Reportage Exposition "Modigliani/Zadkine, une amitié interrompue" au cœur de Montparnasse

Le musée Zadkine présente 90 œuvres des deux artistes, entre peintures, sculptures et photos, mettant en lumière leur complicité dans les années 1910-1920. Franceinfo vous fait découvrir les secrets de cette relation artistique.
Article rédigé par Paul Dubois
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Le musée Zadkine en plein cœur de Montparnasse. (RICCARDO MILANI / HANS LUCAS / AFP)

Au 100 bis de la rue d'Assas, un petit jardin secret abrite des sculptures en bronze et des vestiges du Paris d'antan. Ancienne maison-atelier d'Ossip Zadkine, sculpteur d'origine russe, ce lieu mythique invite, dès le 14 novembre 2024, à retrouver une nouvelle exposition qui explore l'amitié créative entre Zadkine et Amedeo Modigliani, deux géants de l'avant-garde du début du XXe siècle.

À travers cette immersion dans le Montparnasse des années 1910-1920, le kilomètre carré le plus effervescent de ces cent dernières années et qui a façonné l'art moderne, découvrez l'exposition Modigliani/Zadkine, une amitié interrompue, qui court jusqu'au 30 mars 2025. Elle fait aussi une discrète référence à Chana Orloff, honorée par la dernière exposition, et qui a bien connu les deux compères. Voilà un rendez-vous à ne pas manquer pour tout amateur d'art qui veut respirer l'air du Paris bohème d'autrefois.

Un face-à-face d'artistes

Poussez les portes de l'exposition et plongez dans l'histoire de deux artistes qui, malgré une amitié aussi brève que brûlante, continuent d'écrire les plus belles pages de l'avant-garde du début du XXe siècle.

D'un côté, Amedeo Modigliani, né sur les rivages ensoleillés de Toscane, débarque à Paris en 1906. De l'autre, Ossip Zadkine, né dans les étendues glaciales de la Biélorussie, fait son entrée en 1910. Deux exils, une rencontre, et voilà cette amitié naît, bien que tragiquement interrompue par la mort prématurée de Modigliani en 1920 à 35 ans. Le musée, qui conserve l'atelier de Zadkine, met en lumière leur rencontre.

Ossip Zadkine (1888-1967), "Tête héroïque", 1909-1910 et Amedeo Modigliani (1884-1920), "Tête de femme", 1911-1913. (ERIC EMO / MUSEE ZADKINE)

À travers cinq salles qui se succèdent avec une rigueur toute géométrique, l'exposition traque les trajectoires parallèles de Modigliani et Zadkine. Modigliani, influencé par la sculpture africaine et le style unique de Toulouse-Lautrec, s'attarde sur des têtes stylisées, tandis que Zadkine, plus tôt dans sa carrière, puise dans l'art égyptien, grec et africain pour ses sculptures. Puis, en 1913, Modigliani, avec sa vision bien tranchée, pousse Zadkine à expérimenter des têtes idéalisées aux formes frontales. Si leurs influences se croisent, chacun forge son propre univers : Modigliani avec ses portraits aux expressivités fulgurantes, Zadkine avec une maîtrise subtile des matériaux.

Dès la première salle, le décor est planté : deux têtes. L'une, féminine, semble taillée dans une pierre que Modigliani aurait sans doute dérobée, faute de moyens pour s'acheter de la matière première. L'autre, une Tête héroïque de Zadkine, bien plus majestueuse. Si l'on ne vous avait pas prévenu, vous penseriez être dans les galeries du Louvre, département des antiquités grecques. Et c'est là que la magie opère, ou plutôt la fusion – artistique, bien sûr – entre les deux hommes commence.

Au fil des œuvres, on est frappé par l'évidence de cette complicité artistique. Mais la notoriété plus importante de Modigliani ne doit pas cacher leurs échanges. Ils sont de la même génération, ont la même admiration pour Brancusi et les fameuses têtes penchées de Modigliani rappellent les icônes du pays de Zadkine. La scénographie de Joris Lipsch (Studio Matters) va au-delà de la simple présentation des œuvres. Elle met en valeur l'amitié à travers des espaces baignés de lumière naturelle, avec de grandes verrières typiques d'un atelier d'artiste, offrant une vue sur le jardin.

