyens de les porter dans des studios. Mais, au-delà, Anne Morin pense qu’elle avait "une obsession pour le geste plus que pour l’image", accumulant les gestes comme elle avait accumulé toute sa vie les coupures de journaux, les factures des studios ou les livres.
 
Ces œuvres, notamment la couleur, sont en cours de développement, un processus compliqué et coûteux qui demande une chimie particulière.
 
L’oeuvre de Vivian Maier pose de nombreuses questions. Notamment, souligne Marta Gili, celle de savoir "ce qui fait qu’un groupe de photos devient une œuvre. Qu’est-ce qu’une œuvre ?". 
 
Le début d’une histoire
Et comment cette œuvre est-elle "construite" a posteriori, s’interroge le photographe américain Joel Meyerowitz dans le documentaire de la BBC consacré à Vivian Maier ("Who Took Nanny’s Pictures ? ", projeté dans le cadre de l’exposition de Tours). On ignore ce que l’auteur aurait choisi de montrer, comment elle l’aurait tiré et recadré.
 
L’histoire de Vivian Maier commence tout juste, même si ses images ont envahi le web, si les expositions se multiplient et si deux films ont déjà été réalisés sur l’œuvre du mystérieux personnage. En effet, après celui de la BBC, un autre, produit par John Maloof, "Finding Vivian Maier", doit sortir en juin sur les écrans français. Il y raconte sa découverte et fait parler ceux qui ont connu la photographe, principalement ses anciens employeurs et leurs enfants.
 
120 photos sont exposées au château de Tours. Pour les Parisiens qui ne pourraient pas s’y rendre, la galerie Les Douches, expose jusqu’au 21 décembre une quarantaine de ses images. La plupart sont à Tours, quelques-unes pas. Elles abordent toutes les facettes du travail de Maier en noir et blanc : portraits, autoportraits, travaux plus graphiques. Il s'agit, pour les deux lieux, d'oeuvres de la collection de John Maloof.

La galerie Frédéric Moisan, à Paris toujours, expose également 40 photos de Vivian Maier, mais issues de la collection de Jeffrey Goldstein, dont quelques petits vintages (l'exposition a été prolongée jusqu'au 21 décembre).
 
Vivian Maier, une photographe révélée, Jusqu'au au 1er juin 2014 au Château de Tours, 25 avenue André Malraux, 37000 Tours
Tous les jours sauf le lundi
Du mardi au vendredi : 14h-18h
Samedi et dimanche : 14h15-18h
Visites commentées le samedi à 15h
Entrée gratuite
Jusqu'au au 1er juin 2014
 




 

 
 
 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.