On connaît "Le Penseur", "Le Baiser", la statue de Balzac… Mais derrière les sculptures en marbre et en bronze, Auguste Rodin a laissé plus de 7000 dessins. On y retrouve son goût pour la spontanéité des corps, les œuvresbrutes et l’érotisme.
Depuis plusieurs années, le musée Rodin, à Paris, exhume aquarelles et dessins du plus grand sculpteur français. Après les expositions "Danseuses cambodgiennes" et les "Figures d’Eros", voici donc "La saisie du modèle". En tout, quelque 300 dessins réalisés de 1890 à 1917 sont rassemblés. Pour Auguste Rodin (1840-1917), ces œuvres sur papier, parfois griffonnées rapidement, n’étaient pas moins importantes que ses bronzes. Il les exposait d’ailleurs souvent les unes près des autres.
Dessins, sculptures, Rodin a besoin du modèle
Ce qui étonne, avant tout, c’est la vie qui émane de ces créations au crayon. Normal, Rodin, riche et célèbre (il est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1887), peut se payer les services de modèles vivantes. Ses concurrents veulent des poses très figées qui imitent celles des statues antiques ? Lui exige qu’elles restent naturelles. "Soyez en colère, rêvez, priez, pleurez, dansez", ordonne l’artiste.
En fait, Rodin souhaite que ses modèles ne posent pas. Au lieu des postures conventionnelles de Vénus, les dessins montrent des moments très intimes de la vie quotidienne : ses jeunes femmes bâillent, se coiffent...
Grand écart, contorsions : certaines postures semblent carrément acrobatiques. Mais on y retrouve pourtant le même abandon que dans les plus grandes sculptures du maître, comme Le Baiser.
Des œuvres inachevées
Ce qui surprend dans les dessins de Rodin, c’est leur simplicité. Pas de meuble, pas de décor, ses sujets "flottent" dans le blanc de la feuille. L’artiste ne cherche pas à passer pour un virtuose du crayon, à "faire vrai" (les modèles, au visage vide, n’ont par exemple aucun trait distinctif). Au contraire, avec ses formes très schématisées, tout juste esquissées, qui se limitent parfois à de simples contours corrigés au crayon rouge, on pourrait croire qu’il veut revenir aux sources du dessin. Ses croquis évoquent des représentations archaïques : les premières sculptures grecques ou les estampes japonaises dont il était un amateur.
Avec l’âge, sa technique change. Passé 60 ans, il ne regarde même pas sa feuille lorsqu’il "croque" son sujet. Au fond, ce qui intéresse Rodin, c’est d’abord la justesse des gestes, des attitudes du modèle. Peu importe la finition, il exécute rapidement. Et les traits de crayon en trop, la gouache qui bave sur le dessin ne le gênent pas. Tout comme ne le gêne pas, dans sa sculpture, le fait de faire émerger ses personnages de la matière brute, en la laissant apparente, à peine travaillée.
De la sensualité
Pour ses premiers dessins, Rodin s’entoure d’œuvres littéraires. Il s’inspire de La Divine Comédie de Dante, illustre Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire ou Le Jardin des supplices d’Octave Mirbeau. Mais peu à peu, il ne s’encombre plus de références pour montrer des corps féminins de plus en plus dénudés. Face à ses dessins érotiques de femmes allongées, la chemise relevée (sa série "Psyché"), présentés à la galerie Bernheim-Jeune en 1907, un critique parisien parle d’une "impudeur à faire rougir un singe".
Femmes faisant l’amour, scène de fellation, masturbation : Rodin ira plus loin dans ses représentations érotiques. Il cachera les œuvres les plus licencieuses à la vue du public, dans des boîtes étiquetées "Musée secret" ou "collection privée".
Ce qu’il veut montrer, ce n’est plus l’extérieur, l’enveloppe, mais l’intérieur des êtres, la jouissance. D'où l'exhibition des modèles. Dans ses sculptures aussi, tout l’art de Rodin est de rendre la complexité des émotions intérieures par la tension des nerfs et des muscles. Pensez aux orteils crispés et aux narines dilatées du Penseur… Ou la nervosité qui se ressent jusque dans les plis tourmentés du vêtement de saint Antoine face à la tentation.
A la fin de sa vie, le maître aborde une technique nouvelle : armé de ciseaux, il s’attaque à certains dessins et découpe des silhouettes qu’il repositionne, par la suite, sur d’autres croquis. Peut-être une manière de sculpter le dessin ? Comme si les deux disciplines, pour lui, étaient devenues indissociables.
Rodin, la saisie du modèle, 300 dessins (1890-1917)
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