Influence réciproque

Autour de 1914, Modigliani abandonne la sculpture pour ne faire que de la peinture et céder à ce que Zadkine appellera plus tard dans ses mémoires "la dame spéculation". La rupture amicale est consommée, amplifiée par l'impact de la guerre.

Malgré tout, du point de vue artistique, les œuvres suivantes de Modigliani restent marquées par l'empreinte indélébile de la sculpture. Dans la première salle de l'exposition, La Femme au ruban de velours, avec son visage-masque simplifié, nous plonge dans une quête de formes épurées, directement influencées par les sculptures africaines. On pourrait d'ailleurs faire un clin d'œil à Zadkine, qui, en 1924, imagine sa Tête de femme aux traits allongés et aux yeux bleus, référence évidente à Modigliani. Le parallèle est frappant, surtout dans le traitement de ces orbites mystérieusement vides ou pleines, sans pupilles, comme des fenêtres ouvertes sur l'infini – à la manière de l'Italien, mais en version sculptée.

Amedeo Modigliani (1884-1920), "Femme au ruban de velours", vers 1915, et Ossip Zadkine (1888-1967), "Tête de femme", 1924. (ERIC EMO / MUSEE ZADKINE)

Alors, êtes-vous prêts à résoudre l'énigme qui se cache dans les salles ? "Vrai ou faux Modigliani" ? Le musée joue à cache-cache avec les œuvres de l'artiste italien, parfois bien authentiques, parfois… un peu moins. Un exemple ? En avançant vers la salle 3, vous tomberez sur un tableau intitulé La Femme Brune. Selon Thierry Dufrêne, le commissaire, ce tableau est un "faux regardable" : il est magnifiquement exécuté, mais n'est pourtant qu'une contrefaçon. En plus, le musée de Nancy a refusé de prêter l'original, un indice qui ne trompe pas.

Visage allongé et trait simplifié

Le commissaire n'hésite pas à le dire : "Modigliani détient un record en matière de faux", une affirmation qui résume bien les complicités pour authentifier certaines de ses œuvres. Et pour ne pas nous laisser sur notre faim, Cécilie Champy-Vinas, la directrice du musée, rappelle que "les négociations pour obtenir un Modigliani authentique sont ardues, et les mois de recherche nécessaires sont intenses". Un Modigliani, ça se mérite.

Le clou du spectacle arrive dans la dernière salle du musée et pas des moindres : l'atelier d'Ossip Zadkine. Là, se trouvent dans l'agencement de l'atelier, conçu comme un "temple à l'humanité", trois têtes sculptées en 1918 et 1919. Elles occupent une place centrale. Ces têtes aux visages allongés et aux traits simplifiés rappellent fortement les caryatides sculptées par Modigliani avant 1914, notamment celles présentées lors du Salon d'automne de 1912. La disposition de ces œuvres dans l'espace évoque les sept têtes sculptées par Modigliani à cette époque, agencées "comme des tuyaux d'orgue" pour produire une "musique intérieure", selon les mots du sculpteur Jacques Lipchitz.

Atelier d'Ossip Zadkine lors de l'exposition "Modigliani/Zadkine, une amitié interrompue". (ERIC EMO / MUSEE ZADKINE)

La prochaine exposition du musée mettra en lumière l'art de Zadkine et sa relation avec l'art déco, un autre tournant majeur de l'histoire de l'art du XXe siècle.

"Modigliani/Zadkine, une amitié interrompue"

Du 14 novembre 2024 au 30 mars 2025 au musée Zadkine

100 bis rue d'Assas - 75006 Paris

"Modigliani/Zadkine", 2024, vidéo, durée 8:20, par Ange Leccia. (ERIC EMO / MUSEE ZADKINE)

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