Pierre Bergé rejoint Saint Laurent: l'homme d'affaires et mécène engagé est mort
Récit Daniel Wolfromm
Longtemps proche du Parti socialiste, militant engagé de la cause homosexuelle et cofondateur du Sidaction, ce passionné de littérature était également Grand Mécène des Arts et de la Culture, et co-propriétaire du Groupe Le Monde.
Né à l'Île d'Oléron en 1930 d'une mère institutrice et soprano, et d'un père fonctionnaire des finances, Pierre Bergé a commencé à construire sa grande fortune et sa réputation par les livres, en devenant marchand d'éditions originales à l'âge de 18 ans, dans une boutique installée près de la place de la Répubique, à Paris. Il y fréquentera des monuments de la littérature tels que Mac Orlan, Cocteau, Aragon, Camus, Sartre, Breton etc.
Un homme fabriqué par les livres
Pétri de lectures libertaires et fort d'une personnalité engagée, il co-fonde en 1949 un journal politique "La Patrie Mondiale" avec Garry Davis, alors porte-parole du mouvement pour la paix "Citoyens du monde". Il partagera d'ailleurs une cellule avec Albert Camus après avoir été arrêté lors d'une manifestation à l'ONU.Dans les années 1950, Pierre Bergé dont le carnet d'adresses est déjà bien rempli, fait la rencontre de plusieurs personnalités importantes qui façonneront son existence. Outre les écrivains Jean Giono et Jean Cocteau, qui garnissent un peu plus la liste d'hommes de lettres célèbres fréquentés par Pierre Bergé, il rencontre en 1950 le peintre Bernard Buffet dont il devient le compagnon et gère la carrière pendant huit ans. Jusqu'à ce qu'il fasse la connaissance de celui qui marquera sa vie à jamais : Yves Saint Laurent.
L'éternel amour avec Yves Saint laurent
Quand Pierre Bergé fait la connaissance de Yves Saint Laurent, le jeune créateur de mode encore à ses débuts qui officiait comme styliste et assistant de Christian Dior, s'apprête à succéder à ce dernier : sa collection "Trapèze" a un succès d'estime lui permettant d'acquérir une certaine notoriété dans le milieu de la mode. Commence alors une histoire d'amour entre le créateur et Pierre Bergé, qui fait financer en 1961 la création de la maison de couture Yves Saint Laurent, dont il assurera la gestion jusqu'en 2002.
Ensemble, ils vont faire l'acquisition de plusieurs propriétés somptueuses comme le Jardin Majorelle à Marrakech. Une histoire d'amour qui ne s'est jamais terminée, seulement interrompue par la mort du couturier en 2008, dont Pierre Bergé a continué d'entretenir la mémoire depuis.
Pierre Bergé, l'homme de culture
Mais il n'y a pas que la littérature ou la mode qui émerveillent Pierre Bergé. Également passionné de théâtre et d'opéra, il rachète en 1977 l'Athénée - Louis-Jouvet, où il aménagera une salle consacrée entièrement au théâtre d'essai. En 1988, il devient président de l'Opéra national de Paris, trois ans après avoir été fait chevalier de la Légion d'honneur par le ministre de la Culture Jack Lang. La même année, il participe à la souscription nationale pour l'acquisition au Louvre.du tableau "Saint Thomas à la pique" de Georges de La Tour.
C'est à cette période de sa vie qu'il fait la rencontre de François Mitterrand et le soutient pour la présidentielle de 1988. Il participera à tous ses meetings de campagne et, par la suite, restera un important contributeur financier du Parti Socialiste, notamment de la campagne de Ségolène Royal en 2007.
Les années 1990, entre mécénat et lutte contre le sida
Militant de la cause homosexuelle, il s'engage dès le début des années 1980 dans la lutte contre le VIH en présidant l'association Arcat Sida. Mais c'est en 1994 qu'il aura le plus d'impact, en co-créant avec Line Renaud l'association Ensemble contre le Sida, devenue depuis le Sidaction, et l'une des principales associations de lutte contre le virus en Europe. Son attachement à ce combat est profond, à tel point qu'il reverse une partie de la vente en 2009 de la collection Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, estimée à 375 millions d'euros, à la recherche contre le SIDA.
Les années 1990 sont également la période où Pierre Bergé accentuera ses activités de mécène. Mécénat de l'exposition "Charlotte Perriand" au Design Museum de Londres, rénovation de deux salles de la National Gallery à Londres et des collections historiques du Centre Pompidou, mécénat du Pyramidion de bronze posé sur l'Obélisque de la place de la Concorde etc. à tel point qu'il est fait Grand Mécène des Arts et de la Culture en 2001.
En parallèle, l'influent homme d'affaires s'introduit dans le monde des médias, en commençant par lancer "Globe" en 1987 (qui deviendra Globe Hebdo en 1993), "Courrier international" en 1990, puis le magazine gay "Têtu" en 1995, jusqu'au rachat avec Matthieu Pigasse et Xavier Niel du Groupe Le Monde en 2010.
Le tonton flingueur
Fort de son influence autant dans le milieu des affaires que dans la sphère politique ou médiatique, l'homme n'est pas connu pour avoir la langue dans sa poche. En 2009, lui-même atteint d'une myopathie, il critique le téléthon qu'il accuse de "parasiter la générosité des Français d'une manière populiste".Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant.
En 2012, son engagement en faveur de la cause homosexuelle le fait monter en créneau lors du débat sur le mariage gay et la période des manifestations intensives de la "Manif pour Tous". Favorable à la Procréation Médicalement Assistée et à la Gestation pour Autrui, il déclare : "louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant". Une prise de position qui lui vaudra de vives critiques, y compris de la part des défenseurs du mariage gay et de la PMA/GPA.
En 2015, il accuse le "Saint-Laurent" de Bertrand Bonello d'être un film "méchant et homophobe" et en 2016, il critique les créateurs de mode islamique qui participent, selon lui, à l'"asservissement" de la femme. La même année, il assimile les électeurs de François Fillon à la "France pétainiste".
Deux musées Yves Saint Laurent comme cadeau d'adieu
Pierre Bergé aura également passé ses dernières années à se défaire d'une collection d'art particulièrement riche constituée avec Yves Saint Laurent : une collection réunisssant les grands maîtres de la peinture et de la sculpture présentée au public au Grand Palais avant une grande vente aux enchères en 2013, dont les montants réunis ont été reversés à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent ou financé la recherche médicale. D'autres ventes ont suivi, notamment celle en 2015 de la bibliothèque de Pierre Bergé constituée de 1.600 livres, partitions musicales et précieux manuscrits du XVe au XXe siècle.Fatigué par cette vie si remplie, Pierre Bergé n'aura pas eu le temps de voir les deux musées Yves Saint Laurent qu'il a décidé de créer, l'un à la Paris à l'adresse de l'ancien studio de couture Yves Saint Laurent, l'autre à Marrakech au Jardin Majorelle que le couple avait acquis en 1980. Il avait prévu de répartir les oeuvres de la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent, qu'il co-dirige avec son mari Madison Cox, le paysagiste qu'il a épousé en 2017, entre ces deux musées qui doivent ouvrir respectivement les 3 et 19 octobre prochains.
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