Rétrospective Lucio Fontana à Paris, entre "concept spatial" et sensualité
Quand on pense à Lucio Fontana (1899-1968), "on a l'image de quelqu'un qui a fait des fentes dans des toiles", souligne Fabrice Hergott. Bien au-delà de ces œuvres emblématiques de l'artiste, cette exposition, chronologique, "linéaire, montre toute la diversité" de l'artiste, né en Argentine d'un père italien.
Une figure majeure de l'histoire de l'art
"L'idée était de redécouvrir une figure majeure de l'histoire de l'art", explique Choghakate Kazarian, co-commissaire de l'exposition. Elle fait remarquer que "quand Lucio Fontana fait ses premières fentes, il a déjà près de 60 ans" et une riche carrière d'artiste derrière lui. L'idée est donc de restituer "une image très différente de celle qu'on a". On a affaire "à une œuvre beaucoup plus baroque et sensuelle que ce qu'on pense".
En effet, une toile monochrome entaillée peut évoquer quelque chose d'austère, d'abstrait. A l'opposé, les céramiques que Lucio Fontana a imaginées toute sa vie sont pleines de sensualité et l'artiste ne refuse pas du tout la figuration. On pourrait se demander ce qu'il y a en commun entre une Vierge de 1940 en céramique bleue, blanche et or, qui rappelle l'art baroque d'Amérique du sud, et une toile uniformément rouge, juste traversée par trois entailles.
Un artiste précurseur
Au-delà de ces contrastes, dans l'œuvre de Fontana, "on s'est aperçus qu'il y avait une richesse et une cohérence extrême autour de la lumière et de l'espace", raconte Sébastien Gokalp, également commissaire de l'exposition. Celle-ci couvre l'ensemble de la production de Lucio Fontana, de la fin des années 1920 à sa mort en 1968, en quelque 200 œuvres.
L'exposition veut aussi montrer un artiste précurseur, qui expérimente toute sa vie. Le visiteur est accueilli par une grande arabesque en néon blanc qui tourbillonne au plafond du hall du Musée d'art moderne. C'est une réplique de l'œuvre que Fontana a réalisée pour la Triennale de Milan en 1951. Il est un des premiers artistes à utiliser le néon dans l'art. Il est aussi un des précurseurs des environnements, comme cet "Ambiente spaziale", labyrinthe étroit où on se noie dans le blanc, réalisé pour la Documenta 4 de Kassel et reconstitué ici.
"Concept spatial", au-delà de la matière
"Spatial" est un terme qui qualifie la quasi-totalité des œuvres de Fontana à partir de 1948-1949. C'est que Lucio Fontana est fasciné par l'exploration de l'espace et développe dans les années 1940 sa théorie "spatialiste", faite de réflexions autour de l'art, du temps et de l'espace, marquées par le futurisme. Il veut dépasser les genres traditionnels comme la peinture et la sculpture. L'important, ce n'est pas la matière mais l'idée, le mouvement, le geste.
C'est ainsi que ses "Ambiances spatiales" ou "céramiques spatiales" vont devenir indifféremment "concept spatial", jusqu'à sa mort. Les premières œuvres "spatiales" sont des dessins, des lignes, des cercles, des volutes, puis des tableaux dans lesquelles il perce de petits trous (buchi en italien) qui, pris dans un tourbillon de peinture, ressemblent à des constellations. Avec ces trous, il explore la relation entre matière et espace.
Sculptures abstraites et sculptures baroques
Fontana navigue constamment entre abstraction et figuration. Au début 1930, il a fait des sculptures abstraites gracieuses, utilisant un fil de fer, des plaques de ciment. Juste après, il réalise des sculptures baroques et figuratives, comme ce massif "Torse italique" en céramique polychrome couvert de figures de lion, de cavalier (1938). Il modèle des motifs marins : un gros "Crabe" orange (1936), une "Seiche" (1936).
Alors qu'il a déjà entamé ses œuvres spatiales, dans les années 1950 il continue à modeler des céramiques figuratives et brillantes de toutes les couleurs qui puisent dans l'iconographie traditionnelle, un guerrier tout vert, un petit Christ en croix qui se tord sur lui-même, une grande "Figure féminine avec fleurs" hallucinante, posée sur un gros socle de céramique rose, un "Dragon".
De deux grands vases, évoquant des poteries antiques, surgissent en relief des cavaliers d'or, et de petits personnages brandissent leurs lances dans un tourbillon ("Battaglia", 1949).
Une relation décomplexée à la figuration
L'artiste a une "relation décomplexée à la figuration, pas toujours bienvenue dans les avant-gardes", explique Choghakate Karazian dans le catalogue de l'exposition. Et si ses titres "génériques" (concept spatial) "abolissent toute idée d'un genre spécifique (peinture, sculpture) et toute figuration", il nomme certaines séries de façon tout à fait descriptive (Trous, Fentes, Boules, Oufs), fait-elle remarquer.
En 1958, Fontana commence ses fameuses Fentes ("Tagli"), qui sont tout sauf des œuvres purement abstraites et dont la connotation sexuelle est évidente. Toute une volupté est liée au geste, au relief des bords de la fente. A peu près à la même époque, il réalise ses somptueuses "Nature" (1959-1960), à la sensualité généreuse. Ce sont de grosses boules de céramique qu'il a percées de trous, de fentes, de cratères. Elles ressemblent à des planètes, mais là encore elles ont un sens érotique (natura, nature au pluriel, designe le sexe féminin en argot italien).
Jusqu'à la fin de sa vie, Fontana expérimente ses fentes sur différents matériaux (le cuivre, l'alu), différentes couleurs, tout en continuant à faire des trous, comme dans cette magnifique "Trinité" blanche de 1966, ou ses "Œufs", baptisés "La fine di Dio" (la fin de Dieu).
Cette rétrospective n'a lieu qu'à Paris, souligne Fabrice Hergott. Les œuvres de l'artiste italien sont fragiles et "ce sera de plus en plus difficile d'organiser une exposition Fontana", dit-il. Raison de plus pour courir voir celle-ci.
Lucio Fontana, Rétrospective, Musée d'art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris
Du mardi au dimanche 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu'à 22h (uniquement pour les expositions)
Fermé le lundi et les jours fériés
Tarifs : 11€ / 8€ / 5,50€, gratuit pour les moins de 14 ans
Du 25 avril au 24 août 2014
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